Russie: Saint Petersbourg/ Carélie

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Saint Petersbourg/Carélie
      

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Saint Petersbourg et la Carélie en 6 min (film): 

Saint Petersbourg partie 1
Saint pétersbourg partie 2
Lac et forêts de Carélie

Sommaire

Partie 1: Saint Petersbourg
        Pré départ
        Départ
        Première rencontre
        La forteresse et le Tsar
        Les écrivains
        Brèves!
        L'Hermitage-Les églises
        Lulia, et l’île Vassilevski
        Sur les traces de Pouchkine
        D’autres musées
Partie 2: La Carélie!!
        Train de nuit pour Pétrozavodsk
        Journée avec Oxana
        Bus manqué, et bannia
        La cabane
        Le lac Ladoga et les forêts
        Le golf et ses inspirations
        Retour à Saint Pétersbourg

Première partie: Saint Pétersbourg

Pré départ

16h02. Je quitte le laboratoire de physique. Je fonce au rez-de-chaussée du bâtiment déposer à l'administration un document pour lequel on m'a demandé un bel autographe. Je traverse la cours du lycée, me précipite dans ma petite chambre qui me rappelle l'époque lycéenne de l'internat, balance mes habits dans l'armoire en bois, vestige de l'éducation nationale bientôt digne d'un musée de la mémoire, revêt une tenue propre et fonce à ma voiture, où m'attend Asma, qui a réservé dans la matinée un covoiturage jusque Toulouse. Première péripétie ; j'avais négligé les routes du Tarn et Garonne, peu encombrées par les vastes espaces qu'occupent  les centre commerciaux, et les stations-service. Un petit détail plutôt réjouissant à l'accoutumé, mais qui faillit bien nous voir stationnés au bord de la route pour cause d'un réservoir d'essence assoiffé à ne plus pouvoir avancer. Le coup de la panne eut été mal venu, en la présence de la jeune lycéenne présente à mes côtés.
A Blagnac je suis accueilli très chaleureusement par Emmanuelle et David qui m'offrent une dégustation de ti'punch , activité familière à leur égard. De gorgées sucrées et citronnées en évocation de concert de rock, nous nous attablerons en compagnie du voisin de palier autour d'une tarte aux tomates et oignons que je ne pouvais pas refuser. 
Saint Petersbourg/Carélie

Départ

Après le petit-déjeuner, David me dépose devant le hall d'embarquement de l'aéroport où il me souhaite un bon voyage. Je lui souhaite une bonne journée, certain de refaire un saut chez lui à mon retour, ayant laissé un sac et les clés de mon antre. " Let's fly ". Un premier saut de puce-certes de grosse puce- m'envoie dans les terminaux interminables de Frankfort. Vélos et  voiturettes se mêlent aux concerts de valises dont les roulettes, aux sons discontinus de leurs roulements grinçant, donnent la sensation d'être voilées. Pourquoi les constructeurs ne prévoient-ils pas des roues rondes ? Les allées de boutiques, les fastsfood, et les zones détaxées  me laissent songeur. Pourquoi dans les aéroports le prix du sandwich est-il plus élevé que celui d'un billet d'avion? Une tranche de jambon pour le prix d'un menu de cantine ! Il est des aberrations dont ma réflexion ne saurait souffrir. Cela n'empêche pas, par dizaines, par centaines, par milliers, de voir passer devant mon nez les ciabattas fumant, de sentir le bretzel bardés de pavot, et de regarder les poubelles s'emplir de serviettes en papier à peine froissées. De toute façon comment en serait-il autrement, dans des immenses halls où l'on doit parfois passer des heures, et dans lesquels l'entrée de nourriture est interdite ? Faisons la trêve, et buvons aux compagnies aériennes. Je me sers un café mis à disposition par la Lufhtansa pour ses clients. On ne va quand même pas cracher dans le gobelet en carton ! Dernièrement, et toute proportion d'échelle de temps gardé, Confucius, mon ami de chevet, confiait au cours d'une conférence express qu'il existe 2 vies, la première commençant lorsqu'on réalise qu'on a qu'une. L e message semble s'être inscrit en gras sur les murs de mes 40 ans, après avoir ouvert les portes de la mortalité. Je suis invité à un banquet qui célèbre les réjouissances où abondent le gibier au gout exquis, les céréales arrosé au jus et les petits légumes gouteux. Mon esprit atterrit, tandis que je suis tapis, volant, accroché sur mon siège, devant la barquette en aluminium qu'on vient de déposer sur la tablette et qui me brûle les doigts. Poulet, riz parfumé et petit brocolis coloré. A chacun son festin.
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Saint Petersbourg/Carélie

Première rencontre

Rencontrer une ville pour la première fois c'est un peu comme rencontrer une femme. On peut rêver à des canaux glacés qui pourfendent  la nuit comme à une silhouette errante se promenant au firmament dans la lumière des éclairages nocturnes. On peut fantasmer les spectres des héros populaires qui déambulent dans les rues d'outre-temps comme un corps énigmatique prisonnier d'une fourrure épaisse qui garde pour lui ses traits. Tout est subjectif, façonné par une représentation qui n'appartient qu'à soi. Magie de l'imaginaire. Réalité idéalisée. On parcourt les allées, où on chemine le long des conversations autour d'un thé brûlant. Lors des promenades on arpente des rues inconnues, on découvre des lieux reconnus, on se familiarise comme on le fait avec les courbes de l'être désiré lorsque s'étendent les bavardages. Dans les dédales où l'histoire nous est comptée, on fait revivre lentement la présence des héros, qui de l'esprit deviennent un peu plus vivant. Comme l'âme de la demoiselle se révèle lorsque les discussions s'affinent. La confrontation à la réalité, un duel s'engage. Le choc des images et le poids des mots. Le verdict du présent. Il faut du temps pour l'appréhender pour l'identifier, et le digérer. Moment d'assimilation. Il faut ajuster, superposer les représentations. Parfois le temps n'y peux rien et c'est le constat de la déception. Parfois le temps fait son œuvre et c'est bilan de la révélation.
J'ai rendez-vous avec Maya, élégante blonde aux yeux de mer, le visage typiquement russe, s'exprimant dans un parfait anglais. Il n'est pas difficile de prendre sa place lorsqu'une charmante dedouchka débute les ébats par la confidence de la grande estime portée à la France, son parfum, et ses manufactures de renommée. Maya a habité Khabarovsk, ce qui nous donne l'occasion de débriefer sur cette ville de l'est du pays dont je garde un souvenir particulièrement agréable, parcourant ses allées propres  et ses parcs ordonnés. Son père était militaire. Ils vivaient à une vingtaine de kilomètres en dehors de la ville, dans un camp de la taïga. Elle se souvient, petite, des interdits de promenade dans la forêt, seule, à cause du danger animal qui rode : la présence magnifique et menaçante du tigre et de l'ours. De bien belles évocations qui me rappellent  pourquoi aussi cette région me fascine tant. Sakhaline a été un autre point de 
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chute pendant plusieurs années. Qu'elles me paraissent bien lointaines ces îles du même pays qui me ramènent à Vladivostok. Tant de contrés exotiques dans les frontières d'un même état. La Russie n'a décidemment rien de commun avec les autres pays. Cette géographie grandiose porte sur elle toutes les raisons de la fascination. Ne manquerait-il qu'une once de côte sublime pour parfaire sa panoplie de diversité naturelle ? Voilà l'annexion de la Crimée comme une réponse au manque. Une lagune comble une lacune. Nous touchons justement au point sensible avec le conflit russo-ukrainien qui sévit à la frontière autour de Donetsk. Pour Maya il s'agit d'un conflit d'intérêt dramatique. Autant que j'ai pu l'entendre, les russes ont d'aussi bons arguments que les européens pour assurer une certaine légitimité. Quant aux tirs d'obus et aux victimes, il n'y a pas de justification. Cela lui fait froid dans le dos. Justement nous touchons un autre point sensible. Le mien. La météo prévoit un froid ensoleillé. Maya me décrit les nuits d'été si convoitées de par le monde entier, et le ciel d'un bleu d'une profondeur si pure qu'elle ne sait m'en donner une description. Si la profondeur du bleu du ciel ressemble à celui de ses yeux, j'ai alors une idée de ce qu'elle cherche à me définir. Ce sera vraisemblablement une bien belle journée! Pendant ce temps, les hommes se promènent, bouquets de fleurs à la main. Je n'ai jamais vu tant de fleuristes que cette après-midi-là. Je vérifie mon calendrier. Je lis : 14 février-Saint Valentin. Il doit y avoir une erreur. Il doit s'agir de la Saint Thierry.
Saint Petersbourg/Carélie

La forteresse et le Tsar

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Le contrôle de la Baltique était déterminant pour un accès fluvial vers l'Europe vers laquelle Pierre 1er voulait orienter la Russie. En 1703 il reprend le contrôle de la Neva en repoussant les Suédois toujours plus vers le nord, et il  met à exécution son pharaonique projet de bâtir Saint Petersburg.  J'enjambe la Neva par le pont Troitskiy, et rejoins l'île aux lièvres. C'est dans cette petite enclave de l'ile Petrogradskaya que je franchis les remparts de la forteresse Pierre et Paul. Pierre 1er n'avait pas de grand que sa taille. Du haut de ses 2 mètres, ses ambitions et ses ouvrages se portaient à la hauteur de sa réputation. Il fallut 7 ans et la vie de plus de 100 000 hommes pour élever le premier édifice de la future capitale de Russie, bâtie sur des marécages. Le long de la Neva, 700 mètres de murailles épaisses s'érigent. Si leur vocation était de protéger la future ville contre l'assaillant suédois, elles n'ont pourtant jamais joué de rôle militaire. Dans l'enceinte séculaire je me dirige vers le bastion Troubestskoi où au 19ième siècle Alexandre 2 a fait des geôles qui rentreront dans l'histoire comme une des plus terribles prisons politiques. Les cellules sont des pièces voutées aux murs recouverts de fibres végétales dont la fonction est d'absorber les sons afin de ne pas permette de communication entre les prisonniers. Un lit métallique, une petite table, comme mobilier, des livres lorsqu'ils étaient autorisés, puis le froid et l'humidité comme compagnon de chaque instant lorsque les morsures de l'hiver pénétraient à travers la petite fenêtre garante d'un peu de lumière. De tristes noms de Gorki ou Trotski appartiennent à la liste des révolutionnaires. Si la construction de la forteresse a versé un lourd tribut d'hommes, les prisons ont charrié les leurs. C'est à croire que les russes ont la souffrance inscrite dans leur gène. Des guerres aux révolutions, des troupes de Koutouzov chassant la grande armée sur les terres de Borodino, aux exilés dans les confins des goulags de Sibérie, au-delà des armes et de la famine, c'est dans l'intransigeance de l'hiver qui ne renonce jamais, ne connait pas la défaite, et portent ses morsures aussi profondément dans l'âme que dans le corps, que les pires souffrances ont été décrites. C'est là même que les russes ont développé un mental pour braver les saisons.
Surveillant l'avancée des travaux de construction de la forteresse, le Tsar fit bâtir en trois jours sa propre maison. Protégée aujourd'hui  à l'intérieur d'un 
bâtiment de pierre, sur son emplacement d'origine, on ne peut y entrer pour des raisons évidentes de préservation, mais les ouvertures situées tout autour permettent de visualiser l'intérieur simpliste de la maisonnette en bois. Dans le bureau où il exerçait ses activités militaires, occupant ses journées à plein temps, on peut y voir sa pipe, froide depuis longtemps, à l'odeur dissipée de tabac, qu'il fumait assis la chaise fabriquée de ses mains aguerries par les multiples expériences manuelles qui le rendaient apte à faire de ses doigts ce qu'il voulait. Trois pièces en tout et pour tout dont une minuscule chambre et une salle à manger dans laquelle la table dressée arbore des couverts en métal issus des fabriques russes. J'imagine le Tsar dans son îlot en bois, flottant sur un archipel de marécages, seul à bord d'un radeau amarré à ses idées de grandeur dans la simplicité rustique qui faisait pâlir les navigateurs étrangers. Qu'il est loin le faste de Peterhorf ou de Tsarskoe Celo. J'admire l'ambition démesurée, et le sens personnel du minimalisme. Ici se joue le destin d'un empire construit sur des marécages. " Une fenêtre sur l'Europe, taillée à la hache " dira plus tard Pouchkine. Peut être les rondins de bois de la maisonnette furent taillés à la hache. Pour ce qui est de la brèche ouverte vers l'Europe, elle fût plus profonde qu'un coup de lame, bien que les plaies des milliers d'hommes emportés à la réalisation du rêve par les ravages de l'hiver en furent aussi douloureuses et mortelles. " La parole du Tsar anime les pierres, mais c'est en tuant les hommes " dira le marquis de Custine. " La Russie ne s'est jamais contenté de malheurs médiocres " ajoutera Emil Cioran.
Pendant ce temps, au pied de la forteresse, bien même que le soleil timide décline, l'homme du clan des morses surgit seul contre la Neva. La glace a été brisée, et une piscine découpée sur un sol de patinoire. 
Les briques d'eau gelée ont été amoncelées pour former un semblant d'igloo en dur, version moderne du camping sous abri de neige ; le mobile-home de l'inuit. Le morse se dévêtit, échange quelques mots, sans même paraitre agacé par la température que je combats derrière ma parka relevé jusque sur la tête. La poule n'a pas voulu donner sa chair. Il s'approche de la rivière, et sans un soupçon de réflexion qui m'anime même devant les eaux de l'atlantique à 17° en plein mois d'août, plonge, effectue tranquillement la traversée d'une dizaine de mettre, revient, brasses coulées, avant de ressortir comme je ressortirais de ma douche. Pendant ce temps des pêcheurs mènent un autre combat en plongeant dans les eaux froides une ligne dans un trou découpé dans la glace. La Neva prend des allures de récréation. Les russes  sont parfois aussi glacés que la Neva à la différence près que plus la glace est épaisse et moins il est conseillé de vouloir leur marcher dessus.
Je quitte la demeure du Tsar et part à mon tour en conquête de terres promises construire mon empire. J'ai pris mes quartiers résidentiels  d'hiver à la librairie Singer, sur la Perspective Nevsky. Je fouille les étalages, dévorant des pages, des bouquins de géographie et d'histoire, déplie des plans de Carélie où scintillent les lacs par centaines de tâches qui bleuissent le papier. Ma trace se faufile imparablement au cœur de la taïga dépeuplée d'âmes humaines, à l'abord des monastères de Vallam ou de Gili, de la forteresse des  îles Slovotsky isolée au milieu de la mer Blanche, enclave au sud de la mer de Barents. Ma conquête se porte aux confins de l'âme slave qui repousse les limites de l'unité vers le nord, austère et vierge. Faisons la trêve. Dans le café situé au 2ième étage je ne prends pas le risque de tomber dans les griffes de la nuit dont l'assaut ne saurait prévenir, et prends un expresso serré, replongeant sans perdre une minute dans les eaux de la Néva et le projet de pierre 1er.  
Saint Petersbourg/Carélie

Photos de Saint Petersbourg

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Sur les traces des écrivains

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De mon petit hôtel à deux pas de la perspective Nevsky, je prends mes marques. Entre les allées et venues de mes colocataires, le léger décalage horaire, mon rythme est quelque peu déréglé, les heures de sommeil abrégées. Chaque fois que je pousse la porte du couloir qui conduit à mon dortoir, une petite sonnerie me siffle. On ne parle comme ça aux jeunes hommes, aussi français soient-ils ! Cela ne se fait pas ! Je descends un étage, là où se tient l'accueil, passe ma carte sur le détecteur placé à droite de la porte, adresse un salut à la jeune fille qui occupe le comptoir les matinées, et reçoit en réponse son sourire toujours impeccable, autant que l'est sa petite jupe droite toujours parfaite qui la voit se déplacer à pas de gazelle sur de splendides talons à faire des têtes à queue sur les trottoirs givrés. Je m'installe dans l'angle de la table de la cuisine où à défaut de me faire cuire un œuf , me fais offrir un quartier de pomme acheté au supermarché du coin, par une étudiante iranienne ravie d'être à Saint Pétersbourg et qui reçoit sa sœur absolument conquise par la richesse des églises et cathédrales dont elle me fait l'apologie. Puis je m'éclipse, repasse devant le sourire enchanteur, descend les escaliers, remonte la fermeture éclair de mon parka, ajuste ma capuche, et enfile mes gants en polaire fine. Plutôt que d'user du métro et sortir un des nombreux jetons qui tapent la causette dans une de mes poches intérieures,  je réchauffe mes muscles en bravant les ruelles  et longeant les canaux. J'ai rendez-vous avec Anna Akhmatova. Me livrera-t-elle quelques poèmes qu'elle brûlera lorsque je les aurai mémorisés ? Où bien arriverai-je trop tard, et les vers se seront déjà envolés en fumée ? L'histoire me le comptera. Anna Akhmatova fait figure d'un plus grands poètes russes du XXième siècle. Dans la maison où elle vécu de longues années, les objets personnels se mêlent aux tableaux, mobilier, et lettres de ses contemporains. C'est dans cet appartement devenu communautaire sous le régime communiste, qu'elle fût traquée par les micros, et surveillée par les gardes, la laissant libre mais enfermée psychologiquement, et  que sa vie voit ses proches emportés vers les camps.
" J'attirais la mort sur ceux qui me sont chers,
Qui mouraient à tour de rôle "
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Brèves (rencontre, musée, pensée)

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Natalia:
" Oui avec du sucre, s'il vous plait ! "                                                                                                                                                                                          " Non, non, elle te demande si tu veux du lait " me dit Natalia. La faculté d'amuser son public est une qualité propre à celui qui ne maitrise pas la langue. Un café, tiède, puis une compote aux fruits rouges- boisson fruités à ne pas confondre avec notre compote de fruits cuits et mixés- nous emporte dans de longues conversations. Natalia est francophone, russe totalement bilingue, même si son exigence l'accable face aux progrès qu'elle doit encore accomplir. Elle travaille à l'école élémentaire française, en relation avec le lycée français de Moscou, et aimerait beaucoup pouvoir entrer à l'institut français. Ce serait pour elle un bel accomplissement que je l'encourage fortement à poursuivre. Saint Petersburg est une ville qu'elle aime, même si la vie y est relativement chère, avec un salaire, bien que très correct, qui n'excède pas quelques centaines d'euros. Avant cette vie, elle habitait une petite ville, au centre de la Sibérie. Encore une fois, l'évocation même de ces contrées ouvre mon esprit aventureux. Pendant de longues gorgées, nous échangeons encore sur les subtilités de nos langues. L'occasion rêvée de réfléchir sur des banalités de langage dont les explications verbales ou grammaticales, bien trop familières, ne sont pas aussi simplistes à relater.  Alors ? A quand le passé composé et pourquoi l'imparfait ? Faites donc l'exercice !

" Au pain quotidien " je baigne dans les odeurs de levain, de pains céréalés à la croute dorée et farinée, tandis que mon croissant baigne dans ma tasse de café noir bien chaud. Le décor en bois verni, et l'espace où je me trouve emménagé aux fauteuils de cuir réunis autour de solides guéridons aux pieds forgés est une belle source d'inspiration libérée. En levant la tête, je vois l'arrosage de lumière suspendues à des tiges larges en métal, aux abat-jour de bocaux en verre, qui me rappelle mon couloir d'entrée. La musique classique adoucit l'étude de mon russe à l'apprentissage rugueux qui cale devant un questionnaire de satisfaction proposé par la serveuse, que je tente de décoder.

Musée russe : Absorbé par les icones aux couleurs chaudes je parcours les salles d'un regard virginal, happés par les figures angéliques qui m'accueillent et me parlent. Quelle célébration festive tient sur ses toiles pour que l'insoumis croyant que je suis en soit absorbé, irrigué par une liqueur communiante? Je suis noyé dans un tableau aux dimensions océaniques, dans un naufrage qui avale cette toile d'Aivasovsky, maître russe de la peinture marine du IXXème siècle. Dans les eaux déchainées qui submergent la toile, d'un navire englouti se dressent encore tragiquement ses deux mats en recherche d'oxygène. Quelques malheureux tentent de sauver leur peau sur un radeau de fortune dont on prédit une issue bien sombre, résistant au désespoir et aux affres de la mer démontée.
Face à une peinture surréaliste je m'interromps, admiratif devant le trait de l'artiste, puis découvre l'œuvre étant signé de Kandinsky. Preuve en est que le génie propose des codes qui dépassent le snobisme, et donne des  références qualitatives qui dépassent les frontières, et traverse l'épreuve du temps. Etait-il besoin de le justifier ?

Pensée de comptoir : Je ne me suis pas méfié de mon allié, devenu redoutable adversaire. S'il a assumé son rôle de protecteur contre le sommeil, il m'a surtout empêché de dormir jusque tard dans la nuit, me faisant pester contre mon voisin de dortoir qui volontairement, lui, ne dormait pas, lumière de la chambre allumée, bravant mon loup pacifique fixé sur mes globes fermés à double tour. Pour me remettre de cette défaite cinglante, au sortir du lit j'enfile mon armure de coton et sort combattre le mal par le mal, en allant plonger un croissant doré dans une grande tasse de café. Adamo chante la France. Cocorico. Quelles sont douces les heures passées collé au rideau, plongé dans la littérature du pays. Hier soir j'échangeais avec un ami quelques pensées sur la solitude qui l'envahit, au détour des couples heureux, émus à regarder leurs enfants grandir dans les rues de Riga. Dans " Une formidable histoire du temps " l'acteur anglais Eddie Redmayne incarne à s'y méprendre un autre génie, des sciences cette fois, cloué sur un fauteuil à la suite d'une maladie paralysante. Au constat inévitable de la séparation avec sa femme débordante d'amour, qui lui a permis de dépasser sa maladie, il porte un regard attendri sur ses enfants : " Regarde ce qu'on a fait ". Aux premières heures des nuits blanches de Dostoïevski, le héro est soudain affolé en constatant la détresse de la solitude, abandonné de tous, lui qui connait si bien les recoins de sa ville aimée, et fait de rencontres ponctuelles des rites rassurant. Ce matin c'est mon ami que je vois dans le personnage, la barbe hirsute, allant le regard paumé et interrogateur, cherchant des réponses dans les visages des enfants.
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Saint Petersbourg/Carélie

L'Hermitage-Les églises

Je franchis les portes de l'Hermitage. Catherine avait voulu rivaliser de grandeur avec l'Europe et le monde. Elle fit s'ériger des palais dont la splendeur stupéfiante saisit dès les marches du grand escalier d'entrée. Le bâtiment, ensemble splendide de palais imposant sa stature verte sur les rives de la Neva, dévoile des richesses intérieures inattendues.  Dans les salles je m'enfonce, à la découverte des œuvres Italiennes. La renaissance de Botticelli, De Vinci, De la Robbia m'introduisent dans les profondeurs des palais. Je suis ému aux larmes devant des œuvres renaissantes d'artistes que j'ai eu l'occasion de découvrir sur le lieu de leurs travaux, dans le berceau même florentin, de lire leurs récits, leurs histoires. Je plonge dans le 16 ième siècle et la naissance artistique de Lippi, enfant au physique ingrat découvert et révélé  par le maître Verrocchio. Stendhal m'aurait-il encore frappé de sa grâce ? Botticelli et ses traits subtils. Da Vinci et sa force animale, courant et chevauchant les campagnes toscane, batifolant les maisons closes, organisant les fêtes mémorables. Longuement je regarde le raffinement des œuvres, le trait fin et subtil qui force l'admiration sans mesure et me plonge dans une autre époque, un autre lieu.  L'Hermitage ainsi devient le toit du monde, faisait scintiller par les toiles de maitres les feux de l'Europe, tel Pierre 1 le souhaitait, tel Catherine l'a accompli. Des français moins connus, comme Vlaminck ou Jean Puy courtisent mon intérêt soudain. Le poête et la Muse de Rodin ne manque pas de me stupéfier. Je me sens poète recherchant  ma muse, dont le sculpteur a finement inventé les lignes et les traits. Chez les impressionnistes, Cézanne me hisse au sommet de la saint Victoire. L'amoureux provençal  me ramène à son ascension effectuée avec un italien, avec lequel,  en une course, nous avons gagné le respect mutuel. Moi le sien dans une montée au rythme éprouvant, lui le mien dans une descente au pas du chamois en fuite. Et puis il y a Van Gogh, et le souvenir du premier tableau que j'ai découvert au Louvres. Je me souviens de la puissance hypnotique provoqué par ses tournesols, magnifiant la banalité. De nouveau je suis scotché devant ses tableaux colorés, où la peinture burinée devient sculpture. Des trésors de beauté, de rêve. Les œuvres des génies font tourner le monde.
C'est dans une cantine que j'irai remplir mon plateau d'assiettes de plats, qui à défaut d'être aussi raffinés que les allées vastes et dorés de l'Hermitage, m'offriront les forces laissées à arpenter les salles infinies, et l'énergie abandonnée à l'émotion.
En mémoire de la victoire russe sur la grande armée, et la retraite de Napoléon, une salle a été installée dans l'Hermitage. Les portraits de 150 généraux commémorent cette page de l'histoire, sous les ordres d'Alexandre 1, et le commandement de Koutouzov. Au détour
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des ruelles, quittant l'Italie et la Provence, je vais et je viens, saluant une fois encore le prince de Smolensk, dans l'église de Kazan où repose le tombeau du général en chef, en repos bien mérité après une bataille sanglante. Si les files d'attente devant les caisses de supermarché me conduisent souvent à repartir les bras vides, je suis encore plus admiratif de la pugnacité des russes pour aller saluer leurs icones vénérées. Des serpents humains se forment devant un Christ ou une Vierge, où les croyants attendent leur tour pour embrasser avec passion et exacerber leur fidélité. Il faut y voir la volonté de croire plus forte que les tourmentes et les guerres ; les croyances passionnelles plus affirmée encore après l'interdiction de pratique de l'orthodoxie sous l'ancien régime.
C'est tout au bout de la perspective Nevski, 4,5 kilomètres après que l'Amirauté ait dévoilé son imposante stature, que s'achève la plus grande avenue de Saint Pétersbourg dans un ensemble harmonieux d'églises ceinturées de murs roses. La Laure Alexandre Nevski, du même nom de l'avenue, dont le monastère fût élevé par le Pierre 1 rend hommage au prince russe qui repoussa les suédois en 1240.
L'inspiration divine appartient à ceux qui acceptent de se laisser imprégner par les ondes immatérielles, les vibrations physiques rendues osmotiques par l'acoustique si particulière de l'église. Les chants des prêcheurs communient avec ceux des pêcheurs, mis en phase par des roulements de vocalises qui se déchainent sous les dômes. Les pratiques rituelles n'ont-elles pas d'autre but que celui de la communion, du faire ensemble, rassemblés sous le même édifice qui rend moins pénible ce qu'on n'a du mal à affronter seul ? Ce jeu de croyance n'est-il pas non plus l'apanage d'hommes dont l'égocentrisme exacerbé parade par ce vecteur pour affirmer leur puissance en détournant la cause ? Ne mélangeons pas les buts et les moyens. Qui mieux que le russe en pourra témoigner !
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Un homme fonce sur moi, me sollicite pour me signifier l'interdit franchi en croisant mes jambes, tandis que je suis assis sur un des bancs. Les rituels exigent des codes et des sévérités que l'athée que je suis transgresse sans y prendre garde. La coupole de l'hôtel s'illumine par deux pensées définitives. Tout d'abord que j'aime ressentir l'atmosphère méditative de recueillement de ces lieux de culte aux artistiques icones dorées qui voient les demoiselles se prosterner  à leurs pieds. D'autre part que résolument les religions adoptent des points de vue parfois radicaux qui les rendront incompatibles entre elles, dès sorti des murs pieux. Le gage de la paix protège de la guerre. Serait-ce une extrapolation ? Les chants m'envoutent de nouveau. L'office laisse s'envoler les chants religieux. Que l'éternel soit avec vous. Dame russe, fourrure intégrale, fait claquer sur les gros pavés du parterre gris, ses larges talons. Dehors, dans le cimetière des artistes, je cherche les lieux de repos de Tchaïkovski et Dostoïevski. Malgré mon abnégation et mes pieds trempés par la neige épaisse je ne les trouve pas. J'y vois le signe d'un refus de me laisser croire au repos éternel. La postérité éternelle me fait un clin d'œil ; les génies traversent le temps et ne meurent jamais.
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Saint Petersbourg/Carélie

Luilia et l'île Vassilievski

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Sur l'île Vassilevski, où la ville rencontre le golf de Finlande, j'ai rendez-vous chez Lulia. Lulia travaille une journée par semaine avec des enfants en difficulté. Le reste du temps, elle rédige des articles pour un site internet,  écrit un livre sur sa vie, ses expériences, et surfe longuement sur facebook. Elle va aussi participer à une émission de télé réalité qui donne la parole à des femmes ayant choisi de conduire leur vie autrement. Lulia fait partie de cette nouvelle jeunesse, en vague avec le front de la liberté. Elle est un stéréotype de la jeunesse contemporaine, happée par le monde moderne, qui ne veut pas ressembler à ce qu'étaient leur parents. Le courant de la baltique crée une aspiration de l'Europe qui les voit s'engouffrer dans un corridor de jouvence. Il est définitivement derrière eux le régime restrictif dans années 80, même si nos médias s'acharnent à entretenir le mythe d'une Russie monarchique et strictement contrôlée.  Lulia travaillait avant dans une société où elle gagnait correctement sa vie, mais aujourd'hui ce n'est plus un critère suffisant dans la cosmopolite Saint Petersburg. Ce qu'elle veut ? Non pas de l'argent mais du temps, quitte à devoir serrer les rangs du portefeuille.  Elle veut voyager, voir le monde. Elle aime les regards posés sur elle et susciter l'intérêt, qu'on la regarde avec importance. Lorsque je l'interroge sur sa personne, elle peut se mettre à parler à n'en plus finir, en russe, sans temps de pause, omettant alors mon oreille imparfaitement  adaptée.
Nous  sommes engagés dans de longues conversations et je tombe de sommeil. Je n'ai pas le courage de sortir un bouquin de mon sac, et sombre dans mes nuits blanches, au douzième étage du trois pièces où elle vit avec son père, Victor. Au matin, Victor fait silencieusement apparition dans le salon cuisine où je suis installé, pour chauffer l'eau de la bouilloire. Il me salue de la main, puis verse méthodiquement l'eau filtrée, attentif à ne pas faire de bruit. De cette atmosphère délicate, et dans une enveloppe cotonneuse je me lève et m'installe à la table de la cuisine, où je regarde la neige tomber en mince flocons. J'accompagne Victor avec une tasse de café, et me lance dans des discussions matinales, fouillant mon vocabulaire comme du minerai dans la mine, avec des chances de découverte aussi aléatoires mais des risques moindres. Tandis que j'émerge du brouillard de ma tasse, Victor me sert des blinis chauds, me colle 
une part monstrueuse de beurre dans l'assiette, et m'invite à y déposer une traine de pate de caviar. A travers la fenêtre de la cuisine les grands bâtiments s'élèvent vers le ciel nuageux et fermé qui a remplacé le bleu limpide. Le plafond épais plombé est celui d'une toile parfaite. Un petit courant d'air s'infiltre par la fenêtre entrouverte et refroidit la température ambiante étouffante, alors que dehors sonne l'offensive du froid. Me voyant intéressé par la littérature, Victor me montre son livre ; un roman de sciences fiction sur une thématique scientifique qu'il a écrit. Avant d'être retraité, il était biochimiste. Chaque après-midi, suivant les cycles dictés par son vélo d'appartement, et regardant les informations à la télévision, il fait son sport quotidien. Dans son pantalon orange de jogging il me parle de l'estime croissante des russes pour Poutine, et me glisse sa désapprobation avec le nouveau gouvernement ukrainien qui a décidé de supprimer l'apprentissage de langue russe. Le breton, le basque, le corse ne sont-ils pas acceptés en France ? L'argument est bien placé, et même s'il ne soutient pas les séparatistes et que l'argument n'est pas une cause, elle est un motif pour des activistes à réaffirmer la force.
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Saint Petersbourg/Carélie

Sur les traces de Pouchkine

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J'ajuste ma capuche, me faufile entre les jeux du jardin d'enfant, et sors braver les flocons, évitant les glissades sur les pavés mouillés qui peinent à retenir la neige, et transforment en une mélasse de jus grisâtre un immaculé tapis blanc. Je grimpe aveuglément dans le bus numéro 7 indiqué par Lulia. J'ai rendez-vous avec l'artiste, le souffle de la ville, l'âme de la culture, qui m'attend dans un des lieux les plus célèbres de Saint Petersburg : l'appartement musée de Pouchkine. Un voyage dans le temps, une immersion dans l'intimité du prodige. Dans sa dernière demeure, sur les rives de la Moika, le poète a vécu 5 ans, entouré de sa femme et de ses 4 enfants. 11 pièces, non théâtrales celles-ci, où s'acheva sa courte vie, au destin tragique. Textes griffonnés, lithographies, et portraits d'amis me font entrer de plein pied dans l'univers de Pouchkine. Je traverse, le salon, la chambre de Natalia Nikolaïevna, sa femme, puis m'arrête longuement devant la porte en chêne, où le 27 janvier 1835 il sortit pour la dernière fois, vivant et bien portant, livrer sa dernière joute, devenir mythe brisé et entrer dans la postérité. A trop courtiser sa femme, le baron d'Anthes avait contraint Pouchkine à le provoquer en duel. D'Anthes tira le premier et le toucha mortellement à l'haine.
Dans le cabinet de l'écrivain, je m'interromps longuement. Une grande bibliothèque tapisse les murs, où plus de 4000 ouvrages emplissent les étagères, en 14 langues européennes et orientales. En premier plan, le bureau, sobre, et le fauteuil 
Voltaire avec repose pied sur lequel je peine à deviner la silhouette aux cheveux bouclés. Il y rédigea " La fille du capitaine ", de sa plume trempée dans l'encrier négrier offert  par un ami. Si son faciès n'a rien de commun avec celui de ses concitoyens, il le doit à son arrière grand-père, Abraham Hannibal, esclave noir affranchi par Pierre le Grand. Des objets personnels rendent la présence de l'écrivain bien palpable. A l'arrière du cabinet, sur la partie droite de la pièce séparée un deux par une bibliothèque remplie d'ouvrages, le canapé devant lequel se tient le pupitre incliné sur lequel il travaillait, semi-allongé. J'imagine le poète, habité par l'inspiration géniale. Jamais un peuple n'aura eu autant de dévotion pour un artiste. Même Dante et sa Divine comédie ne connait pas aujourd'hui encore, dans tout son génie, autant de reconnaissance. Pas un homme, pas une femme, un vieux ou un jeune, qui ne puisse vous tenir la main tout en vous lançant au visage de vers de Pouchkine. C'est sur ce canapé qu'il passa les derniers instants de sa vie, souffrant dans la décence et dans de grandes atrocités que le chirurgien qui le veille, bien qu'habitué aux horreurs de la guerre, décrit comme insupportables. C'est sur ce canapé qu'il fit venir un à un ses enfants, pour une dernière fois leur parler, en leur souriant, et les laissa repartir.
Sur les traces du fantôme de Pouchkine, je quitte son appartement et rejoint le perspective Nevski pour entrer dans le café littéraire où il se rendit avant aller sur les lieux du duel
C'était à l'époque le rendez-vous des écrivains. Dans la salle principale du premier étage des plaques dorées fixée sur les murs rouges rappellent la présence des personnages célèbres qui avaient pour habitude de fréquenter les lieux. On peut ainsi lire, à côté de Pouchkine, les noms de Dostoïevski ou Rostropovitch. Nostalgie vivante d'un café chargé de vécu, empli de grandes plumes, où naquissent probablement de grandes lettres. Des tables rondes, dans un décor élégant, drapées de nappes vert sombre. Des lampes au pied sculpté, arrose d'une lumière filtrée l'espace où les serveurs aux petits soins rassurent les clients. Peintures, médailles, et autres objets symboliques ornent les murs. Tout au fond, derrière le piano noir de salon, une tablée sortie d'un roman de Federovski 
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entonne des chants traditionnels. Un guitariste aux cheveux en fils de sel donne le ton de sa voix suave. Tenues princières, et chants populaires, l'âme russe est glorifiée par les toasts à répétition et les verres de vodka. Je voudrais les rejoindre, lever mon verre au pays des tsars, mais me ravise et achève mon café. Je redescends, prend ma veste laissé au vestiaire, et poursuit mon pèlerinage.
C'est au théâtre Mariinski que j'ai à présent rendez-vous. Théâtre phénoménal, lieu d'expression ou la créativité culturelle fait chavirer les cœurs. Dans la salle du grand théâtre, au balcon du second étage que je peine à trouver, je contemple les  souverains et le peuple comblé. La troupe nationale interprète la Dame de Pique, un opéra composé par Tchaïkovski, d'après, la nouvelle de Pouchkine. L'histoire me poursuit. Je poursuis l'histoire. 4h15 de lyrisme et de joutes entre ténors et sopranos, 5 tableaux et 2 entractes pour en dénouer avec le sort du jeune officier Herman qui tente d'obtenir de la comtesse Anna Fédotovna, le secret de 3 cartes gagnantes. 3-7-1. La dame de pique le perdra…
Je laisse le théâtre, rate le bus, marche, et me faufile avant que les grilles ne se referment sur le métro pour la nuit, puis me perd dans les quartiers. Un pseudo taxi me déposera, après de sympathique échanges, devant l'immeuble, où au douzième étage Luilia tapote encore sur son ordinateur…
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Saint Petersbourg/Carélie

D'autres musées, d'autres pensées.

Une petite visite du musée de l'arctique et de l'antarctique m'ouvre les portes des explorateurs des régions polaires, un vent glacial dans le climat radouci de Saint Pétersbourg. Un univers intrigant qui ne me laisse pas aussi froid que la glace de la banquise. Faune, flore, équipement, tout est passé en revue, appuyé par de très nombreux témoignages d'objets et de peintures. Un monde qui dans les salles rustiques du musée ne laissent pas présager des offensives du thermomètre, dont paya le prix fort, parmi d'autres, Scott dans sa conquête de l'antarctique et dont le corps fut retrouvé bien plus tard, les analyses montrant une mort lente dans d'atroces souffrances. Il est bien difficile d'imaginer l'hiver austral mais une chose m'est certaine : la fascination de ces régions. L'ours blanc, ambassadeur magnifique, empereur des terres glacées, s'impose comme un animal majestueux qui force l'admiration et le respect. Et dire qu'aujourd'hui les chinois fortunés montent à bord de brises glace depuis Mourmansk, pour aller jusqu'au pôle nord faire des selfis pour poster sur Facebook dans l'instant et faire sauter les bouchons de champagne dans la glacière qui excuse l'absence de saut à glace. Les yens et les dollars achètent des pastilles épinglées sur la carte du monde mais ils ne rendent aucun compte à ceux qui ont laissé leur peau pour ce qui est devenu un dû.
Et soudain je pense aux choix que l'on fait. Schopenhauer nous dirait d'Admunsen qu'il n'avait pas d'autre issue que de mettre sous ses ordres un groupe d'hommes prêt à le suivre au péril de leur vie au service de la découverte. Inévitablement son destin était collé à celui de l'arctique. Nietzche nous apprendrait que la souffrance induite était le prix à payer pour l'exploit, une nécessité absolue pour jouir de la victoire. Quant à moi je crois que qu'elle que soit la philosophie retenue, il faut toujours faire les compromis qui s'imposent dans l'essence même de toucher à soi. Ni Schopenhauer ni Nietzche, mais un peu des deux, inévitablement attiré par ces terres qui me sont inconnues, parce que ce sont les maux qui m'ont conduit à prendre des décisions qui elles-mêmes m'ont conduit dans cette direction. En un point les deux hommes se rencontrent. C'est ici que commence le grand voyage.
Ma curiosité s'arrête là où commence celle de Pierre le Grand. Le Kunstkamera présente une riche collection ethnologique de peuples nordiques du monde 
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entier.  Une salle fait une présentation de la société des sciences de Saint Pétersbourg. J'imagine autour de la grande table présidée de séance, réunis quelques grands physiciens de l'époque pour échanger sur les questions de l'optique où de l'électrostatique : " Et bien monsieur Euler, j'attends vos propositions ! " La salle des curiosités abonde de fœtus aux malformations des plus dérangeantes qui me rappellent que la bien portance est une denrée autrement estimable que parfois nombre d'entre nous ont tendance à oublier.

Photos de Saint Pétersbourg

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Saint Petersbourg/Carélie

Deuxième partie: La Carélie!

Train de nuit pour Pétrozavodsk

Dans sa nouvelle " Sous sol " Dostoïevski met en confrontation deux catégories d'hommes. Ceux qui agissent sous l'impulsion à une provocation, en fonçant dans l'obstacle comme un taureau sur le matador. Ceux qui se retiennent par réflexion, sachant que la violence n'est pas une réponse appropriée. Si les premiers sont dans le tort et dans le mal, il les envie même s'il les trouve bas. L'homme normal ne serait-il pas à ce propos naturellement bas ? Si je suis de la seconde catégorie, j'aurais bien envie d'appartenir à la première, de foncer sur mes voisins de compartiments, les attrapant à la gorge, pour leur sommer de stopper leur ronflements incommodant qui me font tourner en rond dans ma couche.  C'aurait été d'oublier que les trains russes sont d'abord un lieu de vie. Si mes acolytes anonymes et assoiffés vident des cannetes de bière tout en discutant quand je tente de trouver le sommeil, ils mènent  par la suite un duo en canon de ronflements bestiaux qui n'ont que faire de mes ressentis. C'est ainsi que dans la nuit je quitte Saint Pétersbourg, me dirigeant vers le nord, là où commence la Carélie. Le défilés des tenues me remet dans l'ambiance du transsibérien. La nuit saccadée me conduit aux portes de Petrozavodsk où m'attend dans la douceur surprenante d'une sortie de nuit, Anton.

J'avais pris rendez-vous avec monsieur Celsius pour une présentation des nombres relatifs négatifs, et  je me retrouve en Carélie, à  plus de 400 kilomètres au nord de Saint Petersburg, à 7h du matin, presque obligé de retirer une couche de vêtement tant la douceur me surprend. Une température inhabituelle pour la saison. La neige fondante sous les assauts du thermomètre détraqué forme une mélasse, une soupe infâme d'après hiver, recouvrant d'eau les rues tapissées de plaques translucides de glace qui pourraient bien envoyer valser l'inattentif sur quelque trottoir. Je discute avec Anton les possibilités offertes pour aller s'aventurer dans les espaces naturels que je suis venu découvrir. Nous marchons vers les rives du lac Onega, que borde  Petrozavodsk, puis décidons plutôt que de le contourner, de tenter une traverser à pied. Nous avons les vélos électriques, ils ont les skis assistés par propulsion dorsale ! Une activité ludique,
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quoi qu'étonnante, pas très sportive malgré les spatules aux pieds. Avec la température croissante, la surface du lac glacé se transforme en bassin aquatique saupoudré de mélasse neigeuse. Nous assurons les arrières, ou plutôt les dedans, interrogeons les pêcheurs installés autour de leur trou de vivre sur l'état de la surface, et sondons la profondeur de glace. 30 centimètres au moins, de quoi nous assurer les pieds trempés tout au plus, mais certainement pas une coulée improvisée dû à une rupture de patinoire. Par endroit l'état est suffisamment dégradé pour garantir des pantalons mouillés jusqu'aux mollets, et des chaussures remplies d'eau et de neige qui se faufile par-dessus la tige montante. Nous atteignons un îlot de roches et d'arbustes. La lumière a bien baissé, et la ville, jusqu'ici en arrière- plan avec ses tours pointant vers le ciel, disparait peu à peu dans une brume montante. A la limite de l'îlot, une barrière glacée forme une congère surprenante. Des vagues figées en plein effort,  prises en étau entre deux courants opposés, compose en une croute épaisse une surprenante ligne de démarcation. Sur la terre ferme la neige est encore assez épaisse pour s'y enfoncer jusqu'aux cuisses. Nous poursuivons la traversée, et après quelques kilomètres de marche sur l'eau nous atteignons le rivage opposé. Nous venons de traverser le lac Onega, sur sa partie la plus étroite, où, remontant les berges boisées. Nous croiserons deux partisans soviétiques enroulés dans des tenues militaires qui font flamber un feu au milieu de nulle part. Ils nous offrent du café, et le séchage partiel de mes pantalons. Nous poursuivons entre les arbres, remontant un versant pentu et débouchons sur un promontoire rocheux protégé qui domine le lac aux allures de mer dont les ondulations, par les alternances d'eau et de neige, se dessinent à sa surface. La lumière fléchit. Nous non. On rejoindra plus loin une route où nous stopperons un bus qui nous rapprochera de la ville et de l'appartement. La Carélie me tend les bras, ses eaux ont saisi mes pieds.
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Saint Petersbourg/Carélie

Journée avec Oxana

Je serais bien resté davantage sous les draps, pourtant c'est Evdokia- l'amie d'Anton- qui me sort du lit. Pendant qu'Arthur (le fils ainé) avale une assiette de kacha, j'engloutis mon œuf, les haricots rouges, et une tranche de fromage, le tout poussé par une tasse de café. Edith Piaf chante la France dans l'appartement aux fenêtres ouvertes sur une boutique de poissons, dans la matinée dominicale. Déjà Oxana frappe à la porte. Je me jette dans la salle de bain, enfile mes vêtements, ne trouve pas mes chaussures de ville, enfile mon parka à la hâte, puis nous sortons rejoindre une petite église orthodoxe. Oxana chante, joue du piano, donne des cours au conservatoire. Ce matin elle officie avec le cœur, et nous sommes en retard.  Sur le chemin glissant de la route qui conduit au lieu de culte, nous faisons difficilement connaissance à l'aide de mon vocabulaire encore trop limité. Je réalise le travail qu'il me reste à accomplir! Elle me parle malgré tout avec enthousiasme de mon pays et me décrit  l'élégance des femmes, ce qui, soyons honnête, me comble de fierté, et m'amène à la réflexion que grand nombre de nos concitoyens ont égaré depuis longtemps des propos flatteurs à notre égard, préférant se complaire dans la critique systématique. Oxana, ne parle pas le français, et pourtant elle me récite des vers de Debussy et d'Apollinaire. Dois-je m'en étonner ? Les russes sont toujours surprenants, et le rapport de nos pays à travers nos histoires ont su crée un amalgame que les affaires politiques ne peuvent opposer malgré les divergences frappantes. Voilà une raison supplémentaire pour laquelle j'aime ce pays.
Lorsque nous franchissons la porte, l'église est remplie, et l'office a débuté. Jamais je ne me serais autant activé pour pénétrer dans un lieu saint, et venir me porter aux avants postes. Les chants, et les psalmodies n'en finissent plus. Je n'ai d'autre choix que de patienter, adossé contre un mur, abandonné au sort de quatre prêtres, qui semblent se lasser moins que moi des refrains à répétition.  En sortant de l'office, Oxana maintenu à mon bras, me guide sur les berges du lac. Un festival international annuel de sculptures sur glace a débuté depuis quelques jours. Les artistes se sont activés à découper, scier, tronçonner, tailler mais la météo capricieuse s'évertue à défaire les ouvrages qui prennent des allures bancales.
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Oxana, toujours maintenue à mon bras, évitant ainsi les ruades sur le sol glissant, nous nous dirigeons vers le théâtre où se tient la clôture d'un festival international de musique. Nous nous faufilons par l'entrée des artistes, et rejoignons le hall d'entrée, avant de pénétrer dans l'enceinte où dépourvus de billets, nous irons de place en place, nous déplaçant lorsque des spectateurs aux places réservées cherchent leur sièges assiégés. Des cœurs de différents pays européens défilent sous la conduite de chef de chorale récompensés en début de cérémonie par le président du conservatoire de Petrozavodsk.  Les prestations parfois originales ne touchent pas ma sensibilité au cœur, si ce n'est le final envoutant qui verra les allées du théâtre encerclées par l'ensemble des choristes. La troupe d'un jour reprend en chœur des chants dans un déchainement de notes qui vibrent sous la voûte du théâtre et la chargent d'une force émotionnelle envoutante.  Le final voit l'installation du philarmonique. Les premiers violons raillent, les contres-basses tournent, les percussions grondent. J'entre en résonance émotionnelle lorsque les premières notes de Carmina Burana, sous la conduite du chef d'orchestre géant, déchainent les passions et déchirent l'espace. 
La fin de journée venue, nous marchons, accompagnés par Edvokia, jusqu'à un café où nous commanderons des verres de vis chauds aromatisé aux fruits, sorte de sangria chaude, et une pizza qu'un italien n'aurait pas osé regarder.  Je vois surgir un problème bien récurant qui touche les hommes en Russie.                                                                " Anton est alcoolique ", me confie Edvokia.                                                                                                                                                              "  Il boit tous les jours, et n'a besoin de personne pour cela. Whisky, bière. L'alcool le tuera. Ou c'est moi. Il y a 2 solutions". Je comprendrai par la suite le pourquoi de ses mots.
Saint Petersbourg/Carélie

Bus manqué et bannia!

Il est déjà une heure bien tardive, et Anton n'est toujours pas rentré lorsque nous revenons. Il m'appelle. Je le rejoins. Je commence à tourner en rond car nous devons partir demain matin tôt pour le lac Onega, et rien n'est  prêt, ni même les courses faites. Nous allons au supermarché, emplissons le caddie. 1h30 et nous sommes toujours en train de faire les sacs.                                                                                                                                                                                        " On dormira dans le bus " me dit-il. Le canapé est encombré d'affaires. Edvokia vient discuter.                                " 1kg de sucre ? C'est un peu trop non ? ". Je fais la chasse au poids, et incite Anton à limiter certaines denrées. Je me retrouve malgré tout avec un couteau de 30 cm dans le sac. 1h45. Je me couche enfin, puis me réveille dans la nuit mais n'entend pas le réveil à 6h30. J'ouvre les  yeux à l'heure où le bus est déjà parti depuis longtemps. J'enrage à peine car le trajet aurait été long et fatiguant. Je me rendors. A midi nous déjeunons dans un restaurant non loin de la maison. Tandis qu'Arthur à de la fièvre et ne va pas à l'école depuis 2 jours, il sort prendre l'air en tee-shirt sous la neige. Je n'ai pas d'enfant et ne dois pas tout comprendre. Je suis Anton en ville ; il rejoint une amant. Là encore je n'ai pas toutes les clés en main et m'abstiens de tout jugement. Nous buvons une bière dans le parc en catimini. Edvokia est persuadé qu'Anton voit une femme dans chaque ville où il se rend. Elle doit le connaitre mieux que moi.
Il est 18h. Vitali nous attend en bas de l'immeuble. A à 90 km/h sur les routes cabossées et glacées, la voiture chasse sérieusement. Vitali s'en amuse. Edvokia pousse de petits hurlements. J'ai confiance. Au milieu des bois, nous pénétrons dans une pièce où sont entreposés de gros bidons d'eau froide. Sur la grande table nous déposons les bouteilles de kwac, les chachliks qui cuisent déjà sur le barbecul installé dans la neige. A côté une seconde salle sert de vestiaire et permet de se déshabiller et s'enrouler dans une grande serviette en coton, puis de revêtir d'un bonnet pour se protéger, non pas du froid mais du chaud ! " Old Bannia " me dit Vitali. " Il y en a trois comme celui-là en Carélie ". La troisième pièce ouvre sur la bannia. 128°C. Une sensation encore plus brûlante lorsque l'eau projeté sur les pierres  se vaporise et en quelques secondes et agresse la peau. 5 ou 10 minutes dans l'étuve. Pas plus avant d'en sortir,
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nu comme un ver, et de franchir le seuil de la porte d'entrée pour aller s'arroser d'un sceau d'eau rempli de glace, pieds nus dans la neige. Et puis on reprend les activités, buvons un verre pour se réhydrater, mangeons un bout de viande grillé savoureux, avant de repartir pour une fournée. Quand le corps est prêt, alors viens le moment du massage. Je suis en vacance mais le boulot me rattrape. Vitali me fouette avec les rameaux brûlant que j'ai du mal à supporter, et me laisse à la limite de la panique. Puis ce sera le tour d'un autre. Depuis la pièce à coté on entend les cris. Je me sens moins seul. Je tente de sauter mon tour mais le russe est difficile à contrarier. " Relax " me fait-il. Je veux bien mais la chaleur est étouffante. " Jarka (chaud) j'hurle dès que les branches de bouleau deviennent brûlante. " Normal " me répond Vitali en riant, plongeant les branches dans la bassine d'eau froide.  Après les répétitions, les alternances de chaud et de froid, la douche est l'ultime moment délicieux. Fatigant mais relaxant. L'expérience à la russe.
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Photos de Pétrozavodsk

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Saint Petersbourg/Carélie

La cabane

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6h30 réveil. J'ai guetté toute la nuit, salué par le chat qui se glisse sous le store comme à son habitude avant de venir faire un saut à mes pieds. Ce matin nous ne manquons pas notre bus. Enfin les forêts de Carélie, recouvertes de neige. 6h30 de trajet, et plus de 400km de slalom sur les petites routes verglacées. Nous descendons à Nipilarty. Je marche dans les pas d'Anton, calé sur ceux du GPS. J'ai l'impression de suivre Christopher Mc Candless, héro obstiné à la fin tragique d' " Into the wild ". Pourtant la quête du tout seul m'a depuis longtemps abandonné. Nous poursuivons sur un chemin forestier. Le tapis de neige se déchire sous nos pieds. La progression est lente. Parfois on s'enfonce. Décors blanc, au milieu des boulots. Puis surgit, à la lumière d'une fin de journée grise, la cabane de mes attentes, toute de rondins bâtie, droite au milieu d'une avancée blanche face à un petit lac saupoudré de blanc. La cabane de Carélie telle que je ne l'avais pas imaginée pour ne pas être déçu. En franchissant la porte je découvre en entrant à droite, le poêle à bois. A gauche contre l'unique fenêtre une table et deux bancs. En face les couches disposées sur deux étages où nous installerons les sacs de couchage. Avant que la nuit emporte le paysage qui déjà, au crépuscule, me comble d'un sentiment de liberté pure, perdu dans un bout de forêt trouvée à la trace du GPS, il faut préparer le bois. Des lamelles d'écorce de bouleau prêt à amorcer la combustion attendent sur la partie supérieure du poêle. Ma technique de découpe à la machette est encore à parfaire. Anton maitrise la lame avec laquelle il découpe même les plus gros rondins. Il fend et refend les bûches entassée devant la porte, taillant des brindilles qui attiseront le brasier, puis coupe les bûches en buchettes à taille de foyer. En des gestes précis et méticuleux, il enflamme l'écorce, recouvre de brindilles en couches minces, puis superposes les buchettes en taille croissante. Le feu prend en un instant. Le bois brûlera son énergie interne pour nous apporter la chaleur. Il faudra attiser et entretenir longtemps, que le foyer avale des kilogrammes de combustible, pour que le bâti en pierres réfractaires s'échauffe. Lentement il diffusera sa chaleur durant la nuit lorsque le feu sera livré à lui-même, abandonné à son extinction.  L'eau est puisée dans le lac par un trou ouvert à sa surface par des pêcheurs.  Sur la plaque en métal au dessus du foyer, une pleine casserole, dans laquelle trempe une grosse portion de pates est en déjà en train de 
chauffer.  Une boite de viande bouillie ajoutée constituera une bonne pâtée calorique de circonstance. Dans les vapeurs d'un alcool local, vodka aromatisé aux plantes, je bois à la découverte d'un paradis blanc que j'attends de découvrir à la lueur de la lanterne du ciel.  L'esprit de la forêt règne, protecteur de civilisation ravageuse. Anton arrose l'entrée de quelques goutes d'alcool.
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Saint Petersbourg/Carélie

Lac Ladoga et forêt de Carélie

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  Mon matelas est dégonflé.  J'ai dû le percer lors du voyage, transpercé par de petits cristaux de glace lors des pauses au sol. Du coup je passe une partie de la nuit à chercher une position la moins inconfortable possible. Les reste de pates à la viande bouillie fait office de petit déjeuner. Après quoi le temps de l'exploration est venu. Les pierres réfractaires du foyer ont diffusé leur chaleur toute la nuit, plongeant la cabane dans un bain tiède à 16°C. Bien plus qu'il n'en faut dans ces conditions. Trop chaud ! Anton s'équipe de son attirail pour aller shooter dans les rochers, piolet, crampons et corde dans le sac. Moi, coiffé de mon bonnet et armé de petit Olympus hybride, miniature en comparaison du 300 mm de mon compagnon. La cabane se tient au bord d'un petit lac bordé de pins clairsemés. C'est sur ce lac que donne l'unique fenêtre à la forme de vitrail. Nous nous élançons sur la surface du lac blanchie par la neige mais donc une épaisse pellicule d'une dizaine de centimètres se délite sous nos pieds dans une apparence de soupe que boivent gorgée par gorgée mes chaussures au nubuck cuirassé souffrant. Les pieds plongent dans la mélasse. Depuis l'autre rive, on accède au lac Ladoga, immense surface morcelée de glace brisée. C'est la plus grande étendu d'eau d'Europe, seconde en Russie après le majestueux Baïkal, qui étend ses tentacules et abrite d'innombrables ilots sur plus de 465 kilomètres carrés. Des glaçons géants offrent pour des assoiffés infatigables, une invitation à célébrer la nature en grande pompe. Si on était dans le sud ouest de la France, j'y ferrai bien une justification à remplir et lever nos verres immenses de Ricard ou de Pastis. Mais les russes n'usent pas de glace pour lever le coude, et réchauffer le gosier de vodka. La berge est découpée par des rochers escarpés, tantôt praticables, tantôt barrés par des cascades de glace ou des failles abruptes. Sur un promontoire, tel un lynx dont je poursuis les empreintes fraiches laissés dans la neige, et qui surveille son territoire, je contemple la féérie qui repousse la ligne d'horizon toujours plus loin. Immensité. Démesure. Solennité. Il aura fallu se gagner ce bout de terre perdue, paradis carélien protégé dans un écrin de forêt. Les images du Baïkal surgissent, et j'imagine ses eaux prisonnières d'une épaisse couche translucide de glace, qui tente, dans le redoux des dernières journées d'hiver, de se libérer de ses chaines dans le fracas des brisures de glace. Mais quel est donc le sens à tant de beauté ? La nature n'a que
faire de nous satisfaire. Elle est ce qu'elle est sans raison. Pourquoi alors si loin capter ses instants harmonieux ? Je ne vois qu'une explication unique émerger des amas chaotiques fascinants. Imprégner les odeurs, imprimer sur la rétine les couleurs et les formes que le capteur numérique se saurait retranscrire avec la justesse de l'œil. Sentir la brume s'élever, puis se dissiper au dessus des eaux, l'humidité peu à peu imbiber les chaussettes et le bas du pantalon qui n'aura pas trouver guêtre à sa convenance. Emmagasiner ce que les sens sont aptes à supporter, pour retranscrire sur un support autre les expériences. Serait-ce là ma vraie seule et unique raison ? Une fonction mesurée, nécessitée par la démesure, pour accomplir ma tâche ; celle de porter en lettres policées sur le journal de ma vie, ce que la passion et le désir m'ont permis de saisir. Je fais un remake de P Coelho : " Sur le bord du lac Ladoga, je me suis assis et j'ai pleuré ". Je contemple les îlots revêtus de blanc, surgis dans le lac, et les péninsules sur la berge déchirée. Au loin, des bruits de motos-neige. Des russes chevauchent leur monture sur les chemins pour venir lever leur verre de vodka aux espaces infinis. Lorsque certains s'abreuvent, d'autres cherchent des proies pour remplir l'estomac. Des traces de lynx fraiches m'arrêtent. Je ne tiens pas à servir de déjeuner à l'animal. Anton est lui chasseur d'images, ce qui présente moins de risques, et traque le cliché qu'il enverra peut être au magasine nature avec lequel il collabore. Des éclats de verre géants, des tessons froids et non tranchants, miroitent des reflets bleutés dans une anse du lac. Anton surgit en position qui lui donne des allures de plongeurs sorti d'un saut à glace, pour capturer la pierre précieuse sur son capteur. Il n'est pourtant pas ici question de diamants ni d'émeraude, mais d'eau. Un danseur sur glace en costume de photographe, ou le contraire. Je me posais la question, il y a 24 heures, de comprendre le sens à faire 200 kilomètres sur des routes gelées, 6h30 de bus, et 4h de marche pour gagner une cabane inconnue, pour laquelle j'ai remis ma confiance dans les mains d'un local, les pieds trempés par la neige fondante. Si la traversée de la forêt pour rejoindre le havre de paix a apporté une partie de la réponse, la découverte du site dans un décor idyllique de rêveur de cabane hivernale, me fait en un éclair de seconde capituler face au questionnement. Ici revivent mes lectures de Vanier, les héros des aventures de London. Dans la chaleur d'un feu de bois prend forme la vie d'un ailleurs imaginé. Il est bien aisé dans cet environnement de comprendre la nécessité de partager les nuits froides avec une séductrice répandue dans toutes les forêts de Carélie et de Russie : dame Vodka. 
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Saint Petersbourg/Carélie

Le golf et ses inspirations

La température reste stable et ne quitte pas les -1 à -2 degré Celsius. La neige a durci et une croute craquante s'est formée. Le chemin tassé par les motos-neige dessine des crampons chenillés verglacés. Après un dernier tour des lieux nous levons le camp vers 11h, pour poser les sacs à l'entrée d'un golf que nous partons explorer. La brume s'obstine et donne une atmosphère sombre au site, à la surface lisse gelée, marquée par des lignes de séparations nettes. Les berges sont immaculées et des formes marron arrondies fendent la neige. La pente s'élève et grimpe dans la forêt. Avec précaution j'enfonce mes pieds, attentif à dessiner de profondes empreintes bien marquées en levant mécaniquement les jambes, pour éviter de remplir mes chaussures d'eau et d'avoir les pieds trempés pour la journée. Anton traque toujours les clichés. Je chasse les idées. Christopher McCandless a compris trop tard que le bonheur ne peut exister que partagé, emporté par le poison de son opiniâtreté. Pour ma part je vois transparaitre dans les reflets scintillants et le grand silence blanc la lueur de mes voyages. Dans les forêts de Carélie, je conquis mon Everest. Pas celui de Herzog ni de Lachenal, mais celui de l'élan qui pousse à parcourir les terres sauvages. Si ma fonction dans la société est d'enseigner, mon but personnel est de transcrire ce que l'inspiration produit comme matière à penser. Je vais et je viens. Jamais je ne reste. Je suis un collectionneur de moments, un trappeur d'émotions, un fureteur de géographie, qui me gonflent comme une éponge, avant d'en presser le jus sur le clavier d'un ordinateur. Les forêts revitalisent l'esprit. La neige en marque la trace. En Sibérie comme en Carélie, les forêts m'apportent le réconfort de l'incertitude, le décor mystérieusement habité par des animaux souvent invisibles. Ce sont mes elfes, qui attisent l'imagination, enchantent l'imaginaire. Le voyage apparait alors comme un prétexte, une nécessité plutôt pour former les éléments du puzzle de l'histoire qui me dévore, assujetti à la volonté de l'accomplir.
Nous reprenons le chemin gelé. La cabane est déjà loin. Le GPS nous sort d'un faux itinéraire. La technologie la plus pointue nous sort des griffes de la nature pointée par les crampons d'Anton. Comment ne pas s'égarer dans un paysage de pins et de neige à perte de vue. La route qui conduit au village est glacée. Et 
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dire qu'un peu de verglas nous met en panique et paralyse nos transports en commun à la moindre alerte ! Je tente de me contenir et de ne pas m'étaler en bordant la patinoire, à la recherche de neige tassée, zigzaguant de droite à gauche, et de gauche à droite. A l'unique petite boutique nous effectuons une longue pause, préférant rester au chaud dans un coin de l'entrée, plutôt que d'avoir à attendre plus tard au froid. Anton me taxe 40 roubles pour acheter un paquet de cigarettes. Plus de tabac et plus d'alcool depuis la veille. Le retour tourne au sevrage. Les premières bouffées transpercent la brume. Le bus du retour nous déposera en gare en moins de 3h. Les chemins direct sont encore les plus courts !
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Photos de  "Lac Ladoga et forêt de Carélie"

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Saint Petersbourg/Carélie

Retour à Saint Pétersbourg

Le train de nuit pour Saint Petersburg est en avance. Moi aussi, ça tombe bien. Je suis mon wagon qui avance sur le quai et ralentit au rythme de la locomotive. Dans la nuit profonde-il est 4h30 du matin-le silence, les lueurs, je troque ma tenue encapuchonnée contre mon tee-shirt jaune Picacchou, et mon short fin de coton gris, prépare mon lit après avoir demandé les draps à la provonitsa. Je grimpe sur mon lit dans des contorsions bien rodées et me laisse emporter dans le ronronnement mécanique régulier du train qui se met en branle. La particularité de voyager seul est qu'on a parfois du mal à l'être. Depuis une semaine je n'ai pas réussi à trouver le calme et l'isolement pour arriver à feuilleter les pages d'un bouquin. Les hôtes peuvent être si attentifs à ce que l'ennui ne gagne pas qu'ils redoublent d'inventivité pour ne pas nous laisser prendre ce risque.  Ils n'imaginent pas que la solitude puisse ne pas être un acte de bravoure, mais une bulle de temps suspendu. Edvokia me demandait l'autre soir si vivre seul et sans enfant n'était pas ennuyant. Me voilà revêtis de l'habit de super héro, ou de celui que l'on doit plaindre. Capter l'ennui pour le faire prospérer, en suspendre son vol pour le rendre créateur. Je vois pour ma part beaucoup plus d'héroïsme à voir gesticuler 2 gamins en longueur de journée, braillant pour des motifs qui me dépassent, et accaparant un temps qui est devenu mon allier. A 13h j'ai quitté la gare, arpenté les escalators verticaux du métro, rejoint la petite auberge du centre ville ou je retrouve tout mes repères de début de voyage.
J'ai abandonné le prestige des forêts pour me replonger dans celui des palaces, pour une virée dans les galeries de l'Hermitage. Un reflet dans un verre de cristal, le trait fin d'une peinture, ou les dorures d'une salle de réception captent mon attention. Des pépites de beauté dans un ensemble tout en démesure.  Je parcours les salles la tête dans les marqueteries et les plafonds ornementés. Je tiens à terminer mon séjour dans ce que Saint Petersburg a de plus raffiné.
Sam : La boucle reste à boucler. Alors je tire sur la sangle de mon sac, revisite mes premiers instants en commandant un café et un croissant au chocolat dans la boutique au nom français ou jouent des airs bien de chez nous (ouh ouh). Je tiens en mes mains un ouvrage bilangue de la Carmen de Mérimée qui s'expatrie bien au-delà de l'Andalousie. Je quitte le centre et retrouve ma Carmen blonde dans un restaurant de cuisine asiatique et caucasienne. Maya arrive les cheveux impeccablement attachés. "What about Charlie?". Une provocation selon elle, bien qu'elle se garde bien d'étendre sa pensée à la population russe. Je tente de lui expliquer pourquoi nos journalistes sont morts. C'est ça la France, ajoutais-je. Pour elle c'est Deneuve, Mathieu, Piaf, Belmondo, Delon, Dassin. Prés du Kremlin à Moscou, le leader du parti d'opposition à V Poutine vient d'être assassiné. C'est aussi ça la Russie pensais-je.
  
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Saint Petersbourg/Carélie


Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeuxMarcel Proust