Russie: Transsibérien et lac Baikal

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Carte transsibérien

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Carte du lac Baikal

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Introduction
Partie 1: Moscou, capitale effervescente
        Vladimir
        Salsa!
        Un créateur français à Moscou
Partie 2: De Moscou à Irkoutsk
        Tatiana
        2 végétariens à Ekatérinbourg
        Nous évitons l'orage
        Rencontres dans le transsibérien
        Krasnoiarsk
        Maria, mère courageuse
        Irkoutsk, dans les pas de Christian
Partie 3: Lac Baikal, le reve sibérien
        Station météo de Solnitchnaia
        Serguei, Natacha et le cap Pokoiniki
        Là où coule la Léna
        La cabane de Sylvain
        Le cousin du lac
        Le livre de la nature
        Peche miraculeuse?
        Volodia et la cabane
        Rencontre avec Alexey
Partie 4: D'Irkoutsk à Vladivostok
        Diner chez Igor
        Oulan Oudé et Héléna
        54 heures...
        Sergey de Khabarovsk
        Vladivostok..."Ici c'est l'est !"
        Natalia et Vadin
        La Russie en 8h30

Introduction

  Exister, c'est se projeter. Se projeter, c'est inventer des projets. Ils s'associent pour moi à imaginer des voyages. La recherche d'un projet estival nous aiguille vers l'Amérique du sud, sur la trace des incas ou sur la piste des gauchos. Bolivie, Pérou, Argentine : si ces pays nous emmènent sur le terrain de l'inconnu et de l'aventure, ils ne délivrent pas l'objectif convaincant que j'impose à un tel voyage. Les dernières discussions entre amis m'ont orienté vers un retour à soi même, un retour à l'essentiel. Cette volonté d'exister exige un contact étroit et privilégié avec la nature. Mes lectures m'ont emmené dans des espaces vierges où l'homme peut vivre simplement, hors des contraintes de notre société contemporaine, sans superflu, sans excès, en simple harmonie avec son environnement.. David Henri Thoreau a poétiquement décris et raconté ses deux ans passés dans une cabane en bois, non pas isolé du monde, mais seul au coeur de la nature américaine, ouvert à chaque rencontre, brève ou longue. Sylvain Tesson a tenté l'expérience au bord du lac Baikal pendant six mois. Des noms, des lieux qui font rêver. La sensation grandissante que le vrai se trouve dans ce contact étroit avec le monde originel. J'ai grandi à la campagne et je sens les racines profondes de cette terre que j'ai foulé me convier à lui accorder davantage de place. C'est à elle que l'on doit le droit de manger, de respirer, en un mot de vivre. Soyons plus à son écoute pour être davantage à l'écoute de soi. Des reportages me portent en Mongolie avec Rendez vous en terre inconnue et l'essence de ce discours que défend avec tellement de passion et de coeur Gambat, un homme Tsaatan qui vit dans la taïga mongolienne : " Quand je pars à la chasse, tout seul, je dors à la belle étoile pendant un mois. J'allume mon feu, je sors ma petit marmite, je fais chauffer mon thé, je prends des branches pour me faire un lit et je suis l'homme le plus heureux du monde. Chez nous, on dit : " le bonheur d'un homme est dans l'immensité de la Taïga ". Ici, mon coeur est pur et je me sens paisible. Depuis ma naissance, je me sens bien ici. Je fais ce que je veux. Si mes enfants ont faim, je n'ai qu'à sortir et tuer un gibier. Pour l'eau, il y a la neige et les rivières. Alors, dîtes moi, de quoi d'autre est-ce que j'ai besoin ? Et bien, de rien… J'ai une famille en bonne santé, j'ai un toit, j'ai tout. Je vais vivre comme ça jusqu'à ma mort et ça me plaît. Je ne suis pas obligé de regarder mon ombre courir à côté de moi comme vous en ville. Pour moi, c'est ça le bonheur ! "

  Je sens le besoin de retrouver ce coeur, ces racines, de sentir battre le poumon de la terre. De l'Amérique du sud, les recherches se déplacent vers l'est. La Mongolie présente une nature intacte, vaste, sauvage. Retrouver ses peuples minoritaires pourrait être un défi qu'il me plairait de relever. Côtoyer ses grands espaces en chevauchant une monture des jours durant me donne un élan sans restriction. Pour rejoindre les steppes mongoles, il est nécessaire de passer en Russie. Alors dans ce cas pourquoi franchir la frontière Russe pour rejoindre la Mongolie ? Quitte à parcourir des milliers de kilomètres d'histoire, pourquoi céder à la tentation de quitter les limites d'un seul territoire si vaste qu'une vie ne suffirait à l'explorer? Et puis la Russie est le pays des démesures, celui de la plus grande réserve d'eau douce mondiale : le lac Baikal, formant une grosse tache bleue sur mon atlas. Ce nom résonne comme terrain d'aventure et d'exploration. Ce lieu a fasciné et fascine toujours les plus grands voyageurs. Qu'est ce qui exerce cette attraction si forte ? Cette vaste étendue d'eau douce couvre une superficie gigantesque dont les cotes demeurent difficilement accessibles. N'est-elle pas le lieu idéal pour s'insérer dans une nature authentique ?

  Nous voici projetés en Russie, sur les pas des tsars. Une curiosité nouvelle et profonde à rencontrer ce pays m'anime soudain, si lointaine de mes pensés d'hier. A bord du transsibérien, un des trains les plus mythiques au monde, nous traverserons ce pays d'ouest en est, sur les pas de Michel Strogoff. Depuis Moscou il faudra traverser 7 fuseaux horaire pour parcourir plus de 9000 kilomètres de rails, de rêve, et d'histoire jusqu'à atteindre Vladivostok. Il nous faudra près de 7 jours pour quitter la capitale, traverser l'Oural, la Sibérie et l'extrême orient. Nous nous élancerons à travers une steppe à la beauté légendaire dans des espaces d'une immensité vertigineuse, traversant tour à tour les plus longs fleuves de Russie. De train en train, de ville en ville, dans ce pays en pleine mutation, nous ferons des rencontres aussi inattendues que généreuses, alimentant notre désir d'apprendre à connaître le peuple russe, de côtoyer son ame touchante. C'est depuis Irkoutsk, que nous partirons à la découverte la " mer intérieure ". Le Baikal nous offrira une occasion rare de naviguer au coeur d'un écosystème fabuleux. Sur ses berges nous rencontrerons des hommes et des femmes atypiques qui nous laisseront entrer dans le quotidien d'une vie exceptionnelle. En allant nous isoler dans une cabane à des dizaines de kilomètres du premier village, nous gagnerons le privilège d'entrer en contact avec une nature protégée, intacte, et d'oublier les tracas du quotidien pour se consacrer à l'essentiel. Sibérie, Baikal, taïga : autant de promesses d'un autre monde qui défient la géographie et alimentent les fantasmes...
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Partie 1: Moscou, capitale effervescente

Vladimir

19/07 :
  A 3h50 un taxi nous attend devant l'appartement de Nicolas à Bordeaux. 20 minutes plus tard il nous dépose à l'arrêt minute de la gare Saint Jean où nous prendrons un TGV de nuit qui foncera à plus de 200 kilomètres à l'heure vers Paris. Nous somnolons sur les sièges durs et peu confortables du train. Arrivés à Montparnasse il faut encore prendre le métro, puis le RER afin de rejoindre l'aéroport Charles de Gaulle. Un vol rapide de 50 minutes nous dépose à Düsseldorf pour un transit éclair d'une demi-heure. Nous montons à bord d'un Boeing 737; avion de taille moyenne pour un vol loin des longs courriers outre atlantiques. Trois heures seulement pour traverser l'Allemagne, la Pologne, la Biélorussie, et voler vers l'Europe orientale, à destination de Moscou. Le temps de lire quelques pages, et de dîner : je m'endors. Lorsque je rouvre les yeux, la tête lourde, l'avion s'apprête à toucher le sol. A l'extérieur du hublot les forets s'étendent aussi loin que la vue le permet.
 
  Nous prenons une file pour le passage de douane. Mauvaise pioche. Derrière son comptoir, la fille est d'une lenteur harassante. Les passagers des guichets voisins nous dépassent. Nous faisons du sur place. Une femme et son enfant sont bloqués devant le comptoir depuis plus de 15 minutes. Nous changeons de queue et de douanier. 2 signatures, et quelques tampons plus tard, nous voici en Russie ! Un train express nous emmène en 45 minutes jusqu'à son terminus, au nord de la ville. Première indication : les alentours de la ville sont très boisés. Nous longeons des forets où surgissent, en se rapprochant du centre, de vieux blocs d'habitations. En même temps que de pays, nous avons changé d'alphabet. Tout ce qui est écrit l'est désormais en cyrillique, ce qui nous demande plus de temps pour déchiffrer les informations et se repérer. Ce sont nos premiers pas dans Moscou. Nous traversons la ville à travers les galeries de son métro supersonique. Nous changeons de ligne, et descendons à la station Timiryazevskaya. Là nous attend Vladimir.
 
 
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C'est un ingénieur de 24 ans, pour le moment sans emploi, vêtu d'un débardeur, d'un short et de claquettes. La nuit tombe à peu près aussi tard qu'en France, mais à l'heure qu'il est les ruelles et passages que nous empruntons sont sombres et non éclairés. Il faut encore marcher 25 minutes. La chaleur est tombée et un petit air frais rafraîchit désormais l'atmosphère jusque là très lourde. A minuit nous posons enfin les sacs. Deuxième impression : Moscou est une ville à taille démesurée et se déplacer prend du temps ! Vladimir habite un appartement dans un ancien bâtiment. L'appartement est vieillot, le mobilier ancien, la décoration typique ; la tapisserie verte du couloir est décollée, les planchés usés, le lino passé. Dans la petite cuisine, la gazinière ancienne est recouverte de graisse, l'évier bouché par les déchets. Un micro onde repose sur un petit frigo. La table couverte d'une toile cirée est posée contre un meuble en bois sale sur lequel une télé veille. Vladimir nous réchauffe un borshch, soupe traditionnelle de légumes avec tomates, carottes, et betteraves qui donnent une couleur sanguine, à laquelle sont ajoutés des morceaux de viande. Nous gouttons la Kwas, une boisson fermentée non alcoolisée et très rafraîchissante. Vladimir est jeune, mais dans l'ambiance de son appartement, nous sommes plongés dans une Russie d'antan, celle des clichés et du passé. Je projette mentalement un vieil homme accoudé à la table, trempant son pain dans la soupe froide, écoutant les infos sur la chaine nationale. Vladimir est notre premier hôte mais aussi notre premier contact dans ce pays que nous découvrons. Nous parlons de traditions, de l'évolution d'une Russie en pleine mutation. Vladimir se dévoile et s'ouvre à nous avec facilité et entrain. Dans la grande pièce principale, nous préparons le lit 2 places, mettant les draps sur les matelas juxtaposés. Un tapis ancien est accroché au mur. Je me rafraîchis dans la salle de bain surchauffée par des tuyauteries brûlantes. Il est presque 2 heures. Nous somme levés depuis 24 heures.
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Salsa

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20/07 :
  Nous nous levons plus tard que prévu. Nous avions besoin de récupérer. La fenêtre sans rideau ne nous a pas empêchés de dormir. Les masques emportés en prévision des nuits claires dans les trains ont parfaitement tenu leur rôle. Vladimir se lève tard également. Nous prenons le thé puis sortons ensemble pour les obligations administratives. Sans son aide ces formalités s'avéreraient être une vraie galère. Nous prenons un minibus pour nous rendre dans un bureau situé dans bâtiment difficilement identifiable. C'est ici que nous devons récupérer nos billets de train commandés depuis la France. Les deux filles qui travaillent sur les ordinateurs de l'unique pièce de l'agence ne parlent pas l'anglais. Nos tickets en poche, nous nous rendons au bureau d'enregistrement des visas le plus proche. Comme si l'obtention de ce laissé passer n'était pas assez complexe, il faut encore se faire enregistrer dans les trois jours après notre arrivée sur le territoire. Je vois là une taxe non officielle, car sans parler la langue Russe, il est impossible de réaliser les démarches sans payer. La législation aurait changé ou bien la femme n'a pas envie de sortir les tampons ; toujours est il qu'elle nous fait savoir que nous n'avons pas besoin de nous faire enregistrer. Qu'il en soit ainsi ! Vladimir est notre guide privilégié. Une vraie chance. Sur le plan les agences visitées ne sont qu'à quelques rames de métro. Concrètement nous marchons un bon moment puis roulons de longues minutes assis dans le minibus.

  Les démarches effectuées nous filons à vive allure dans le métro vers le cœur de la ville pour découvrir la célèbre place rouge. Gigantesque place ouverte, entourée de bâtiments superbes dont l'élégant centre Goum abrite aujourd'hui des boutiques de luxe. Au centre de la place, le mausolée de Lénine attire de nombreux curieux. Coté rivière, la basilique Basile-le-Bienheureux se dresse avec fière allure comme emblème de la capitale. Cet ensemble de cathédrales orthodoxes affichent des couleurs vives sur le fond bleu du ciel sans nuage. Devant le Kremlin nous assistons à 14 heures à la relève de la garde du soldat inconnu. Chorégraphie militaire à la gestuelle parfaite. Vladimir nous laisse après nous avoir accompagnés dans la rue Ul Arbat où nous allons chercher quelque chose à manger. Il fait chaud et nous 
marchons beaucoup; nous sommes soulagés de nous asseoir pour commander un plat. Seule surprise que nous n'avions pas anticipée: le montant de l'addition élevé ! Nous revenons vers le Kremlin, et pénétrons dans ce centre de l'église orthodoxe, incarnation du pouvoir politique. Le site est ceinturé par 2,5 kilomètres de fortifications. 5 églises entourent la place principale, coiffées de dômes dorés. L'intérieur est surprenant par sa décoration fine et élaborée autant que par les courbes de son architecture. Nous trouvons un peu de repos dans l'agréable jardin secret orné de parvis floraux. La fatigue et la marche en ville dans cette capitale dense sous une chaleur accablante rendent nos organismes pesants. Autre constatation : A Moscou les femmes sont souvent élégantes, habillées léger, les jambes nues, le buste droit. La Russe n'a t'elle pas dans notre imaginaire des charmes caractéristiques des pays d'Europe de l'est ?

  Nous avons rendez vous en fin d'après midi avec Vladimir qui rentre d'un entretien de travail. Nous enjambons la rivière Moskova sur un pont qui offre une vue splendide sur la ville et le Kremlin dont les coupoles pointent. Sur l'autre rive, au chaud soleil apaisé de la fin d'après midi, un rassemblement d'hommes et de femmes dansent aux rythmes entrainant de musique salsa. L'occasion est trop forte pour Luisa qui suit Vladimir dans ses pas guidés par un professeur, le long de la rivière. Alexey- un ami de Vladimir- nous rejoint pour aller marcher dans le parc Gorki. C'est un cadre agréable, un poumon vert qui sort complètement de la mégalopole moscovite. Sur un petit lac quelques amoureux flirtent sur des pédalos. Cafés et restaurants donnent une note jeune et branchée. Alexey est de bonne compagnie et nous conte nombreuses anecdotes sur le parc. Nous faisons demi-tour alors que le ciel devient de plus en plus menaçant, puis longeons la rivière, suivant les bois qui s'étendent. Définitivement le temps et les distances ne se mesurent pas de la même manière à Moscou que chez nous. Nous marchons les jambes lourdes puis grimpons à travers les collines boisées jusqu'à atteindre une route qui offre un point de vue panoramique sur Moscou. Que le Kremlin est loin! La piste olympique de saut à ski s'élance vers la rivière. Nous poursuivons jusqu'au campus universitaire. Magnifique bâtiment gigantesque d'un seul bloc massif et élevé, éclairé dans la nuit désormais installée. Nous continuons pour rejoindre une bouche de métro située pas très loin; ce que nous traduisant par " pas très proche! ". Je ne sais plus. Mes jambes n'évaluent plus les distances. Du sud ouest de la ville il faut traverser le centre pour allier le nord est. En chemin nous laissons Alexey. Le métro de la capitale à la réputation de grand rapide est d'une efficacité épatante. 30 minutes de marche supplémentaire et nous arrivons à l'appartement.
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Un créateur français à Moscou

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21/07 :
  Nous dormons encore lorsque Vladimir sort pour un nouvel entretien de travail qui, tout comme celui de la veille se passera bien. Nous attendons avec impatience son retour car nous n'avons pas les clefs de l'appartement. Il est presque 12h lorsqu'il tourne la poignée de la porte d'entrée. Nous tentons de gagner la place rouge pour visiter le mausolée de Lénine avant qu'il ne ferme. Nous avons une heure devant nous. Vladimir nous accompagne jusqu'au métro. 5 arrêts sur la ligne grise, puis un changement et 1 arrêt sur la ligne verte. L'efficacité et la rapidité de ce métro me bluffent. Nous gagnons la place rouge au pas de course. Nous sommes tout transpirants mais il est 12h50 lorsque nous arrivons à la barrière d'entrée, soit 10 minutes avant la fermeture. Ouf ! Les efforts n'auront pas été vains.
" Mausolée ?" questionnons-nous
" Closed " répond  la gardienne à l'entrée.
Oh non...il est 12h50 !
" Please mausolée "                                                                 
" Closed ", reprend la gardienne d'un ton sévère.
Et bien c'est raté. Déçus de ne pouvoir visiter le mausolée qui contient la dépouille momifiée de Lénine nous faisons un tour sur la place dont nous avons désormais une première impression en tête. La place en devient plus superbe. Nous la quittons pour nous réfugier dans un lieu peu exotique, anxieux de nous faire avoir alors que nous sommes dans le quartier touristique : Mac Donald ! Pas très local certes, mais au moins nous n'aurons pas la désagréable surprise des tarifs pratiqués.

 
Nous allons ensuite au musée d'art Pouchkine devant lequel une longue file d'attente s'est constituée sous le soleil brûlant. Des femmes élégamment vêtues constituent essentiellement cet attroupement. La raison apparaît rapidement : une exposition Dior est actuellement présentée à l'intérieur du musée. En passant l'entrée nous pénétrons dans l'univers du créateur français. Une atmosphère de haute couture présente les créations dans un cadre magnifiquement mis en scène. Les robes portées par les grandes célébrités au cours de grands événements sont exposées à la lumière de projecteurs, sous la rétrospective de documents vidéo noirs et blancs. Un hommage et une mise en scène réussis. Nous allons ensuite explorer les salles du musée proprement dit. Diverses périodes et diverses thématiques, mais au final peu d'attention portée sur les œuvres, excepté sur un Van Gogh devant lequel je m'attarde longuement.

  Je ne me sens pas très alerte. Les longs déplacements dans la ville sont épuisants. Nous allons jusqu'au théâtre Bolchoï voir à quoi ressemble de l'extérieur le fameux siège des plus beaux ballets du monde. De là nous marchons jusqu'à la rue Tverskaya, les Champs Elysées moscovites. Avenue gigantesque le long de laquelle les boutiques se succèdent, soldées et peu fréquentées. Zone commerciale peu intéressante nous filons en métro jusqu'au quartier de l'Arbat. De larges rues piétonnes sont un peu de répit dans la tourmente citadine. Instants pour flâner, se désaltérer, photographier, capter l'atmosphère plus paisible et plus relaxée. Il n'est pas facile de sentir l'âme d'une capitale en pleine métamorphose. Comme chaque soir l'orage gronde et ce soir la pluie tombe drue et longuement. Nous nous abritons sous une terrasse de restaurant. C'est à ce moment là que nous assistons à une scène de violence d'abord difficilement compréhensible. Un jeune homme s'en prend à une voiture immobilisée sur le bord d'une voie de circulation. Il frappe le pare brise, détruit le rétroviseur extérieur de plusieurs coups de pied. Il monte sur le capot avant, et fait exploser le pare brise en s'acharnant dessus. Le conducteur s'affole et démarre en trombe. Le jeune se baisse et prend dans ses bras son chien inerte...

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22/07 :
  Le rythme est pris de se lever assez tard. Nous allons faire des courses. Cet après-midi  nous quittons la capitale. Au retour Luisa prépare à manger un plat de pates à la tomate avec son élève attentif. Nous échangeons longuement sur nos habitudes culinaires. Une complicité s'est établit entre Vladimir et nous. Je garde fortement à l'esprit de Moscou une ville aux dimensions pharaoniques où nos repères d'espace et de temps doivent être revus. 20 millions d'habitants : ça remue, ça s'agite. Du bruit, du monde, des voitures. Une ville aux dimensions surhumaines. Chaque jour 10 millions de personnes empruntent les couloirs du métro. De temps à autre un coin de repos comme l'agréable quartier de l'Arbat. Mais qu'est ce que cette capitale garde du passé? En apparence pas grand chose. De vieux bâtiments datant du régime. Aux cafés traditionnels ont succédées des chaines de restauration toutes identiques ou presque. La mode a envahi les rues, et les jeunes s'octroient le droit de se montrer ici plus qu'ailleurs. Il suffit de se promener dans les rues et observer les femmes se pavaner dans des tenues toutes plus courtes les unes que les autres. Des voitures, beaucoup de voitures récentes, et de temps à autres un souvenir du passé. Ici ou là un Staline revenant vend la vieille " Pravda " de l'époque au coin d'une bouche de métro ; une musique éveille les souvenirs d'un temps déjà ancien. Les jeunes semblent avoir tout gagné. Difficile de l'entendre ainsi pour les plus vieux pour lesquels la vie est devenue plus dure. Il suffit d'écouter Vladimir relater la parole de ses grands parents. Nous allons quitter Moscou et l'appartement aux doubles fenêtres pour la gare Kazanski, porte de sortie vers la Sibérie, vers une longue route qui nous conduira jusqu'aux confins de la Russie orientale.
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Photos de Moscou

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Partie 2: De Moscou à Irkoutsk

Tatiana

  Gare de Kanzanski. Au milieu des inscriptions indéchiffrables et des messages sonores incompréhensibles, nous trouvons aisément les quais et notre train. La provonitsa vérifie nos billets et nos passeports, puis nous montons à bord prendre nos places. Numéro 15 et 16. Nous sommes à bord du train " Oural ", à destination d'Ekaterinbourg. Je suis agréablement surpris par le confort du wagon. Nous voyageons en troisième classe pourtant nous avons une large banquette pour 2. Elle sera mon lit. Au dessus, le lit de Luisa me servira de salon de lecture en journée. Des matelas avec des housses et des draps sont à disposition sur un rangement au dessus du lit supérieur. Une table suffisamment large pour manger sépare nos banquettes de deux autres. Sous les lits du bas un coffre permet de ranger les sacs. 16h57. Le train se met en branle. Le départ est donné pour une traversée de près de 10000 kilomètres Nous l'entrecouperons de plusieurs étapes. Nous quittons le fuseau horaire de Moscou à bord du train numéro 16. Les longs voyages font du train un espace où l'on doit se sentir comme chez soi. Ce train devient une seconde maison. Tout le monde se met à l'aise, se change pour revêtir des vêtements amples, se déchausse pour mettre des tongs ou des claquettes. Parfois les hommes se mettent torse nu. Face à nous, dans notre compartiment Tatiana sera notre premier compagnon de voyage. La cinquantaine, elle travaille pour une compagnie d'assurance. Tant bien que mal nous essayons de communiquer. A l'aide de notre guide de conversation russe nous piochons des mots pour tenter de donner du sens à notre dialogue. Avec patience nous arrivons à échanger quelques informations. Tout l'art est là ; la patience sera notre meilleur allié durant ce périple. Le train s'immobilise sur les rails d'une gare de ville dont j'ignore le nom. Sur les quais des vendeurs en tout genre assurent l'animation. Lustre, verre, décoration de cristal de production locale. Poissons fumés, poulets cuits, boissons...La curiosité pousse le passager à descendre. Lecture, repas, discussion hasardeuse. Le train numéro 16 poursuit sa marche. Nous commençons la traversée de la Russie. Le train est propre, spacieux, calme. Nous entamons une partie de carte. Tatiana nous observe. Elle a appris ce jeu dans le passé et accepte sans hésitation l'invitation de se joindre à nous. Elle me reprend même lorsque j'ouvre une main sans en avoir le droit. On ne peut donc même pas tricher? 22h15. Les lumières s'éteignent. Tout le monde est au lit, parfois depuis longtemps. Nous ne tardons pas à en faire autant.
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Photos du transsibérien

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2 végétariens à Ekatérinbourg

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23/07 :
  Bercés par le rythme du train qui file sur le rail à une moyenne de 60 kilomètres par heure, je regarde défiler l'espace à la clarté des fenêtres aux stores ouverts. Il règne un grand calme dans le wagon. La plupart des passagers sont allongés sur leur couchette, emportés par les secousses régulières du rail. Je me réveille souvent. Je regarde ma montre dont les aiguilles me paraissent arrêtées sur 4h14. A moins que ce ne soit le temps qui soit figé ? Pourtant l'aube finira par poindre. A sa vitesse modeste, le transsibérien semble assujetti à la relativité du temps qui se dilate. Durant le sommeil nous avons traversé la Volga. Hier les forets ont accompagné le début du trajet. Des villages de maisons en bois peuplaient les bords de la voie. Des forets à perte de vue courent sur des territoires immenses. Le rythme est dicté par des cycles bien récurant : Petit déjeuner, sieste entrecoupée de lecture, déjeuner. Les paysages se vallonnent en approchant les montagnes de l'Oural. Le long de la voie ferrée des travaux d'emménagement ont débuté pour la construction de la future ligne à  grande vitesse qui reliera Moscou à Ekaterinbourg en seulement 8 heures au lieu de 25 aujourd'hui. Un pas de géant dans la communication de ce pays. Halte à Krasnoufimsk où nous changeons de nouveau de fuseau horaire pour être désormais à l'heure de Moscou plus 2. Un énorme lac aux contours escarpés offre un site de loisirs nautiques- jet ski, ski nautique- vers lequel s'échappent, le week end, les habitants d'Ekaterinbourg. A une heure de l'arrivée, tout le monde se prépare. On plie les draps, range les matelas. Les femmes se maquillent. Nous quittons un petit univers où les visages sont devenus familiers après 25 heures de cohabitation. 1800 kilomètres nous séparent de Moscou, laissant à l'ouest les monts Oural. Nous voici à Ekaterinbourg, notre première escale.
  Nous cherchons le métro et en descendons 3 arrêts plus loin, au terminus de la ligne verte. Nous sommes amusés de constater que les tickets de métro sont ici des jetons comme ceux qu'on utilise pour faire un tour d'auto tamponneuse. A ceci prêt qu'ils sont poinçonnés d'un M ! C'est ici que nous rencontrons Anatoly. 30 environs, vêtu d'un tee shirt jaune, il nous accueille, tout souriant. Nous le suivons dans les rues de la ville qui en première impression nous apparaît plutôt calme et riante. En suivant des allées de terre bordées de bandes boisées, puis longeant un jardin d'enfant, nous atteignons une artère principale que nous traversons avant de 
rejoindre l'immeuble où il vit. Au quinzième étage nous rencontrons Olga, sa femme depuis un an. Elle ne parle pas très bien l'Anglais, aussi la conversation se fait par l'intermédiaire d'Anatoly. Leur appartement est très bien emménagé, l'intérieur refait à neuf, alors que les murs étaient initialement de béton. La décoration est moderne. La salle de bain emplie de produits de beauté. La terrasse  donne une vue plongeante sur une partie de la ville. 1,2 millions d'habitants, et ce qui est étonnant est qu'au delà des limites de la ville, tout autour s'étend la foret. Olga nous a préparés une délicieuse soupe de pommes de terre, champignons et crème, puis une tarte aux myrtilles accompagné de thé vert à la menthe. Un petit festin bien apprécié. Luisa est tout aussi surprise que moi d'apprendre qu'à coté, et en d'autre lieux, des villages sont interdits d'entrée. Des recherches sur le nucléaire circonscrivent ces sites. Seules les familles  des scientifiques sont autorisées à y pénétrer. Sur ce sujet devenu sensible en France et en Europe, suite à l'accident de Fukushima, Anatoly ne voit pas surgir de véritable problème. Le nucléaire n'est pas tabou, ni effrayant. Pour eux l'électricité produite est moins chère, ce qui constitue une raison suffisante pour exister et subsister. Le souvenir de Tchernobyl existe mais il reste un souvenir. Olga peint et a entrepris il y a un mois la reproduction d'une peinture de Klimt sur une toile aux grandes dimensions. Son ouvrage en partie réalisé seulement représente à lui seul son univers artistique, fait de patience et d'inspiration.
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Nous évitons l'orage

24/07 :
  Bien qu'il fasse chaud dans l'appartement nous avons bien dormi sur le matelas pneumatique rapidement gonflé au compresseur, et installé dans le salon. Pas de volets, pas de rideaux, mais nous en avons désormais l'habitude car il en est ainsi dans tous les logements de Russie. Olga nous prépare un porridge pour le petit déjeuner, ainsi que de la banane coupée, avec de la tarte aux myrtilles de la veille et du thé à la menthe fait maison. Lorsque nous sommes prêts et rassasiés, après de brèves discussions et séances photographie de nos hôtes, nous sortons profiter de la ville. Nous rejoignons un cours d'eau que nous longeons le long des berges ombragées qui conduisent à un grand bassin. Dans ce quartier se tiennent plusieurs musées que nous n'avons pas le temps de visiter. Des bâtiments imposants ont fière allure. Plusieurs églises aux coupoles dorées, un mémorial de l'ancien tzar Nicolas 2 Romanov assassiné dans la ville, jonchent notre parcours. La ville est agréable et très boisée. Dans un petit restaurant nous commandons des plats typiques, choisis à l'aide des photos illustratives. Le choix est bon car les deux salades commandées sont excellentes. Luisa mange une macédoine de légumes servie dans une betterave cuite avec des morceaux de poisson et de pommes de terre cuites à l'eau. Quant à moi haricots verts, noix, poulet, mayonnaise, poisson et salade, plus boulettes de riz font de mon assiette un plat aussi beau que délicieux.
" Chiotte ? " me demande le serveur, une fois les assiettes terminées.
" Pardon ? " rétorquai-je, surpris de sa demande
" Chiotte ? " répète t-il
Mon oreille me joue des tours. Mon interprétation prête à confusion. Il me demande simplement l'addition : schiot !
Nous rejoignons une grande rue piétonne et commerciale. Luisa salive devant de grandes galeries.

  Nous avons rendez vous à 17h chez Anatoly. Nous sommes ponctuels et heureusement pour nous. Nous venons de claquer la porte d'entrée lorsque l'orage qui menaçait s'abat. Des éclairs déchirent le ciel, le tonnerre gronde. La pluie s'abat et le vent se déchaîne avec violence. De grosses bourrasques déplacent des gerbes d'eau et font plier les arbres de manière inquiétante. Le spectacle observé depuis la terrasse est impressionnant. Des grilles arrachées virevoltent dans les airs comme des feuilles de papier. Puis l'orage se calme et repart aussi brusquement qu'il est arrivé. Le ciel sombre s'éclaircit de nouveau. L'eau ruisselle sur les avenues mais à cessé de s'abattre. Nous faisons quelques photos, rangeons nos affaires pendant qu'Olga et Anatoly mangent déjà. Ils sont tous les deux végétariens et tiennent un régime un peu particulier. Après 24 heures de halte nous sommes prêts à repartir pour la prochaine étape et affronter les kilomètres que nous réserve le transsibérien. Nous remercions nos hôtes et quittons l'appartement.

  
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Après un passage au supermarché nous prenons le métro et rejoignons la gare. Train pour Krasnoïarsk. Voie 1, wagon 6, places 38 et 40. La provodnitsa vérifie nos billets avant que nous montions puis traversions le wagon pour prendre nos places. D'un coté du couloir central des compartiments de 4 personnes. De l'autre coté des emplacements de deux personnes. Une couchette supérieure et deux places assises de part et d'autre d'une table qui se convertit pour former une banquette inférieure. Je me trouve sur une couchette du haut. Luisa a le même lit mais sur l'emplacement voisin, juste à coté de la porte des toilettes, de sorte que lorsque nous dormirons nous têtes seront l'une a coté de l'autre, séparées par une petite cloison. Nous nous attentions à un confort moindre par rapport au premier train. Nous voici servis. La tentative de changer de place afin de nous retrouver sur deux emplacements d'un même compartiment n'est pas concluante. A travers nos bafouilles et nos petits dessins pour tenter d'expliquer la situation, la provodnitsa semble nous répondre que ce n'est pas possible. Le train est plus spartiate, plus sale, et nous allons nous en accommoder pendant 32 heures. Il fait chaud, très chaud même à bord de la voiture sans air conditionnée dont les fenêtres sont fermées. On se dit que la traversée sera longue. Le voyage débute, la vie à bord s'organise. On commence par faire les lits ; on mange ; on joue aux cartes. On regarde le jour tomber sur le paysage qui défile lentement en se disant que nous sommes assis sur nos sièges dans une position au confort médiocre pendant un temps très long. Nous appelons un peu d'aide en avalant un somnifère léger pour traverser la nuit. Je somnole et finis par m'endormir après plusieurs tentatives. 00h45. On me réveille. Des passagers viennent de monter et une femme russe veut s'installer sous ma banquette libre. La table est encombrée par nos affaires. Je descends de mon perchoir retirer les bouteilles et le gobelet qui l'empêchent de convertir son lit. Je remonte, légèrement écrasée sous l'effet du somnifère. La femme me retape sur l'épaule. Elle veut savoir si les chaussures qui sont sur le coffre sous la table m'appartiennent. J'acquisse d'un hochement de tète. Les passagers qui viennent de monter conversent bruyamment. Je retombe dans un état de somnolence. Je me retourne et tremble en faillissant tomber de ma couchette étroite sans barrière de protection. 
Russie Transsibérien/Baikal

Photos d'Ekaterinbourg

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rencontres dans le transsibérien

25/07 :
  La nuit est agitée. Sur le matin, la fenêtre ouverte d'en face laisse entrer un air frai et rafraîchissant. Je passe les meilleures heures enroulées dans mon drap. Ma place assise est occupée. Une femme me laisse la sienne pour déjeuner avec Luisa. La vie à bord suit son cours. Nous parcourons un paysage monotone où la taïga défile clairsemée. Nous traversons OmskDostoïevski fut exilé. Nous avons laissé l'Europe depuis cette nuit et pénétré en Asie. Au kilomètre 2102 depuis Moscou nous entrons à présent enSibérie. C'est peut être pour cette raison que des vendeurs défilent dans les wagons avec des sacs de pull et de châles en laine et fourrure,. En d'autres circonstances je ne doute pas de l'intérêt que nous aurions pu porter et du succès de leur commerce, mais avec la chaleur qui règne à l'intérieur du train, j'émets des réserves justifiées. Deux jeunes filles nous interpellent. Elles nous demandent si nous parlons le Français et nous proposent de boire du vin. Elles viennent s'installer à nos cotés avec deux briques de rouge et de blanc espagnol. Anastasia et Svetlana sont deux jeunes russes qui ont terminé leurs études et partent vivre une expérience d'enseignement avec des jeunes en Chine. Anastasia aime parler et aborde nombreux sujets. Toute les deux viennent d'Omsk et nous parlent de leur région, de leur jeunesse. Nous conversons longuement dans les effluves des verres d'alcool. Je vais faire quelques pas pour me dégourdir les jambes. Trois compartiments plus loin un homme torse nu, le ventre gras, joue un air sur une guitare classique. Je l'interpelle. Il me dit qu'il interprète de vieux morceaux russes du livre de partitions ouvert sur la table. Il me tend la guitare; je gratouille quelques accords. Sur la banquette d'en face un jeune est à moitié endormi. Il est l'élève de l'homme torse nu. Le jeune fait le conservatoire et a gagné de nombreux prix dans toute la Russie. Sur la demande de son maître, il sort de son demi-coma, et joue avec classe et agilité tour à tour un tango français, brésilien, du jazz rock, puis du Back. Les deux filles nous ont rejoints. On assiste ensemble à un mini concert, applaudissant chaque morceau. Les femmes allongées sur les banquettes des compartiments voisins écoutent avec beaucoup d'admiration. On me retend l'instrument que je tente de dompter sans talent.

  Nous traversons un pont qui enjambe l'Ob, un des plus grands fleuves du monde. Nous arrivons à Novossibirsk. Beaucoup de monde descend; c'est le cas d'Anastasia et Svetlana qui prendront d'ici un avion pour la Chine. Avant de partir elles nous laissent leur excès de nourriture. Dans ce micro cosmos le train nous réserve des surprises aussi spontanées qu'inattendues. Nous prenons ces rencontres comme des cadeaux offerts par le transsibérien ; éphémères mais emplis de générosité, chaleureux et conviviaux. Et puis il y a aussi ces russes, froids et calculateurs, qui s'intéressent à leur personne avant tout. C'est le cas de cette fille qui occupe le même emplacement que Luisa. Elle déjeune en compagnie de son ami et fait semblant de ne pas comprendre lorsqu'on lui demande de libérer une place pour pouvoir à notre tour manger. Elle détourne le regard et ne se soucie guère de ce qu'on lui raconte. Elle représente un cliché peu vertueux de la femme russe telle qu'on la perçoit parfois en Europe. Mais la plupart du temps nos compagnons de route sont  charmants et agréables. La femme qui est assise sur une des deux places de mon emplacement en est une nouvelle illustration. Elle comprend la situation et libère sa place pour nous permettre de nous installer. Nous profitons de l'arrêt pour sortir et prendre l'air. Malgré les informations de la provonidtsa, je ne suis pas certain du temps d'arrêt en gare. Je demande confirmation 
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auprès d'un jeune sorti fumer. Il nous accompagne dans le hall de la gare. Ensemble nous sortons à l'extérieur admirer la plus grande gare de Sibérie. Le train reprend sa lente progression. L'heure locale change de nouveau. : Moscou + 4. Nouveau petit concert avec notre ami le musicien qui alterne entre phase de sommeil et temps de jeu.

  La provodnitsa est responsable de tout ce qui se passe à l'intérieur de son wagon. A chaque arrêt elle récupère les billets des nouveaux passagers, puis passe à leur place les leur restituer en fournissant les draps. Elle gère tout ce qui les concerne, tout comme le fait le contrôleur des trains européens. Si un voyageur d'un autre wagon s'attarde dans le couloir elle n'hésite pas à le rappeler à l'ordre pour qu'il rejoigne ses quartiers. Mais son role ne s'arrête pas là. Elle s'occupe aussi de l'entretien. 2 à 3 fois par jour elle nettoie le sol, passe le balai et la serpillière. Souvent ce sont des employés modèles qui parcourent les couloirs du train depuis des années ou des dizaines d'années. A intervalle de temps régulier un autre employé circule le long du train, poussant un chariot de friandises et de boissons.

  Je prépare un thé en nous servant un gobelet d'eau chaude au samovar installé en bout de wagon, à coté de la chambre de la provodnitsa. Le samovar est une petite chaudière chauffée par la chaleur du train qui permet de produire en permanence de l'eau bouillante. Cet élément est essentiel dans l'organisation de la vie du train. A tout moment les passagers vont et viennent se servir pour faire infuser un sachet de thé ou pour réhydrater les soupes, nouilles et autre purée en poudre.

  C'est la nuit. Le wagon est calme. Je suis les mouvements du train qui me bercent, scrute les gens endormis ou qui circulent le long du couloir. Je me remémore la journée, les rencontres d'un jour ou d'une heure, ces visages que l'on côtoie le temps d'un face à face volatile mais qui façonnent à coup de burins des empreintes profondes. 4 heures du matin. Le train  vient de faire un dernier arrêt avant  le notre. Les kilomètres défilent et nous filons vers l'est.
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Photos du transsibérien

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Krasnoiarsk

26/07 :
  Krasnoïarsk. Kilomètre 4098. 4h40. Nous entrons en gare. Je me suis fait remonter les bretelles par la provodnitsa car je ne trouve plus la serviette qu'elle m'avait remise. Je n'ai pratiquement pas dormi. Il fait frais en descendant du train. Nous passons deux heures dans le hall de gare, profitant de ce temps pour déjeuner, prendre un café et patienter avant d'aller prendre un bus et nous rendre chez Maria. A dix heures nous sommes devant sa porte. Elle descend nous ouvrir. Jeune, blonde, vêtue d'un pantalon de sport rouge, elle nous accueille timidement dans son appartement. Elle vit ici avec sa petite fille de 4 ans qu'elle a déposée chez ses parents pour nous recevoir. Elle possède également 2 chats. Nous ne sommes pas surpris de découvrir un appartement ancien avec du vieux mobilier. Le nécessaire est là bien que tout soit vétuste et désordonné. Maria parle l'anglais surtout depuis qu'elle s'est mise à rencontrer des étrangers. C'est une chance qui lui donne l'opportunité de donner des cours particuliers à son domicile. A 11 heures un étudiant arrive justement pour prendre une leçon. Durant la période scolaire elle en cumule jusqu'à 9 heures par jour. Si son anglais est médiocre, son français lui est balbutiant. Elle ne bafouille que quelques mots, et pourtant on lui a proposé de donner des cours. Avec pas grand-chose Maria saisit les opportunités sans trop se poser de questions. Elle saisit sa chance, aussi surprenant que cela paraisse.

  Nous la laissons travailler et allons dans le centre ville. S'y rendre depuis chez elle est très commode, et les déplacements en ville sont relativement simples. Il faut traverser l'Ienisseï. Le fleuve est très large à cet endroit. Sur la rive nous visitons le Nikolaï, bateau sur lequel Lénine fut exilé, et aujourd'hui reconverti en musée. On peut en particulier y voir la chambre dans laquelle le révolutionnaire était installé. Le temps a radicalement changé. Fraîcheur et pluie se sont invitées au menu de la matinée. Entre vent froid et soleil chaud, les écarts de température sont imprévisibles et pénibles. Nous marchons le long des artères principales, cherchant des bâtiments caractéristiques et des boutiques que nous ne trouvons pas. Nous retrouvons Maria chez elle à 20h45. Elle termine à l'instant un cours. Ensemble nous sortons et retournons en ville manger sous une yourte installée le long du fleuve. Une amie à elle nous y rejoint. Nous gouttons à de bons plats, installés sur des coussins à même le sol. L'ambiance feutrée du restaurant me donne une envie de plus en plus pressante de m'allonger. Je résiste. Il est 1h20. Exténués, nous prenons un taxi pour rentrer.
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Maria, mère courageuse

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27/07 :
  La longue nuit a été nécessaire et très récupératrice. Levés à 11 heures. A 12 heures la sonnette retentit. Maria reçoit sa première étudiante. Luisa et moi prenons un thé dans la cuisine. Lorsqu'elle termine le cours nous sommes prêts à partir. Maria n'avait pas compris que nous quittions Krasnoïarsk et sa compagnie dès aujourd'hui. C'est un drôle de personnage. Assez effacée, réservée, mais souriante et serviable. Nous avons peu échangé avec elle, souvent voués à nous même, mais avec la liberté simple et sans fioriture d'utiliser tout ce dont nous avions besoin. Maintenant qu'elle comprend que nous la quittons, et au moment de nous saluer, elle laisse échapper de petits sanglots retenus. Derrière son indépendance et sa vie de mère célibataire, elle se retrouve de nouveau face à sa solitude, laissant s'éloigner toujours plus loin les deux voyageurs que nous sommes, compagnons discrets d'une journée. Nous prenons le bus pour la gare. Acheter quelques provisions est déjà une aventure car les mots qui nous manquent constituent une barrière longue à contourner.

  Places 38 et 43. Nous sommes séparés par un emplacement mais cela ne pose pas vraiment de problème. Les passagers se déplacent mais également se relaient pour libérer les sièges afin d'être chacun son tour avec ses proches. Depuis Krasnoïarsk la température a fortement chuté. Cela constitue une aubaine pour voyager. Nous avons désormais des repères, et adopté un certain rythme. Les longues heures ne nous effraient pas. Nous parcourons des kilomètres au cœur de paysages somptueux. Nous nous faufilons dans la steppe sibérienne, revisitant presque en simultané les épreuves endurées par Michel Strogoff dont je parcours le récit depuis Moscou. Mais au loin aucune fumée, aucune maison ni village ravagé. Aucune trace d'invasion barbare de troupes Tartares en marche vers Irkoutsk.

  Un arrêt suffisamment long est toujours l'occasion de marcher le long des quais et de voir les marchants ambulants s'animer dès le train stoppé pour vendre leurs marchandises. La nourriture est partout présente. Manger est une des activités préférées à bord du transsibérien. A chaque instant, ici ou là, des voyageurs sont attablés pour mastiquer quelque chose de consistant ou grignoter un encas tout juste acheté. J'installe ma couche. Luisa est déjà dans son lit. Avec Michel Strogoff j'ai déjà atteint Irkoutsk, en reconnaissance, mais par les rails il faudra encore patienter une nuit…
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Photos de Krasnoiarsk

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Irkoutsk, dans les pas de Christian

28/07 :
  J'ouvre les yeux à l'aurore. Il fait frais et je suis bien enroulé dans mon drap. A travers la vitre les premières lueurs dessinent un filet rougeoyant horizontal sur la steppe infinie. Image poétique d'un réveil en douceur, et en couleurs. Nous sommes le 28 juillet. C'est l'anniversaire de Luisa qui comme souvent souffle ses bougies virtuelles en voyage. 9h30. Kilomètre 5177. Nous avons encore changé de fuseau horaire. Voici Irkoutsk. Nous stoppons en gare. Je n'ai pas encore bien conscience de ce que ce nom représente mais il évoque une porte d'entrée à bien des rêves, des lectures, des représentations. Il y a du monde sur les quais. Quelques sacs à dos également. Irkoutsk est le point de départ idéal pour aller découvrir le lac Baïkal. Dans le hall de sortie de la gare, Christian nous attend. C'est un autrichien d'une trentaine d'année venu vivre dans cette ville depuis le printemps pour un an et demi. Il donne des cours d'Allemand. Son Russe n'est pas parfait mais il peut déjà communiquer correctement. Nous prenons le tramway pour rejoindre son appartement au sud ouest de la ville. Il a eu de la chance de trouver un logement 2 pièces, spacieux avec terrasse, propre et refait. La vie ici lui plait. Son emploi du temps n'est pas surchargé aussi il sera notre guide pour la journée.

  Nous prenons donc un bus pour retourner vers le centre ville. Nous gagnons la place Kirova après avoir traversé la rivière Angara. Sur cette place une exposition de photographies confronte des prises de vue de la ville avant et après la chute du régime communiste. Nous constatons une évolution et un développement du centre mais également que des bâtiments importants ont été rasés pour y bâtir des blocs sans esthétique. A partir de là nous sommes engagés dans une course minutée à dédaller dans chaque recoin du centre, derrière la foulée
 
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rapide de Christian. Il nous montre les sites importants, églises, places, monuments. Nous découvrons le quartier des maisons en bois ornés de motifs sculptés. Nous achetons des fruits au grand marché central riche en produits et en couleurs. Nous déambulons au pas de course dans les allées du marché chinois qui tient une importante place. Nous faisons une pause très appréciée dans un petit restaurant à l'enseigne peu visible, déguster des posis. C'est une sorte de raviolis farcis à la viande et empli de jus. Il est bon d'être informés de ce dernier détail, sans quoi on se retrouve, après avoir croqué dans la pate, le tee shirt taché de sauce. La visite reprend. Elle nous laisse l'impression d'être deux touristes qui tentent de suivre le rythme diabolique de leur guide dont la mission est de nous faire voir un maximum de choses en un minimum de temps. Malgré cela la visite est intéressante et offre un vrai panorama d'Irkoutsk. Vers 15 heures Thomas nous rejoint dans un restaurant Ouzbek. Allemand d'origine, il a rencontré Christian ici. Il parle couramment le Russe, enseigne des cours à l'université et s'apprête à partir dans quelques jours pour une opportunité de travail au Kazakhstan. Il nous laisse après une longue pause, et nous reprenons notre tour de ville sous le soleil brûlant qui a rapidement réchauffé les fraîches températures matinales.
Nous rejoignons les rives de l'Angara. Sur la terrasse d'un café nous sirotons une bière. Nous discutons du pays, de ses auteurs, dans la mélancolie d'une musique d'ambiance sur les bords du fleuve : un moment rafraîchissant où nous prenons enfin le temps de nous imprégner. Je sens désormais que ma présence  en ce lieu n'est pas anodine, ni neutre. Irkoutsk commence à me parler. Mystérieuse. Difficile d'imaginer les températures hivernales lorsqu'on ressent les brûlures du soleil sur la peau en juillet. Je pense au Baïkal, à ceux qui ont parcouru cet univers atypique, à la plongée qui nous attend. Nous rentrons, puis mangeons chez Christian dont l'attitude  nous laisse froid. Peu bavard, peu enclin à répondre à nos questions lorsqu'elles contredisent ses plans, nos échanges au cours de la soirée se limitent à l'essentiel. Peu importe car dans quelques heures nous serons déjà loin.
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Photos d'Irkoutsk

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Partie 3: Lac Baikal, le rêve sibérien

La station météo de Solnitchnaia

29/07 :
  Réveil à 6 heures. Christian se lève juste après nous. Nous avalons un petit déjeuner rapide et quittons l'appartement. A 6h30 Oleg nous attend devant l'immeuble avec sa voiture. Nous chargeons les sacs et les provisions achetées la veille dans le coffre, puis quittons le parking. Il fait 5°C à l'extérieur mais le soleil monte doucement dans un ciel sans voilure. Nous sortons d'Irkoutsk, roulons une petite heure sur une route quasi rectiligne qui transperce la forêt. Nous tournons sur une allée de terre à peine visible qui bifurque à 150 degré sur la droite de la route. C'est ici que nous rejoignons l'Angara. Tandis que des centaines de rivières se jettent dans le lac Baikal, l'Angara est la seule à en être issue. Nous attendrons environ 45 minutes à l'embarcadère avant de prendre un bac afin de traverser la rivière et rejoindre le petit village de Port Baïkal. Nous sommes sur les berges du lac. Aussi loin que notre regard porte, une ceinture voilée de collines boisées et rugueuses se dessine sur les pourtours du Baïkal. Oleg ne parle que le Russe. Nous tentons de communiquer tant bien que mal. Nous devons prendre un bateau qui, deux fois par semaine, traverse le lac du sud vers le nord. Pour descendre à la station météo de Solnitchnaia, nous devons sous louer les services du capitaine. Le bateau relie Port Baïkal à Severobaïkalsk au nord, mais n'effectue officiellement qu'un seul arrêt sur l'ile d'Olkhlon où la majorité des voyageurs débarquent. Je savais qu'il fallait payer. Combien ? Ca je l'ignorais. Ce que j'ignorais également est que nous devrions régler nous même cette somme. Heureusement nous avons retiré de l'argent liquide la veille. La transaction se fait à l'écart entre le capitaine du navire, Oleg et moi-même, en toute discrétion.

  Je ressens déjà un état d'apaisement, de sérénité, à peine embarqué, voguant vers le nord à vive allure sur les eaux froides du lac, à destination d'un point minuscule sur la carte. Nous remontons le lac à quelques centaines de mètres de la rive ouest qui présente une cote bosselée au visage pelé. Le bateau fait un arrêt pour embarquer deux jeunes sortis de nulle part avec leur canoë. Je suis imprégné par les pages du récit de Philippe Sauve qui, sur une embarcation identique, à remonté le fleuve Léna il y a quelques années. La source de la Léna est située plus au nord, et je suis projeté de plein pied dans cette aventure. Les montagnes s'élèvent et le
  
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paysage s'embellit. Des névés persistent dans les escarpements rocheux. Aucune route ne vient briser les lignes continues de cette nature généreuse. Après 7 heures de navigation sur les eaux limpides du lac, l'hydrofoil ralentit puis s'immobilise.

On nous fait signe de sortir par le pont arrière du bateau. Serguei nous attend là avec une barque à moteur. Nous passons un à un les sacs puis enjambons la passerelle pour grimper dans la barque qui ondule sous les remous provoqués par l'hydrofoil. Les passagers nous observent, surpris de cet arrêt imprévu, et nous saluent en agitant les bras tandis que nous filons vers la berge. Serguei est garde forestier et vit ici depuis plus de 18 ans. Cette rencontre est étonnante car, bien que nous le rencontrions pour la première fois, j'ai l'impression de le connaître déjà pour l'avoir souvent vu en photo dans mes lectures récentes. Nous sommes à la station météo de Solnitchnaia, à plus de 300 km de port Baïkal. Quelques maisons sommaires en bois sont construites sur le site. Une station météo. Des chevaux, 3 chats, et 3 chiens dont Kotchum qui deviendra notre ami bien attentionné. Elena nous accueille dans sa maison. Ni elle ni Serguei ne parle une autre langue que la leur. A quoi cela leur servirait ? Pour nous, cela n'arrange pas nos affaires. Nous aurons besoin de matériel mais nous ne pouvons pas en faire la demande. Notre chance vient de la malchance d'un groupe de Moscovites. En expédition sur la Léna avec des canoës, l'un d'eux a chaviré et perdu son embarcation, emportée par le courant. Ils ont du renoncer à leur virée et rentrer à pied à travers la taïga avec leur équipement sur le dos. Les cartes les ont orientés vers la station météo où ils vont camper ce soir. Demain matin ils rentreront à Irkoutsk par le bateau que nous avons pris aujourd'hui et qui fera le trajet en sens inverse. Deux d'entre eux parlent anglais. Ils nous servent de traducteurs pour régler nos problèmes de logistique. Nous prenons le thé avec Elena, mangeons du pain qu'elle confectionne deux fois par semaine au feu de bois. Usant du dictionnaire nous formant des tentatives de phrases, souvent ponctuées d'éclats de rire.

  
Il est 19h. La lumière est magnifique, le lac dessine des reflets parfaits sur une surface de séparation plane. Une plage de galets borde le lac. Des prairies constituent des pâtures de luxe pour les animaux qui y vivent. Au-delà, la foret fait siège au pied des montagnes escarpées. Une vision d'enchantement nous envahit dans un calme porté par le clapotis de l'eau qui lèche la berge, et les cris des oiseaux qui peuplent cette nature préservée. Les Russes échoués ont installés leur campement. Le feu brûle les troncs abattus et découpés à la scie. J'aperçois une tête hors de l'eau. Aucun doute qu'il s'agit d'un nerpa, unique espèce de phoque d'eau douce au monde. Je n'ai pas encore pris la mesure du lac, mais à n'en pas douter le Baïkal est un paradis naturel. Au menu du repas préparé par Elena, ce sont des pommes de terre à l'aneth préparé sur le poêle, et du poisson macéré 3 jours dans le sel. Le poisson est un plat de circonstance que l'abondance ne rend pas moins délicieux. Nous ferons la vaisselle à l'eau froide puisée au sceau dans le lac. L'eau n'est pas rare mais très froide! Pendant ce temps la surface du lac se teinte de couleur rosâtre dessinant des courbes délimitées comme des flaques d'huile géantes. Les montagnes de la rive opposée dessinent distinctement leurs contours irréguliers, dans la lumière tiède du soleil qui va bientôt disparaître derrière les sommets. 
Russie Transsibérien/Baikal

Photos du lac Baikal

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Serguei, Natacha et le cap Pokoiniki

30/07 : 
  Il y a une fenêtre juste au dessus de mon lit. Cette fenêtre s'ouvre sur le lac. Lorsque la clarté m'éveille je relève la tête pour regarder les reflets de l'eau. Avec l'aube qui point, vers 5h30, une partie du lac est arrosée d'une lumière orangée, vive et étincelante. C'est un miroir d'eau, une palette de peintre dont les teintes varient au gré du temps et des heures. Pour les riverains le Baïkal n'est pas un lac mais une mer. Ce matin les Russes qui ont rejoint la station quittent les lieux avec leur chargement. Nous discutons un moment. Ils ont la même réaction qu'on eu les habitants de la région lorsque Philippe Sauve a annoncé son projet de suivre la Lena jusqu'à l'océan arctique : " Il ne faut pas être Russe pour s'y aventurer ". Autrement dit seule la méconnaissance et l'inconscience peut permettre d'entreprendre une telle aventure. Je leur parle également de Tesson, de notre raison d'être ici et de notre projet moins ambitieux. Avec un peu de retard, la Kométa- le bateau qui fait la liaison- les embarque à direction de l'ile d'Olkhlon, unique halte, où ils prendront un bus pour Irkoutsk.

  Nous déjeunons avec Elena et Serguei de bonne heure puis partons avec Serguei à bord d'un zodiac pneumatique, le long de la cote vers le nord. Nous allons fouiller les cavités creusées dans la roche qui camouflent des grottes souterraines. Des nerpas viennent s'y nourrir. Une grande colonie vit sur une ile à une vingtaine de kilomètres au large, mais ici ou là on peut, avec un peu chance, en apercevoir. Nous n'aurons pas cette chance aujourd'hui. L'eau du lac est pure, transparente, et laisse percer la lumière en profondeur. Elle est si pure qu'on peut la boire sans crainte, mais sans en abuser car cette eau tellement pure n'est pas suffisamment minéralisée pour les besoins de l'organisme. Nous poursuivons et accostons un peu plus loin. Nous suivons Serguei dans la taïga jusqu'à un étang où se blottit une cabane d'observation. Avec de la patience et une bonne couverture pour se protéger du froid nocturne, on peut y voir des ours venir s'abreuver.

 
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Nous repartons vers la station, la dépassons et poursuivons 2 kilomètres plus loin jusqu'au cap Pokoiniki. Serguei et sa femme Natacha vivent ici dans une petite maison rudimentaire d'une seule pièce à laquelle s'ajoute une cuisine extérieure couverte. Devant la cabane, un fauteuil se trouve près d'un arbre et une balançoire oscille face au lac, au dessus d'un petit talus d'où l'on lévite presque sur les eaux. En 2 kilomètres l'atmosphère des lieux a totalement changée. Pokoiniki est un petit paradis, un cocon de nature où le couple vit depuis des années dans une enclave fermée sur une lagune.
  Serguei bricole autour de sa maison. Il nous donne des albums photos à feuilleter : des vues du lac, de sa faune et de sa flore. Des ours, animaux emblématiques, charismatiques, effrayants, ont été photographiés en face de chez lui. Nous défaisons les filets de pêche puis allons les poser dans la lagune où affluent algues et nourriture qui permettent aux poissons de proliférer. Alors que Serguei manoeuvre la barque, j'étends plusieurs centaines de mètres de filets qui resteront étendus toute la nuit. Natacha rentre de 3 jours passés en montagne avec Youri, et 2 femmes franco russes.
  Je retourne en bateau chez Elena chercher les serviettes pour pouvoir nous sécher à la sortie de la bania. Serguei me conduit chez les deux femmes qui logent dans une maison derrière chez Elena. Une d'elle parle français. Nous bavardons un moment. Elle me donne des informations importantes pour la suite de notre voyage. Point essentiel : pour rentrer à Port Baïkal nous devrons de nouveau payer le capitaine du bateau. Seul souci, nous n'avons l'argent. Natalia sera notre traductrice pour expliquer notre problème à Serguei. Un concours de circonstances a mis Natalia et son amie Russe sur notre route. Elles seront notre salut face à notre incapacité de nous expliquer. Notre solution, via Serguei, s'appelle  Alexey. Nous le rencontrerons plus tard, mais dès à présent le personnage sera résumé selon la formule retenue: " Avec Alexey il n'y a jamais de problème ".

  Nous retournons ensemble chez Serguei. Luisa et moi allons à la bania. C'est le sauna Russe. C'est également le moyen de se laver, de se purifier. Nous laissons nos affaires dans une première pièce et pénétrons dans une seconde plus vaste. Un poêle à bois chauffe à haute température des pierres placées dessus. En versant 
de l'eau sur ces pierres elle se vaporise, élevant ainsi la température. Des banquettes permettent de s'allonger, ou tout simplement de s'asseoir. Pour réguler la chaleur du corps, on le refroidit en se rinçant d'eau froide à l'aide d'un récipient plongé dans une grande bassine. Et puis on recommence le cycle. Nicolaï, un des moscovites partis ce matin nous a dit : " Si le Baïkal est un rêve, tu dois t'y baigner ". Nous courons nous jeter dans l'eau à 7°C. Nous ressentons la fraîcheur mais elle n'est qu'une sensation secondaire. L'effet est garanti et le résultat fait un bien formidable.

  Une fois revigorés après cette expérience typiquement russe, nous nous asseyons autour de la table de la cuisine. Une bonne soupe de betterave, carotte poivrons, oignons et aneth, arrosé de mayonnaise nos réchauffe. Le poisson cru servi avec des pommes de terre nous effraie un peu dans un premier temps. Il s'avère en réalité un vrai régal ! Des sternes virevoltent autour de la lagune. Des grues pausent en bordure. Des aigles tournoient dans le ciel attirant l'œil des naturalistes que sont Serguei et Natacha. Le temps s'est dégradé. Une petite averse sévit. Ce soir les montagnes sont coiffées d'une épaisse enveloppe nuageuse. On dirait une avalanche figée dans sa progression sur un cliché. Lorsque nous rentrons chez Elena, je ne résiste pas à l'envie de remanger une bonne soupe chaude dont elle a le secret. Aux questions simples que nous tentons de poser, de longues et complexes réponses viennent dont nous ne comprenons pas le sens. La plupart du temps cela se termine par un silence et des têtes ahuries qui se dévisagent, avant de s'achever dans un grand éclat de rire général.
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Russie Transsibérien/Baikal

Photos du lac Baikal

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Là où coule la Léna...

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31/07 :
  Nous avons veillé à la lueur de la bougie posée sur le rebord de la fenêtre de la chambre, au dessus de mon lit. Longuement nous avons égrené les minutes face au lac endormi. Il est 9h lorsque je me lève, en ayant passé une bonne nuit bien que perturbé par le sommier métallique détendu dans lequel je m'enfonce. Luisa restera la journée à la station pour se reposer et aider Elena dans ses activités quotidiennes. Avec Youri, qui habite une cabane du cap Pokoiniki, et Sacha, un étudiant qui travaille à la station et loge près de chez Elena, je pars en montagne.   

  Un vent furieux souffle en rafale. Nous prenons un chemin qui transperce la foret, inconfortablement installés dans un vieux side car datant de l'époque soviétique. Sacha est à l'arrière de Youri. Je suis calé contre les sacs, assis sur le fond en tôle. J'anticipe les secousses afin d'éviter de me retrouver avec un boulon qui me rentre dans le tibia, ou d'avoir le coccyx malaxé par les traverses métalliques. Bien que chahuté, nous traversons les 2 kilomètres de forets qui nous amènent au pied des montagnes. De là nous entamons une marche  à flanc de montagne. Le sentier de pierres et de terre est bien praticable, bien que parfois très pentu. Nous surplombons le lac et faisons face à des crêtes dentelées. Je pose mes pieds à coté d'un petit serpent qui se faufile dans les anfractuosités des rochers, et n'apprécie guère de nous voir s'attarder sur son cas. De petits écureuils noir et blanc s'agitent dans les arbres. Une crotte sèche d'ours marque la présence de l'ambassadeur de la taïga. Nous mangeons diverses baies. J'en identifie une comme étant des groseilles. Le froid glace la transpiration lorsque nous sommes exposés au vent. Depuis le début de la journée Youri mène la cadence. Il monte à une allure rapide, le pas sur et alerte. Lorsque la pente devient raide, il fait de courtes haltes répétées pour reprendre son souffle. Le visage usé, les yeux bleus, Youri est un pur Sibérien qui vit ici toute l'année. Il a pris son sac avec lui, bien qu'il soit vide. Si l'occasion se prêtait de tomber face à un ours malade, il l'achèverait et remplirait son sac de viande fraîche.

   
Chaque pause plus conséquente est l'occasion pour Youri et Sacha de fumer une cigarette.
Nous atteignons un col qui donne accès à un plateau de taïga et dévoile un panorama particulièrement photogénique. Ici passe la Léna. Voici donc ce fleuve ! Vers l'ouest, à plusieurs kilomètres en amont, le village de Kacuk, où le fleuve prend sa source. A cet endroit il ressemble à une rivière. Il atteindra jusqu'à 14 kilomètres de large à certains endroits. Nous poursuivons sur le plateau jusqu'à avoir en ligne de mire une cabane en bois, de l'autre coté d'un étang. Cette étendue d'eau stagnante est un véritable centre de colonies de moustiques. Avec le vent qui balayait l'espace et le temps maussade, les insectes volants se montrent peu voraces. Nous allumons un feu près de la cabane et faisons la pause déjeuner. Nous ne nous éternisons pas car, bien que nous devions dormir ici, nous ferons finalement l'aller retour dans la journée.

  Le retour se fera à un bon rythme. Le vent violent du matin est tombé. Les quelques gouttes de pluie du milieu d'après midi laissent place au soleil. A 18 heures nous retrouvons le side car qui nous ramènera jusqu'à la station. Les sommets sont maintenant bien découverts et le site reprend des couleurs magnifiques avec le déclin du soleil. A peine arrivés, Elena me convie à manger de succulents poissons fris qui m'attendent sur la table de la cuisine. Un délice bien appréciable après une journée de marche intense. Luisa rentre de charrier du bois sur une vieille poussette servant de brouette. Le ventre repu, nous allons marcher vers le bois, puis sur la plage. Après dîner nous apprenons à Elena à jouer au Yam. Sacha nous rejoint. Nous débutons une longue partie à la lueur de la lampe à pétrole. Je suis exténué mais nos partenaires sont partants pour prolonger le jeu. Sacha ira chercher sa guitare pour nous jouer d'anciennes chansons traditionnelles du pays…
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La cabane de Sylvain

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01/08 :
  Nous nous levons tardivement. Après le petit déjeuner et la vaisselle nous quittons la maison pour aller nous promener. Elena s'est recouchée, probablement fatiguée par la soirée qui s'est prolongée. Nous allons marcher sur le sentier qui mène chez Serguei. 2 kilomètres approximativement séparent la station Solnetchnaia du Cap Pokoiniki. La promenade entre les pins est bucolique. Les rayons de soleil transpercent les feuillages. Des fleurs jaunes, violettes se mêlent au fond vert dominant des bois. Des teintes chaudes sont animées par les ondulations faibles du  lac qui poursuit son mouvement perpétuel de va et vient. Le temps est redevenu stable et ensoleillé. Une petite brise maintient la température agréable. Nous arrivons à la cabane où nous saluons Natacha occupée à son travail quotidien. Nous ne la dérangeons pas, faisons demi-tour sur le sentier.
  A notre retour Elena dort encore. Serguei est parti sur l'ile aux nerpas avec les 2 franco russes. Nous aurions pu les suivre, mais avons décidé de rester là. C'est aujourd'hui le jour du départ pour une cabane située plus au nord. Bien que le cadre soit splendide et Elena de très bonne compagnie, ce passage à la station n'est qu'une transition pour nous rendre plus loin sur le lac. Aussi j'ai maintenant hâte de pouvoir partir mais nous devons pour cela attendre le retour de Serguei. L'heure tourne. Mon impatience grandit. J'ai l'impression que le temps avance, que nous sommes bloqués dans l'attente d'un départ qui ne parait pas vouloir se décider. Nous scrutons au loin avec les jumelles à la recherche d'un point mobile, synonyme du retour lointain de Serguei. Je crains de devoir partir tard et d'être contraint de dormir dans une isba à mi distance. Je fais le film dans ma tête et me met en colère contre Serguei. Des semaines de préparation pour rejoindre la future destination. Je ne tiens pas à perdre 24h, ni même une nuit.
  Nous demandons à Elena ce que nous lui devons pour les repas qu'elle nous à préparé depuis 3 jours. Elle se livre à de petits calculs et sort sa calculatrice pour nous montrer notre dut. La somme nous surprend et éveille un mécontentement mélangé à de l'incompréhension. Nous prenons notre dernier repas, en dissimulant nos sentiments partagés. Elena est adorable et nous a encore préparé un succulent poisson en sauce. Enfin nous devinons le bateau à moteur foncer à toute allure sur le lac, à la limite de vision des jumelles. Une fois rentrée, nous appelons Natalia à la rescousse pour répondre aux questions qui nous préoccupent. Le montant annoncé est bien plus élevé que ce que nous pensions payer. D'autre part nous n'avons une fois de plus pas l'argent pour régler nos dettes. En de brefs échanges tout s'arrange. Une fois de plus notre incapacité à communiquer nous a mis dans l'embarras. L'explication est simple mais la barrière de la langue a rendu la situation complexe et embarrassante. En quelques instants l'impatience et l'incompréhension cèdent la place à l'excitation du départ et à la satisfaction. Tous nos soucis s'effacent.

   
  " Au final ça finit toujours bien " avait affirmé Thomas un des kayakistes échoués du groupe de Russes. Nous remercions Natalia pour son aide. Nous saluons chaleureusement Elena qui nous a fait partager son quotidien et accueilli avec énormément de simplicité et de générosité. Elle a fait parti du voyage, et nous l'emmenons dans nos pensées. Il est 16h. Nous faisons les adieux. Le bateau démarre. Nous quittons définitivement Pokoiniki et la station. Il faut remonter le lac sur 60 kilomètres. La barque file à vive allure. Les rives sont spectaculaires. L'eau est d'une pureté incroyable. On pourrait croire naviguer sur une mer, si les espèces d'oiseaux qui accompagnent nos déplacements ne nous rappelaient pas par leur présence que nous sommes sur un lac. Ici ou là un nerpa sort la tête de l'eau avant de replonger tel un périscope qui viendrait épier notre présence. Ils balisent notre parcours. Nous sommes assis à l'avant de l'embarcation, attentifs à chaque détail de notre environnement. Un univers fantastique se déroule. Nous scrutons, comme deux explorateurs en quête d'un trésor fabuleux, la découverte d'une terre inconnue. Nous dépassons un petit village de pêcheurs. 1h30 de navigation et nous voyons poindre une baraque isolée, partiellement camouflée par la végétation. Nous accostons. " Sylvain Tesson " nous chante Serguei. Je suis surpris d'être déjà arrivés. C'est pourtant le cas. Nous sommes bien à destination. Nous déchargeons les sacs et les provisions de nourriture, puis Serguei repart rapidement. Il lui faudra 1h30 de plus pour rentrer.

  Beaucoup de temps et d'énergie auront été nécessaires pour à présent se retrouver seuls en ce lieu isolé du lac. Une cabane en bois, perdue sur les rives du Baikal, se tient devant nos yeux observateurs : à l'intérieur, dans un angle, un lit en bois recouvert de fins matelas. Dans l'angle en face une étagère où nous installerons les vivres et le matériel. Sur le mur opposé au lit se tient une table. Au dessus une fenêtre donne sur le lac. Dans l'autre coin, un poêle à bois et une réserve de bois coupé. Nous organisons chaque recoin comme une pièce : la chambre, la salle de bain, la cuisine, le salon, à ceci près que l'ensemble est réuni dans une dizaine de 
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mètres carrés. Au dessus du poêle il y a une seconde fenêtre. La cabane est  à quelques pas de la plage de petits cailloux. Entourée d'arbre à la lisière de la taïga, le site est dominé par des sommets. A une centaine de mètres, peut être un peu moins, la bania est actuellement hors d'état de fonctionnement. Au dessus en remontant quelques pas en hauteur, se trouvent les toilettes. Nous prenons possession de notre habitat. Luisa va chercher dans le lac l'eau nécessaire à la préparation du thé. J'allume un feu à l'emplacement prévu à cet effet. Une partie servira à la préparation du thé. Le reste sera utilisé pour se laver. L'eau du lac est glacée. Mélangée à l'eau frémissante je la puiserai dans un sceau avec mon gobelet en plastique pour me rincer, nu comme un ver, sur la plage. Avant que la nuit nous plonge dans l'isolement le plus total, et que l'atmosphère refroidisse avec les heures qui s'écoulent, j'allume un feu dans le poêle intérieur. La température grimpe considérablement si bien que la cabane se transforme en sauna ; pourtant l'eau pour le thé peine à entrer en ébullition. Nous nous sentons déjà chez nous dans cet habitat rustique et expérimental. Les bougies nous apportent l'éclairement et à la lueur de la flamme, Luisa remplit les grilles de mots croisés. Je rédige les premières lignes qui me relient à mon histoire, à ma raison et à ma volonté. J'avale le premier verre de vodka, le regard fixé sur les pins immobiles. 
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Le cousin du lac

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02/08 :
  La vie nocturne de la taïga ne sera pas venue ébranler le silence du Baïkal. Je me retourne dans mon sac de couchage quand Luisa vient s'asseoir à la fenêtre voir les premières lueurs du soleil, avant de revenir terminer les heures qui succèdent à l'aurore dans le lit. Il y a un an environ Sylvain Tesson, écrivain voyageur est venu passer 6 mois seul dans cette cabane vivre une expérience de retour à soi même et à l'essentiel. Écrivain contemporain de référence dans le milieu, j'ai souhaité rejoindre ce bout de paradis isolé pour ressentir à mon tour, humblement, ce qui habite un être dans un tel cadre dépeuplé. C'est pour moi un terrain expérimental fabuleux et idyllique pour témoigner de mes lectures et aspirations.
  Le premier travail du matin consiste à allumer le feu après avoir ramassé du bois mort sur la plage. La flamme du foyer réchauffe les premières heures et prépare les premières gorgés chaudes de la journée. Pas un brin de vent. L'eau s'agite à peine. Luisa exalte devant tant de pureté. Je m'immerge dans " L'art de voir des choses " de John Burroughs. Le silence est règle monacale. Les sens sont en éveil, en alerte. Assis sur le banc en bois qui fait face à la plage de galets, on se laisse porter par les légères ondulations du lac, et le ballet poétique des oiseaux. Des nerpas sortent la tête de l'eau, scrutent les environs, se prélassent en offrant parfois leur corps entier au soleil, avant de faire un arrondi avec leur dos et de plonger sûrement en profondeur. Signe que le temps n'a plus de prise et que l'on doit se fier au rythme que la nature nous impose, ma montre s'est ré initialisée. Nous suivons le soleil et les besoins du corps pour cadencer la journée. Lorsque les estomacs en font la demande nous ouvrons les boites de thon et mangeons la portion de carottes crues et de fromage attribués pour le repas. Luisa pousse de grands cris lorsque, courant sur les galets, elle s'immerge dans l'eau à 7°C. Un cri de vie et une sensation de bien être et de liberté. J'ai débusqué autour de la cabane un perche en bois muni à son extrémité la plus large d'un manchon en caoutchouc qui servira d'amortisseur. Je fixe à l'autre extrémité une ligne rapportée que j'attache autour d'une rainure taillée à la lame du couteau. Voici ma canne à pêche improvisée prête pour l'emploi. Elle s'avérera peu opérante. L'eau peu profonde du bord ne contient pas de poissons. Je ne peux pas atteindre le large. Même si la profondeur augmente rapidement le courant faible rabat la ligne vers le bord. De plus je ne possède pas d'appâts.

 
Nous allons explorer la cote vers le sud en longeant la plage de galets et de rochers blancs. Nous sommes étonnés de découvrir un dôme montagneux totalement dégarni et fait de gros rochers comme si la montagne s'était totalement écroulée de sa base jusqu'au sommet, laissant un amas de blocs entassés. Un sentier entre dans la taïga et s'élève en pente douce au milieu des pins. A quelques mètres au dessus du niveau du lac, la transparence de l'eau est remarquable et les reflets d'autant plus éloquents. La foret est belle et incite à sa découverte. La présence du roi de la taïga, même lointaine, règne à chaque instant, et impose la prudence. Nous revenons à la cabane, ramassant des branches de bois secs au passage. Dès le retour je prépare une belle flambée pour nous servir un thé que nous consommons en abondance. La Kometa qui traverse le lac du nord vers le sud passe au large. Un bateau de pêche passe en sens inverse. Puis un autre. Il règne une maigre circulation sur le lac et chaque mouvement est une attraction longuement observée.
  Luisa esquisse un dessin à l'extérieur lorsqu'elle entend des bruits de pas au loin sur la plage. Un homme arrive vers nous, sac sur le dos. Quelques minutes plus tard il apparaît devant la cabane.
  • " Qu'est ce que tu fais ici ? " je l'interroge aussi surpris que dérangé par une intrusion dans notre domaine non clos. Il sourit, amusé par mon questionnement.
  • " Je viens de Listvianka".
Thibault est un Français, jeune parisien, qui longe le lac du sud vers le nord, à pied.  Il est parti il y a 14 jours, à traversé les villages de pêcheurs où il a été chaleureusement accueilli et son itinéraire le conduit maintenant jusqu'à nous. En passant il souhaitait voir cette cabane. Thibault est le cousin de Priscilla Telmon, compagnon de Sylvain Tesson à une époque. Je reste un bref instant bouche bée. J'ai longtemps suivi de près les voyages et les aventures de Priscilla. Elle et Sylvain ont notamment réalisés ensemble une chevauchée à travers les steppes du vieux Turkestan. La situation est cocasse, tellement improbable. Nous l'invitons à boire un thé ; il nous offre de la coppa. Après un long moment à bavarder autour de la table, Thibault reprend son sac et le chemin à travers la taïga. Avant de partir je lui 
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souffle qu'à la prochaine réunion de famille il dise à sa cousine qu'il a rencontré un de ses fans le long du Baïkal! Il disparaît, absorbé par la foret. Il trouvera certainement une zone de bivouac un peu plus loin.
  De nouveau le feu brûle et l'eau bout bientôt. L'heure de manger est venue. Nous allumons un second foyer sur le bord de plage, à la nuit venu. Le bois se consume et le feu crépite dans la ronde de l'harmonica qui résonne dans le silence complet. Je fais un rituel de m'asseoir à la table à l'intérieur de la cabane, et tandis que je griffonne des notes sur mon carnet " oxford ", je trinque en solitaire à la Sibérie que je découvre intacte et superbe dans les brûlures d'un verre de vodka.
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Le livre de la nature

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03/08 : 
  Lorsqu'on sort du sommeil, bien reposé par les heures au chaud de son abri douillet, on peut dès les yeux ouverts et le cerveau en état de réflexion, se dire que la journée n'aura d'autre but que celui de la veille, sans renouveau, pris au piège entre 4 murs en bois. Et puis on descend du lit, on ouvre la porte de la cabane, on traine les pieds sur le sol caillouteux, et la lumière du lac, en un instant, nous saisit. Le Baïkal offre sa première promesse du jour. La plage donne son petit bois blanc pour préparer les premières gorgées chaudes qui viendront éclaircir la gorge. Le film de la journée se déroule. Dans l'eau les nerpas montrent leurs têtes noires de plus en plus proches du rivage. Ils doivent nous avoir acceptés comme voisinage. Aux jumelles les moustaches noires garnissent les museaux visiblement, et les gros yeux ronds apparaissent au centre des optiques. Dans le silence, leur souffle se propage comme une onde à la surface du lac. Nous réalisons d'être chanceux de pouvoir continuellement assister à ce spectacle, car Thibault, en 10 jours de marche, n'en a pas aperçu un seul. Il resta hier soir en admiration devant ces animaux fascinant, endémiques et uniques.

  En fin de matinée une visite surprise s'avance. Un bateau à moteur entre dans la baie et approche lentement. Deux gardes de la réserve accostent. Nous nous saluons et bravons notre barrière linguistique. L'un d'entre eux récupère 2 ou 3 outils pendant que nous bavardons avec le plus jeune. Courtois et sympathique il persévère, nous offrant d'abondants sourires en or, pour nous expliquer le but de leur visite. A force de gestes et de mots reconnus dans notre maigre vocabulaire nous parvenons à comprendre leur intention de venir faire des travaux d'entretien lorsque nous seront partis. Ils comptent en particulier remettre en état la bania. Ils reprennent alors leur navigation pour aller s'installer et travailler dans une isba à 7 km au nord.

  
John Burroughs fait éloge du marcheur éveillé, celui dont les sens en éveil lisent entre les lignes du livre de la nature. Ici chaque mouvement est sujet à une étude approfondie. La nature est omniprésente et nous faisons un avec elle, convaincus de nous y fondre totalement. Un papillon trop imprudent est happé par les eaux trop calmes du lac. Un coléoptère au volume au moins 20 fois supérieur à celui d'une fourmi est transporté par une armée d'ouvrières. Un écureuil agite les branches des sapins à coté duquel nous sommes installés. Quant arrive l'heure du thé nous serons tout surpris d'une visite incongrue. Une souris s'est glissée à l'intérieur du sac en plastique qui contient des biscuits par un petit trou qu'elle a ouvert. Bien plus apeuré que nous, le petit rongeur se faufile entre les gâteaux pour se camoufler. Le museau plaqué sur le film transparent, son regard attendrissant nous fixe.     

  Nous allons marcher vers le nord. Les cotes changent dans ses escarpements et présentent ici des découpes nouvelles. Je suis un petit sentier dans la taïga et ose m'enfoncer vers le bruit d'une source qui se fait entendre plus à l'intérieur. Je retrouve Luisa sur la plage plus loin. Dans une anse abritée, un plongeon nous interpelle. Puis le silence. De nouveaux mouvements brusques dans l'eau. Rien n'en sort. S'agit-il d'un animal ? Un ours ? Je l'espère, je le crains. A la force des jumelles et armés de patience, on découvrira un nerpa sortir de l'eau. Une femelle se prélasse, entourée par ses petits qui nagent et dont les têtes dépassent à la surface du lac.

  Le soleil a depuis longtemps disparu derrière les montagnes mais l'obscurité n'est pas encore tombée. J'observe notre territoire avec le désir de le découvrir, de le parcourir. Je remonte un petit sentier qui démarre derrière la cabane et m'enfonce dans la foret. Elle me fascine, m'intrigue et m'attire. Si je prends plus d'aise, chacun de mes pas est précédé par une écoute attentive. Et si je me retrouvais réellement face à un ours ? Que ferais-je ? Je n'ai aucun moyen de défense. Soudain la situation me parait surréaliste, et inquiétante. Même si la probabilité de tomber face à l'animal est faible, elle  reste présente à chaque seconde. Cette rencontre virtuelle que je projette participe à rendre la taïga aussi mystérieuse, attirante et inquiétante. Sur ces images je fais demi tour, sachant que je ne pourrai pas explorer 
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cet écosystème et n'aurai certainement pas la chance, l'émerveillement et la peur de me retrouver face au roi des lieux.

  Je suis installé à mon poste. Vodka dans une main, stylo dans l'autre. De petits tentacules me grattent la poitrine. Je soulève ma polaire, mon tee shirt, et découvre une petite tique qui n'a pas encore eu le temps nécessaire pour planter sa trompe mais qui selon toute vraisemblance aurait bien aimé goutter à mon sang. Du coup nous faisons une inspection générale, mais ne découvrons pas d'autres minuscules suceurs. Autant que l'ours voilà un argument qui plaide en la faveur de ne pas s'aventurer trop loin dans cette taïga. Ces insectes sont porteurs de l'encéphalite japonaise. Je ne suis pas vacciné, je n'ai pas de bombe anti tiques et l'infection véhiculée peut être mortelle. Preuve qu'une toute petite cause peut avoir de grosses conséquences.

  Chaque fois que j'ouvre la porte de la cabane, j'ai l'impression de franchir un monde nouveau, de changer d'univers et d'être transporté dans un monde où la nature dominante impose ses règles, où l'homme doit savoir s'incliner pour y être accepté. Je deviens homme dans la patrie des hommes rudes où la vie est aussi difficile que délicieuse. Je me projette volontiers en hiver lorsque les sapins sont habillés de neige, que le lac est prisonnier des glaces. Chaudement habillé pour contrer les températures extrêmes, je me réchauffé à la chaleur du poêle à bois qui libère sa fumée blanche par le conduit de la cheminée
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Pêche miraculeuse?

04/08 :
  Hier de faibles courants avaient emmené durant la nuit de petites algues microscopiques vertes qui se sont agglomérées pour recouvrir les galets du bord de lac d'une pellicule visqueuse. La propreté du Bailkal est due à la présence d'un minuscule crustacé. Cette nuit l'endémique Epischura Baïkalensis a oeuvré de tout son talent pour de nouveau, ce matin, rendre le lac d'une netteté incomparable.

  Je sors de sous l'étagère de la cabane une lampe à pétrole qui, il y a un peu plus d'un an, servait à Sylvain Tesson pour éclairer les longues soirées hivernales, perdu dans les étendues glacées du Baïkal. Je nettoie le verre, élimine les traces graisseuses et improvise un fond rempli de petits cailloux qui viendront stabiliser un galet plat sur la surface bombée et ainsi aplanie. Sur ce galet je fixe à la cire liquide une bougie coupée à bonne dimension de façon à ce que la flamme lèche les 2/3 environ de la hauteur totale du verre de la lanterne. Objet symbolique, témoin d'un nécessaire indispensable d'une vie simple. J'ai l'impression de faire revivre l'âme qui a habité la cabane 6 mois durant dans ce lieu confiné. Derrière la bania, parmi quelques objets abandonnés, je trouve un morceau de filet, 2 bouteilles en plastiques, 1 morceau de polystyrène compacté et un peu de ficelle. Avec ces éléments de récupération je confectionne un mini filet de pêche en liant deux bouts de ficelle en deux coins du filet ainsi qu'un troisième au milieu de ces deux coins. J'attache un galet à l'autre extrémité de chaque bout de ficelle, constituant ainsi la partie basse du filet. Je relie les 3 points symétriques de la partie supérieure aux 2 bouteilles et au morceau de polystyrène de façon à fabriquer des flotteurs. Je vais alors tester mon piège miniature qui aura approximativement 1m de largeur sur 70 cm de hauteur. Afin de le positionner où l'eau est suffisamment profonde et ainsi espérer que le poisson y passe, il faut s'immerger dans l'eau. Cela constitue la partie la plus difficile et une épreuve à franchir. L'eau est si claire qu'on ne réalise pas que le fond descend brusquement. Avec l'aide de Luisa je m'avance de quelques mètres, là ou l'eau atteint pratiquement notre hauteur. Les galets se fixent sur le fond et tendent le filet que les flotteurs maintiennent en surface. La pose doit être rapide car les quelques degrés de l'eau rendent nos jambes douloureuses. Nous ne perdons pas de temps et faisons rapidement les quelques brasses qui nous ramènent au bord et nous expulsent de l'eau. Le froid brûlant et la profondeur apparente me donnent le vertige.

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  Nous verrons bien si la chance nous sourit ! Ces travaux emplissent une journée. Ils embellissent le jour qui prend tout son sens face à ce qui nous relie aux choses essentielles. Affairés à ces occupations qui n'ont de finalité que le nécessaire- s'éclairer, manger- notre présence en ce lieu fait acte de retour à l'essentiel et l'absence de tentation devient un luxe. Nous avons fait de cette cabane notre domaine. Il ne manque pour ainsi dire que 2 choses pour pouvoir s'y installer plus longuement. Une hache pour couper le bois qui nous chauffe et permet de nous nourrir et nous hydrater, et une barque ou un canoë pour dériver sur les berges afin de pêcher le poisson abondant et d'explorer la cote. Allumer le feu, ramasser le petit bois pour le démarrer, chercher l'eau du lac, la faire bouillir dans le récipient en fonte noirci par les flammes : voici les actes primordiaux dictés par nos besoins primaires.

  Des bruits viennent de la foret, occultés par les dessins de la cote. 2 femmes apparaissent. 1 moscovite et 1 saint pétersbourgeoise. Elles ont accosté avec un groupe de 8 personnes, sur 3 embarcations qui longent les berges depuis Severobaïkalsk. Nous voyons d'un mauvais œil cette intrusion sur notre périmètre intime qui ne nous appartient pas. 5 minutes avant Luisa courait nue sur la plage. La voile d'un petit catamaran pointe à travers les branchages des pins. Un des hommes pêche à la mouche. Ne vont-ils pas rester ici pour la nuit à troubler notre silence paisible ? Les 2 femmes élucident pour nous l'énigme des pines de pins que nous ne savons pas comment consommer. Nous comprenons que ce sont les graines qui sont comestibles. Soulagement et satisfaction : les 3 bateaux reprennent leur route. Des embarcations modestes mais non dénuées de charme et de splendeur glissent sur l'eau, passent devant nous, puis s'éloignent irréversiblement. Je rallume le feu, porte l'eau à ébullition. J'y plonge les pines de pins. Lorsqu'elles ont suffisamment cuites et ramollies je les extraie pour retirer les graines cachées sous les écailles d'écorces. Nous mangeons ces petites graines au gout appréciable sur la plage, comme apéritif offert par notre environnement.

  Dernier bain: un plaisir immense bien que glacial. Le décor est somptueux, et nous ne nous lassons pas de l'observer pendant de longs moments, immobiles sur les galets. Bientôt le soleil disparaît, et laisse les galets restituer la chaleur accumulées aux chaudes heures. Avant son couché le lac devient rosé. Magnifique havre de paix et d'harmonie que nous ne pensons pas encore à quitter.
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Volodia et la cabane

05/08 :
  Dernière nuit sur notre couche en bois. Le soleil chauffe. Nous savons que ce sont les dernières heures que nous passons ici. Nous voulons tout simplement profiter de la matinée. L'eau fume dans la marmite. Assis sur le banc qui fait face à la plage, nous imprimons le paysage vaste et superbe sur nos rétines. Nous faisons la toilette du matin usant la marmite remplie d'eau tiède. Nous préparons les sacs. Déjà Luisa voit apparaître au loin un bateau à moteur qui se dirige vers nous. En 15 minutes il atteint la plage. Il est à peine 11h30. Nous ne l'attendions pas si tôt ; au minimum à midi voir beaucoup plus tard dans l'après midi. Nous rageons contre celui qui vient nous enlever à notre bout de paradis. Volodia se présente. Son allure sympathique calme ma colère. Comme tout ceux que nous avons rencontrés sur les rives du Baïkal, Volodia exprime une sérénité apaisante, le visage expressivement détendu. Il a vécu dans cette cabane avec sa femme avant que Sylvain ne vienne vivre ici. Pour des raisons familiales et personnelles, il n'y est pas revenu habiter. Avant de partir je veux retirer le filet du lac. Je retrousse les pantalons jusqu'aux genoux, et entre dans l'eau attraper la bouteille reliée au filet par une ficelle, m'évitant ainsi de m'immerger totalement. Je tire l'ensemble, le pantalon tout de même mouillé et sors le filet. La pêche miraculeuse n'a pas eu lieu.
  • " Malinka...petit " fais-je à Volodia en lui montrant mon filet.
  • " Da, malinka " répète-t'il d'un air consentant.
Je verse de l'eau sur les braises qui restent. Nous mettons tous les sacs à bord, avons d'y monter nous même.

    Le moteur démarre. Nous quittons le site. La cabane s'éloigne. Nous nous retournons régulièrement pour l'observer devenir de plus en plus jusqu'à n'être plus qu'un point minuscule sur la rive infinie du lac. La surface de l'eau agit comme un miroir. Les montagnes, les nuages se reflètent avec une telle perfection que l'image 
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et la réalité se confondent. Les sommets présentent des crêtes déchirées semblant être l'œuvre du marteau et du burin. Elles constituent une ligne chaotique qui découpe le ciel. Même si nous avons encore 2 jours à profiter du lac, l'éloignement de la cabane nous donne une saveur d'achèvement, une sensation de quitter un lieu d'exception. Le bateau file. Je scrute sans jamais lâcher mon regard sur cette taïga qui m'évoque tant de mystère. 17 kilomètres nous séparent du village de Zavarotna. Quelques maisons d'été juchent à l'extrémité sud du petit village côtier. Des bateaux de touristes russes sont amarrés au port. A l'entrée du village où nous avons accosté se dressent quelques maisons en bois relativement récentes. Cette partie détachée du coeur est de loin la plus agréable et la plus insérée dans le décor naturel. Nous nous installons dans une petite cabane en bois avec une terrasse couverte. Nous apprendrons que cette cabane avait été initialement construite pour être celle de Sylvain Tesson. Volodia nous invite chez lui pour manger. Dans une pièce en désordre où s'accumulent de nombreuses affaires, nous utilisons les feux à gaz pour préparer notre repas.
  Nous faisons un tour sur la plage. A notre retour nous avons la surprise et le plaisir de rencontrer Natasha et Serguei. Ils rentrent à l'instant de la montagne où ils ont passé quelques jours avec un allemand et une suisse ayant habité Irkoutsk dans les années passées. A cause de la météo ils ont décidé de rentrer un jour plutôt. De ce fait, nous nous retrouvons à 4 dans la cabane que nous a attribuée Volodia. Nous changeons alors de logement pour nous installer dans une grande maison en bois avec Serguei et Natasha. Nous nous réjouissant de les revoir ici et dînons ensemble sur la table extérieure installée près du lac. 
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Photos du lac Baikal

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Rencontre avec Alexey

06/08 :
  Nous avons dormi dans la grande pièce du rez-de-chaussée où se trouve la cuisine. Natasha et Serguei ont dormi à l'étage. Ce matin le Baïkal n'est plus un miroir parfait aux eaux calmes mais une mer tourmentée agitée de vagues qui s'échouent  bruyamment sur les rivages. Nous prenons un thé puis plus tard déjeunons ensemble d'une assiette de riz préparé par Natacha. Serguei dans ses propos illustre l'harmonie entre l'homme et la nature. Ses paroles, approximativement les suivantes, me rappellent intensément d'autres déclarations qui résonnent en moi comme une évidence: " j'ai une femme, des amis, le tout dans un environnement magnifique. Que puis je attendre d'autre ?". La vie ici est simple et suffisante, essentielle et sans superflue.

  Serguei a du mal  à communique avec le bateau à cause du temps voilé et des nuages qui occultent la liaison satellite. Nous quittons la rive, embrassant Natacha, et voguons au large. Nous attendons une grosse demi-heure en pleines eaux, nous balançant à la fréquence des vagues qui viennent du large. Lorsque les eaux sont turbulentes, il arrive parfois que la barque à moteur ne puisse pas approcher de la Komieta car les remous rendent la manoeuvre trop périlleuse. Ce ne sera pas le cas aujourd'hui. Nous ne resterons pas prisonniers de notre liberté.

  Enfin notre bateau pointe, un panache de fumée noire le suit. Le bateau ralentit, puis s'immobilise, laissant ronfler ses puissants moteurs. Nous nous rapprochons jusqu'à être à son contact. Un dernier effort et nous nous hissons à bord. Des passagers curieux et intrigués nous prennent en photographie. Que faisons-nous perdus, esseulés au milieu du lac ? Le temps vire à la pluie. Nous sommes abrités. La sensation d'abandonner quelque chose de cher nous envahit. J'aime l'atmosphère qui règne dans la cabine du bateau. Une petite boutique tenue par une hôtesse propose quelques plats, friandises et boissons. Je mange des graines de tournesol pour passer le temps. Assoupi depuis quelques instants, une hôtesse m'éveille. Elle me montre le téléphone et me fait signe de la suivre dans sa cabine privée. Elle me précède. J'entre et m'assois sur un banc face à la table garnie de plats qui montrent qu'elle était en train de déjeuner. La communication ne passe pas. Elle me prie de la suivre dans la cabine de pilotage. Je monte les quelques marches qui me conduisent au capitaine. On me tend le téléphone. Alexey est au bout du fil. Le capitaine pensait nous débarquer sur l'ile d'Olkhlon. Alexey veut s'assurer que nous ne descendrons qu'à Port Baïkal. Nous nous mettons d'accord de façon à balayer les incompris. Il viendra nous chercher à l'arrivée et réglera le laisser passer dont nous devons nous acquitter auprès du capitaine Je me replonge dans mes lectures puis tombe dans un sommeil léger. L'hôtesse a redescendu le panneau en bois qui ferme le comptoir de la boutique. Luisa se fait servir de l'eau chaude pour faire infuser notre dernier sachet de thé. Comme à l'aller le seul arrêt officiel se fait à l'ile d'Olkhlon. La plupart des passagers montent ou descendent ici, gros sac sur le dos. Le paysage doux de collines vertes évoque une Irlande riante et mélancolique. Dans cette atmosphère bucolique dissipée par une brume mystérieuse, Luisa y voit surgir les iles Orcades.
   
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7 heures de navigation. Nous arrivons à Port Baïkal. J'aperçois Alexey, qui me fait un signe de la tête, comme pour me dire que tout va bien. Il va voir le capitaine et règle notre différent pécuniaire. Après des semaines d'échange et d'organisation à distance, je rencontre enfin celui sans qui rien de tout cela n'aurait été possible. Il nous explique les malentendus, les incompris, les oublis aussi d'Oleg qui nous a laissé partir sans les sacs de couchage que j'avais fait réserver. Il nous raconte l'histoire de S Tesson; ce qui devait être au départ le lieu de son isolement, la cabane qui devait être la sienne. Il nous compte l'histoire de Volodia; comment sa femme malade est allé se faire soigner à la ville et n'a plus voulu revenir vivre dans cette réserve isolée. Toutes les pièces du puzzle se mettent maintenant en place, pour reconstituer les coulisses de cette aventure. Alexey parle naturellement. J'aime son humour et sa dérision, qui constituent à mon sens une qualité fondamentale des Russes. Luisa est chagrinée car elle vient de recevoir sur son portable un message envoyé depuis plusieurs jours. Des étrangers censés venir chez elle en Italie sont bloqués devant la porte, sans clé. A une problématique posée, Alexey rétorque naturellement une réponse évidente: Y'a pas de problème, depuis le temps ils auront trouvé un hôtel ! ".

  Nous prenons un bateau taxi pour traverser l'Angara, et récupérer sur la rive opposée sa voiture stationnée. Nous remontons  la route rectiligne qui perce la foret. Avant d'atteindre Irkoutsk, nous nous garons sur le bord de la chaussée. Nous attendons Oleg. Il s'est blessé en jouant au football et arrive la main bandée. Nous grimpons dans sa voiture. Une des portières enfoncée est recouverte de gros scotch marron. C'est avec ce même pansement que sont rafistolées les montures de ses lunettes. Nous quittons Alexey. Oleg nous conduit chez lui, dans son village dont le nom " Vétéran " est inscrit sur une pancarte en bois suspendue. La datcha est une maison secondaire de campagne qui permet aux Russes de quitter la ville à la belle saison et en même temps de cultiver leur potager afin de stocker les provisions de l'hiver. Oleg possède la sienne dans ce village traditionnel composé de belles maisons en bois. Dans sa propriété, un jardin propre et très bien entretenu donne de belles cultures florales, des légumes ainsi que des baies dont nous nous régalons. Une première maison en bois se compose d'une simple chambre. Juste à 
coté se trouve une seconde maison constituée d'une grande pièce faisant office de salon et d'une chambre d'amis séparée. Nous sommes ravis et reconnaissants de pénétrer dans son intimité matérielle. Il nous prépare à manger de l'omoul cru, des concombres préparés dans du vinaigre, du pain et le thé. J'avale 3 verres successifs de vodka. Oleg dont le visage sympathique ne peut être que rassurant, se montre serviable et désireux de répondre à notre intérêt sur sa vie.

  Il nous conduit chez Igor, à Irkoutsk., un ancien enseignant de français à l'université. Nous entrons dans la chambre et je m'affale sur le lit. Je repense à cette journée un peu folle, où nous avons troqué un univers unique en échange de rencontres atypiques. Le Baïkal est désormais derrière nous. Je suis fatigué, ivres de moments d'émotions enchaînés tout au court du voyage. De Serguei à Igor il y a deux mondes séparés de centaines de kilomètres d'eau et d'asphalte ondulé. De Serguei jusqu'à Igor, le silence et l'isolement du cap Pokoiniki ont cédé à l'agitation et à la civilisation citadine. 
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Photos du lac Baikal

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Partie 4: D'Irkoutsk à Vladivstok

Diner chez Igor

07/08 :
  Ce matin nous faisons plus ample connaissance avec Igor. Petit homme proche de la soixantaine, parlant parfaitement français, il apparaît dans un premier temps comme très réservé, peu enclin aux bavardages, mais dont les attitudes démontrent une attention bienveillante. Il travaille dans le théâtre et la mise en scène de pièce à Irkoutsk, mais également à travers différents pays d'Europe. Il n'aime pas voyager mais sa passion le porte à monter des projets hors des vastes frontières de son territoire. Il nous parle de la Russie d'avant, d'aujourd'hui, des bienfaits, des méfaits. Confrontation objective du passé avec le présent. Tout régime aussi dictatorial soit-il, n'a pas que des désavantages: la maison mise à disposition par le gouvernement ou l'école gratuite, à l'époque du régime soviétique, en sont des illustrations. La contre partie est que le peuple était prisonnier du système et voué à s'y plier sans rechigner. Aujourd'hui il y a sans équivoque davantage de liberté mais certainement moins d'égalité, et la corruption fait partie intégrale du système. 

  Igor a fait la décoration intérieure de son appartement. L'étage est à l'image d'un bateau, auquel on accède par un escalier de navire en bois. Il vit actuellement avec Lisa, sa seule étudiante du moment. Hier, ils ont récupéré un chiot abandonné que Luisa, attendrie, interpelle : " picolo ", autrement dit " petit " en Italien. Ce qualificatif deviendra son nom à la recherche duquel ils étaient encore.

  C'est une journée de transition et de repos. Nous avions besoin de digérer le retour au monde civilisé, de s'imprégner encore d'Irkoutsk, de se préparer à aborder la fin du voyage. La maison est située dans une rue de jolies maisons en bois, à deux pas de l'avenue Karl Marx. Ce matin la pluie s'est invitée et tombe assez intensément. Ce temps maussade me plait : c'est celui de la mélancolie. L'atmosphère grise et fraîche est propice à concentrer les énergies mentales qui puisent dans le souvenir.

  Il est quasiment 12h lorsque nous sortons. La pluie a enfin cessé. Nous empruntons les rues de la ville que nous connaissons, allons au  marché couvert acheter du l'omoul séché, puis flânons dans quelques magasins. Nous faisons une longue une pause déjeuné, goûtant d'autres plats typiques, buvant de profondes gorgées gazeuses de boissons pétillantes, écrivant aussi des cartes postales.

  Nous rentrons en fin d'après-midi. Lisa et Igor nous invitent à dîner avec eux. Ils nous préparent un bon et beau repas : salade de tomates, persil oignons joliment présenté. S'en suit une assiette de pelmenis traditionnellement accompagnée par un verre de vodka. Pour faire honneur à la bouteille je renouvellerai bien volontiers la levée de coude pour de nouveaux cul secs. Un plat de pommes de terre forestières complète le repas, puis des biscuits et enfin des myrtilles accompagnent un thé fumant. La soirée se prolonge dans de longues 
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discussions sur la liberté des hommes et des femmes qu'il faut, selon Igor, conceptualiser, et qui fait l'objet d'un livre en préparation. Igor est un homme cultivé et intéressant. Il nous offre le paquet de thé dont nous avions passé commande.
  Il enseigne le Russe selon une méthode personnelle. Selon lui, avec une grande ouverture d'esprit, on doit être capable de bien parler la langue en un mois. Intrigant. Je reste sceptique, suspendu à ses affirmations. Peut être l'avenir répondra à cette énigme, si nous décidons d'un jour tenter l'expérience. Pour l'heure un groupe de turques vient d'arriver et occuperont la chambre d'Igor qui pour cette nuit dormira ailleurs. Tandis que me doigts se débattent sur le clavier de l'ordinateur installé dans le couloir, un des jeunes du groupe m'offre une vodka avant que je gagne ma chambre.

Photos d'Irkoutsk

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Oulan Oude et Héléna

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08/08 :
  Lisa nous prépare un bon petit déjeuner traditionnel avec des blinis, de la confiture, puis un porridge, et du thé. Les crêpes sont délicieuses et j'en reprend jusqu'à plus faim. A 8 heures Alexey arrive à la maison. Comme nous avons un peu de marge sur l'horaire nous terminons de nous régaler sans nous presser. Pendant que nous nous préparons Alexey en profite pour s'attabler à son tour et goutter aux blinis cuits en grande quantité. Nous saluons Lisa, la remercions, saluons Picolo et partons en voiture pour la gare. Je questionne Alexey sur les conditions de tournage du film " Loup " de Nicolas Vannier. Il a fait les repérages pour le tournage puis travaillé sur place en tant qu'assistant du metteur en scène. Le film a été tourné sur plusieurs périodes de l'année en Iakoutie, au nord est de la Sibérie. Je l'écoute conter les conditions de réalisation dans l'environnement et les traditions du peuple des Evènes, sous des températures extrêmes descendant jusqu'à -50°C. Le contact avec ces populations aux modes de vie traditionnels me laisse rêveur. Si loin de nous, si proche de ma recherche existentielle. Les images défilent, les informations s'accumulent. Je sens, je sais que des histoires à écrire, des aventures à imaginer s'inscrivent ici dans un futur. Alexey m'ouvre des portes, me donne accès à un monde qui m'attire, me le rendant d'un seul coup un peu plus accessible. Le concept aventureux et la philosophie du voyage établissent des liens que la barrière physique ne saurait rompre.
  Il nous offre le plus beau cadeau que je pouvais recevoir : une carte du Baïkal ; trace de la géographie d'un écosystème unique. Il grimpe avec nous dans le train, reste jusqu'à la dernière minute avant de quitter le wagon. Nous nous saluons. Je le remercie sincèrement. Il est des rencontres que la rationalité ne suffit pas à expliquer. Je ne peux rien affirmer, ni certifier, pourtant je sais que celle-ci en est une que le temps ne disloquera pas.

  Après 10 jours de trêve, le voyage à bord du transsibérien reprend son cours. Le ronronnement régulier du train sur les rails redevient la musique de fond qui traverse l'espace et le temps. Les mêmes saccades continues nous replongent dans le rythme lent et bien huilé désormais familier. Les paysages de la taïga sont étendus et vallonnés ; une splendeur de nature verte et sauvage que l'homme n'a pas su dompter. A Slidounka nous rejoignons la rive sud du lac. Pendant 2 heures environs nous ne la quitterons plus. Les vastes étendues d'eau claires ravivent les images des jours vécus. A Baïkalsk nous abandonnons la rive et quittons définitivement le lac majestueux pour suivre la rivière Selenga. La provodnitsa s'est transformé en homme. Il me propose une cigarette. " Niet Kourit ", je lui dis que je ne fume pas.

   
Voici Oulan Oude. Nous sortons du train et cherchons sur les quais une silhouette que nous pourrions identifier. Helena devrait venir nous chercher seulement nous n'avons pas de nouvelles depuis 48 heures. Nous sortons par une passerelle qui enjambe les quais, scrutons attentivement d'un coté puis de l'autre, à sa recherche. Pas d'Helena. Nous attendons, cherchons encore. Personne. Nous réalisons tardivement que la véritable sortie de la gare ne se trouve pas où nous le pensions. Nous l'avons occultée, absorbés par le flux de passagers qui se ruaient vers les escaliers de la passerelle. Après 30 minutes, nous admettons qu'Helena ne viendra plus. Changeons de stratégie : puisque le plan A a avorté alors passons au plan B sachant qu'il n'y a pas de plan B! Adaptation strictement providentielle, fonctionnelle en toute situation selon un adage russe.

  Nous avons son adresse. Nous demandons à un policier de nous l'indiquer sur un plan affiché contre un panneau. Nous décidons de nous y rendre en taxi. Nous nous faisons déposer devant le numéro de sa rue, mais constatons qu'il y a 3 portes d'entrée dans le bâtiment. Nous interrogeons sans réussite les habitants qui sortent des blocs jusqu'à ce qu'un jeune sorti fumer nous dise connaître Helena. Il nous indique la porte mais nous restons bloqués par un code. Il sonne chez elle. Personne ne répond. Il appelle plusieurs voisins par l'interphone, tente de la joindre par téléphone en remontant chez lui. Toujours personne. Quelqu'un nous ouvre. Nous montons jusque devant la porte de l'appartement d'Helena puis, constatant son absence, redescendons, décidant d'attendre à l'extérieur. Quelques instants plus tard, le jeune qui s'est dévoué pour nous rendre service nous fait signe que la femme qui arrive par le jardinet au centre des bâtiments est Helena.

  Un peu confuse et embêtée par la situation, elle parait rassurée de nous voir. Son téléphone avait des problèmes et elle n'a pas répondre à nos messages. Elle s'est rendu à la gare mais ne nous a pas trouvés. L'explication est simple. A présent le problème est solutionné. Il n'y aura pas de plan C à inventer ! Nous suivons Helena. Elle vit dans un appartement assez moderne, à l'image décalée par rapport à l'extérieur plus vétuste de l'immeuble. Nous entrons par un couloir à l'entrée duquel nos ôtons les chaussures. Dans la chambre immédiatement à gauche, nous saluons sa mère avec laquelle elle habite. La vision que nous avons est drôle, décalée, semblant sortir d'un film des année 50 : assise sur son lit, la mère écoute de la musique, un gros casque audio sur la tête, les yeux rivés sur le poste de télévision. L'accueil nous fait discrètement sourire.

  Nous prenons un thé puis sortons avec Helena pour nous rendre en ville. Une gigantesque statue représentant la tête de Lénine est érigée sur la place principale. Nous suivons l'avenue Lénine, arborée, agréable et calme. Dans de vieux quartiers pauvres, d'élégantes maisons en bois donnent des couleurs. Oulan Oudé fait partie de la région de la Bouriatie. Les gens ont des influences Mongoles comme on le devine sur leurs visages très expressifs et typés. Nous laissons Helena nous emmener dans un restaurant où l'on sert de la nourriture bouriates et chinoise. Nous lui demandons de choisir pour nous. Dans une pièce à part, isolés de l'animation de la soirée et du bruit ambiant, nous savourons
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les mets. Nos conversations confirment que les gens aisés vivent mieux aujourd'hui tandis que les plus pauvres mènent une vie plus difficile. Ces derniers ont perdu des bénéfices que les avantages ne compensent pas. Helena parle un anglais approximatif. J'ai du mal parfois a me faire comprendre. De temps à autre, elle passe en mode " je parle Russe " qui me laisse hagard devant les sons que je ne reconnais pas. Puis l'air de rien, aussi indifférente et sans raison, elle re bascule en mode " je parle anglais ". Ce changement aléatoire nous amuse beaucoup.
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54 heures...

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09/08 :
  Au réveil un bon petit déjeuner nous attend. Porridge, pain noir dont Luisa devient addicte, confiture de framboise et thé. Helena nous accompagne au supermarché où nous devons faire de brèves courses pour le long voyage en train qui nous attend. Nous rentrons le sac plein de provisions. Helena nous propose de nous accompagner au temple bouddhiste. Nous n'avons rien d'urgent à faire. Nous prenons donc un bus privé pour rejoindre le lieu de prière situé un peu en dehors de la ville, sur des hauteurs. La vue qui domine la ville est belle et dégagée. Le site est intéressant mais je ne suis pas adepte des croyances religieuses, même si c'est avec plus grand respect que je considère la religion et le bouddhisme en particulier. Ce n'est pas le point de vue d'un croyant qui me reprend à l'ordre alors que je tourne le dos à la représentation du Dalai Lama.
  La visite faite nous rentrons en bus, puis faisons une partie de l'itinéraire à pied. Helena est attentionnée envers nous. Elle nous prépare des posis pour le déjeuner. Je termine le plat avec plaisir et contentement. Le ventre calé nous sommes prêts à prendre le taxi qui nous attend devant l'immeuble. Il nous déposera à la gare. Nous n'avons pas beaucoup de temps de battement, et avons des difficultés à trouver le quai où se situe notre train. Les tentatives de demande d'aide n'aboutissent pas. Après quelques sueurs froides nous trouvons finalement notre train, identifions le wagon et la provodnitsa. Nous nous installons aux places numéro 37 et 38. Ce sont deux emplacements une nouvelles fois correspondant aux compartiments les plus étroits à 2 couchettes superposées, juste à coté des toilettes. De plus nous sommes face au soleil. On ne peut pas dire que les choix de place attribués aient été les meilleurs ! Pour faire simple, disons que ce sont les pires ! C'est parti pour 54 heures...Nous baissons le store pour nous protéger de la chaleur derrière la vitre. Nos voisins sont une famille : les parents et leur fille adolescente. Une autre femme occupe provisoirement la dernière couchette du compartiment. Malheureusement, à l'image de la mère, et ce malgré son jeune age, la jeune fille est déjà obèse. Cela n'empêche pas la petite famille de passer le début du voyage à manger. Viendront jeu de cartes et partie de loto pour assurer la transition vers une lente digestion. Les paysages traversés sont superbes : la vaste steppe sibérienne alterne avec la taïga. D'abondantes rivières dessinent les artères d'un environnement 
généreusement vert et sculptural. A perte de vue les yeux s'enivrent d'une beauté majestueuse. De petites hermines se dressent sur leurs pates arrière le long de la voie ferrée. Des villages en bois dessinent des habitats typiques égayés davantage encore par de grands ensembles ordonnés de cimetières colorés. L'arrêt en soirée est un moment paisible de détente et de bien être. Les vendeurs qui attroupent proposent des trésors pour quelques roubles. La pause est appréciable pour se dégourdir les jambes dans une atmosphère sociale et une température parfaite. Le train reprend son inexorable course vers l'est. Nous dînons devant un panorama privilégié, magnifique. Je poursuis mes lectures après avoir préparé mon lit. Bientôt l'extinction de la lumière par la provonitsa plonge le wagon dans le silence du train et ses bercements.

10/08
    La nuit est paisible, alternée de réveils successifs causés par les secousses, le souffle du train et ses grincements. Nous avons gagné 1 heure supplémentaire. Je lève la tête, les yeux mi clos, apercevant le soleil qui débute sa lente remontée dans le ciel. Le spectacle est celui d'un tableau ayant capté la poésie d'un ciel rose vif sur un premier plan sur lequel se faufile une rivière. Une couverture de ouate nuageuse épaisse recouvre l'horizon. La base de la peinture est une chaine verdoyante de collines. Je me rendors avec cette vision en toile de fond. Le soleil grimpe et déjà chauffe à travers la vitre, m'éblouit. Luisa ouvre les yeux. Une vendeuse passe. J'achète 2 beignets dont j'ignore le contenu. Je lui tends un billet de 50 roubles. Elle n'a pas la monnaie et,.devant ses explications inutiles, je capitule : je prends 2 autres beignets comme elle m'incite à le faire et m'allège de 50 roubles. Ici et là des travailleurs en gilet orange fluorescent apparaissent sur les bords de rails. La nature est omniprésente, grandiose. Malgré le spectacle permanent qui défile, les heures s'égrènent monotonement. La taïga reprend place. Partie de carte, sieste, lecture puis repas et partie de dés. Nous quittons notre wagon, cocon douillet de notre micro société, pour franchir les portes qui ouvrent sur d'autres univers. D'autres lieux inconnus. Autant de mondes que nous découvrons en y pénétrant, avec des visages nouveaux, des odeurs différentes, et des regards qui traduisent
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l'inconnu. Au wagon restaurant nous prendrons un verre. Deux hommes sont attablés. Il y en a seulement deux ainsi qu'un comptoir ou il est possible de manger debout. A la possibilité de manger des plats chauds, une épicerie propose également des friandises. Alors que nous stoppons devant une fenêtre de couloir, la provodnitsa du wagon nous incite sèchement à rejoindre le notre. On ne plaisante pas avec ça. Nous rentrons chez nous. C'est le moment que choisit le train pour s'immobiliser en gare. Descente sur les quais pour scruter quelques officines et acheter une glace. Il faut déjà remonter. Ta ta ta tam. Le train reprend sa lutte pour traverser l'espace infinie. Les Russes sont patients. Ils ont l'habitude de voyager des journées entières. Les arrêts sont les récréations du voyage et le prétexte pour acheter raviolis, framboises et autres paquets surprises. Nous avons officiellement quitté la Sibérie pour entrer dans l'extrême orient de la Russie. Avec la nuit qui approche je débute de nouvelles lectures qui m'envoient dans un camp de goulag vivre le quotidien d'un prisonnier. Cette région du pays m'évoque ces camps et je repense à la folie de Slavomir Rawicz qui pour échapper à l'enfer s'est évadé d'un camp près de Iakoutsk. C'est aussi l'occasion de raviver les jours passés dans la cabane près du lac Baikal, à l'évocation mentale de cet itinéraire, emprunté par S Tesson et conté dans son livre " l'axe du loup ". Du cauchemar à la liberté. Ta ta ta tam. Je m'endors porté vers l'est, et passe la meilleure des nuit à bord du transsibérien.

11/08
  Lorsque j'ouvre les yeux je suis aveuglé par une lumière dont je ne comprends pas l'origine. Le soleil plus matinal que nous illumine de mille feux  ma couche. Il est moins de 7 heures. Je me rendors. La vie dans le wagon s'éveille, mais nous restons allongés encore longtemps à la contempler en silence. Nous franchissons les 8000 kilomètres. Le paysage a laissé place à de vastes étendues planes. Nous prenons un café sur les quais, et faisons une petite marche matinale. Le train a changé de cap. Le soleil ne frappe plus sur les carreaux de la fenêtre. On change d'heure pour la dernière fois. Moscou + 7. Les arrêts sont des moments précieux.  Perdus au milieu d'une foule dont nous ne partageons aucune langue commune, nous sommes sur les quais d'une ville inconnue, à plus de 8300 kilomètres de Moscou dans 
une géographie étrangère, sous un ciel menacé par de sombres nuages. Je pense à notre situation qui apparaît tout à coup surréaliste. Nous achetons une poche de raviolis. Au signal de la provodnitsa tout le monde regrimpe dans le wagon. Nous retournons à nos places et vaquons. Pas de rencontres impromptues. Nous dînons. Le soleil décline. Après 54 heures de train nous allons atteindre Khabarovsk. Nous traversons l'Amour, par le plus long pont du voyage : 2,6 kilomètres de métal pour enjamber le fleuve. En http://fr.wikipedia.org/wiki/Russie!Russie tout est démesuré ; même les fleuves prennent des dimensions hors norme. Le soleil couchant sur la rive opposée est superbe. Pour la première fois depuis le début, le train accuse un retard. 30 minutes exactement ; comme s'il voulait nous garder à bord. Nous saluons nos voisins de compartiment avec lesquels nous avons passé l'intégralité du voyage. Nous quittons un univers, une famille dont nous ignorons tout. Pourtant, sans communiquer autrement que par des gestes, nous avons voyagé, dans le confinement du wagon, à l'intérieur de leur cellule familiale.

  Sur les quais Sergey et Polina nous attendent. Ils brandissent une pancarte avec écrit le nom de Luisa. Nous avançons vers un nouvel inconnu. Nous ignorons tout de Sergey et Polina. Qui sont-ils ? Où habitent-ils ? Que feront-ils demain ? Le premier contact est chaleureux. Nous montons dans une voiture dont le volant à droite permet d'identifier facilement la facture japonaise. Derrière les vitres fumées, nous faisons une visite nocturne dans les rues de Khabarovsk. La première impression donne de la ville une image plus propre et mieux entretenue de celle des autres villes visitées.

  Sergey travaille à la construction d'aéroport. Originaire d'Iakoutsk il est descendu ici pour les études et y est resté pour le travail. Tout les 2 sont passionnés par la culture chinoise ; ils étudient et parlent la langue. Pour justifier l'influence très présente de la Chine dans la région il est bon de signaler la proximité de la frontière : à 2 heures de bateau, en remontant l'Amour, le pays du soleil levant étend son territoire.

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  L'appartement de Sergey est spacieux. Autour de la table de la cuisine nous buvons un thé. L'hiver a été froid, neigeux, et les photos qu'il nous montre en attestent. Les conditions hivernales opposent à la douceur et la chaleur que l'été ne laisse pas présager. Nous bavardons jusqu'à 1h30. Après une bonne douche, nous nous glissons sous les draps.
Russie Transsibérien/Baikal

Photos du transsibérien

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Sergey de Khabarovsk

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12/08 :
  Sergey est debout avant nous. Nous bavardons un long moment autour d'un café avant de quitter l'appartement. Nous nous laissons conduire sans nous préoccuper d'où nous sommes. Nous stationnons la voiture devant le stadium de hockey. Sergey est un compagnon charmant, et sympathique que nous suivons et écoutons attentivement. Les impressions de la veille se confirment lorsque nous parcourons les rues du centre à pied. Khabarovsk est une ville propre et ordonnée, sans aucun doute la plus agréable des villes parcourues depuis notre arrivée en Russie. Sergey nous commente chaque bâtiment, rendant la visite d'autant plus attractive et attrayante. D'anciens bâtiments restaurés se mélangent harmonieusement à des constructions plus modernes. Comme de nombreuses villes jusque là, Khabarovsk est abondamment boisée. Des places avec bassins et fontaines et de nombreuses sculptures souvent humoristiques jalonnent notre parcours. La remontée d'une des principales avenues mène au fleuve Amour. Le long des berges, de nombreux citadins viennent s'agglutiner le week end le long de la plage de sable. Aujourd'hui cette dernière est plutôt calme bien que quelques badauds se jettent dans la rivière interdite à la baignade.

  Dans un self service populaire nous mangeons de bons plats pour une poignée de roubles, abrités d'un soleil agressif qui ne nous ménage pas. Nous allons encore arpenter les allés d'un parc où des installations sportives sont emménagées, avant de rejoindre l'Amour et son embarcadère. Nous y retrouvons Denis. Tous les 4 nous montons à bord d'un bateau pour une ballade sur le fleuve, jusqu'à une ile où se fera un échange de passagers. Nous restons à bord. La ballade fluviale offre une vue des berges et de la ville assez séduisante. Nous faisons rapidement connaissance avec Denis, un personnage cultivé, fier de son pays et soucieux de son avenir, voyant l'arrivée des chinois d'un mauvais œil. Il aimerait voir l'Europe installer une économie et un savoir faire. Plus nous avançons dans le temps, plus les pensées se dévoilent et plus ce pays se révèle attachant. L'histoire divise toujours la population entre regrets et espoirs.

  Denis nous offre à chacun une bouteille d'une boisson étrange au gout de cola dont l'étiquette est flanquée du nom de " Baïkal ", en hommage à la perle de la Sibérie dont lui avons tant conté de bien. Polina travaillait jusque là. Elle nous rejoint en fin d'après-midi pour poursuivre notre promenade animée de discussions passionnantes. En voiture nous nous rendons jusqu'à un temple coiffé de coupoles d'or qui embrasse une belle vue sur la ville. Denis en profite pour nous faire trinquer avec une ancienne boisson légèrement alcoolisée. A coté du temple se dressent des monuments commémoratifs de la guerre où s'alignent de gigantesques pans de murs de pierres sur lesquels sont inscrits les noms des victimes. L'ouvrage et l'étendu impressionnent et forcent au recueillement.

  Nous rentrons préparer nos sacs. Sergey et Polina nous convient à manger. Soupe de pomme de terre et champignons ; saumon cru et salé ; salade de tomates, concombres avec 
oignons et aneth. Délicieux moment de partage dans une ambiance de vieux compagnons de classe, alors que nous venons à peine de faire connaissance. Passionnés tout deux par la Chine et la cuisine asiatique ils nous donnent une galette d'algue séchée. Nous la goutterons plus tard... Nous quittons l'appartement pour la gare. Polina nous offre une plaque de chocolat. Nous les remercions encore, et les abandonnons pour notre train.
  Nous repérons nos places et sommes happés par un bruit strident. 4 femmes et 1 homme sont installées sur l'emplacement voisin, ainsi que 3 enfants qui s'amusent sur les lits supérieurs. Ils mangent et boivent de l'alcool, rient bruyamment en poussant des cris sourds. Nous sommes à bord du dernier train de notre voyage. Ce dernier est plus confortable que les précédents. Le transsibérien veut-il que le voyage s'achève sur une bonne note ? La dernière soirée s'annonce agitée et bruyante mais ces aléas du voyage n'ont pas de prise sur notre humeur enjouée. Et puis le trajet ne dure que 11 heures ! Finalement en fin de soirée l'agitation prendra fin. Chacun gagnera sa couchette pour faire retrouver au wagon son silence nocturne. Nos voisins ont désertés. Il ne reste qu'un couple installés sur les 2 lits du bas, et 2 enfants qui s'amusent de voir des étrangers, sur les lits supérieurs.
Russie Transsibérien/Baikal

Photos de Khabarovsk

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Vladivostok... "Ici c'est l'est !"

13/08 :
  A 6 heures la plupart des passagers descendent. Nous nous rendormons. Une heure et demi plus tard la provodnitsa nous réveille. A ce moment précis je n'arrive pas à saisir comment il est possible que la mer se présente à notre droite alors que nous venons du nord et roulons vers le sud. La seule explication plausible est que nous longions déjà les baies qui annoncent notre destination finale. Pour confirmer notre approche, apparaît face à nous une succession d'immeubles parallélépipédiques. La ville se présente comme un légo géant d'habitations relativement modernes. Le train entre en gare, ralentit lentement. Nous avons le temps de réaliser durant les longues secondes que les freins mettent à nous immobiliser que ce sont les derniers mètres d'un long parcours qui s'achève. 9289 km. 7 jours de voyage. 7 fuseaux horaires. Destination finale. Le bout du bout. Le train s'immobilise pour de bon. Je scrute Luisa qui en cet instant touche un rêve du doigt. Une émotion légitime nous éprend. Nous foulons les quais. Un petit monument indique la fin de la voie ferrée. Écrit en cyrillique sur le haut de l'imposante gare: Vladivostok. " Ici c'est l'est " pourrait on traduire. Destination impensable. Position géographique improbable. Plein est se trouve le Japon. A l'ouest, à 100 kilomètres à vol d'oiseaux la Chine étend son empire. Au sud le pays le plus fermé au monde déploie sa frontière: la Corée du nord.

  Nous avons 2h30 à passer dans les parages. La gare est un splendide bâtiment dont nous arpentons les halls. A 10h30 nous rencontrons Vadim devant la poste, face à la gare. Nous prenons un bus, roulons 15 minutes environ et descendons à quelques pas de chez lui. Vadim est programmeur pour une société de téléphonie. Il vit dans un appartement modeste d'un vieil immeuble avec sa femme et la fille de sa femme pour l'heure en vacance à Moscou. Le propriétaire actuel habitait ici avant la fin du modèle soviétique. A la chute du régime les occupants sont devenus propriétaire gracieux de leur logement.

  
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Nous installons nos affaires dans la pièce principale. Le canapé déplié est recouvert d'un tapis faisant office de couverture. L'appartement nous rappelle celui de Vladimir à Moscou. Nous prenons un thé dans la petite cuisine. Réservé dans un premier temps, Vadim engage la conversation avec intérêt et curiosité. C'est un homme cultivé, qui aime les films et la littérature. Il nous confie ses reves de voyager. Nous faisons un bon dans notre histoire de 60 ans en arrière en réalisons que ce rêve américain est le même que celui qu'à connu l'Europe après la guerre. Avec sa femme ils vendent des produits alimentaires et des vitamines produits par une firme américaine. C'est un moyen pour eux de mettre un peu d'argent de coté et d'avoir des opportunités de rencontrer des gens d'autres horizons lors de séminaires. Il y a 80 ans Vladivostok était un village, une enclave militaire dans laquelle on ne pouvait pas entrer, un lieu stratégique contrôlé. Aujourd'hui la ville est devenu un mythe dans la culture européenne. Aujourd'hui ses habitants revent d'autres horizons lointains.

  Vadim souhaite regarder un vieux  film de l'évoque de l'URSS dans sa chambre. Nous profitons de ce temps libre pour nous reposer, pensant sortir vers 15h. L'heure tourne et nous sommes toujours là. Nous commençons à nous impatienter. Vadim dine. Nous prenons le thé. Il disparaît de nouveau dans sa chambre où il s'assoupit vraisemblablement. Nous sommes cloîtrés à l'intérieur et passons une partie de la journée ainsi à attendre. A 17h20 nous sortons enfin, un peu agacés par cette attente interminable. Nous retournons au centre, puis gagnons la plage de sable qui borde la baie entourée de bateaux de fret. Ce n'est peut être pas l'endroit le plus propre ! De nombreux vendeurs tiennent de petits stands qui forment des allées commerçantes animées. Nous sommes samedi et il y a du monde qui flâne. Au delà de la plage nous rencontrons Natalia, la femme de Vadim, qui sort du travail. Elle ne bafouille que quelques mots d'anglais. Brune, les cheveux tressés, élégante dans une robe en coton dentelé jaune, Natalia a l'allure distinguée. Nous visitons le vieux quartier aux bâtiments anciens. Vladivostok n'est pas aussi propre ni aussi ordonné que Khabarovsk, mais ce vieux quartier conservé transpire l'histoire de ce port fermé. De nombreux monuments commémorent les guerres civiles et mondiales, ainsi que celle contre son voisin d'outremer japonais. Nous grimpons à pied au sommet du funiculaire qui demeure fermé pour travaux. Nous efforts pour 
accéder au point de vue ne sont pas récompensés. Les nuages se sont amoncelés, et une bruine fine tombe: la vue sur le port est totalement bouchée. Nous prenons un bus pour rentrer à l'appartement. Natalia nous propose des tomates et des concombres, puis un reste de poulet à la semoule. Par manque de place, Natalia et Vadim se relaient pour manger avec nous. La communication avec Natalia est difficile. Nous prenons tous les 4 le thé dans le salon, en mangeant des blinis juste sortis de la poêle ainsi que des gâteaux de production locale. Nous échangeons longuement sur nos pays respectifs, sur le commerce et leurs reves de voyages...
Russie Transsibérien/Baikal

Natalia et Vadim

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14/08 :
  Le confinement de l'appartement rend l'atmosphère oppressante. Une chaleur étouffante nous accable et rend le sommeil pénible. Ce matin un filet d'air frai s'engouffre par la fenêtre entrebâillée. Nous entendons à peine Natalia se lever, silencieuse et discrète. Elle se prépare pour sortir travailler. Nous peinons à nous lever d'autant que Vaddim n'est pas très matinal. La matinée n'est pas prolifique et nous traînons, tournons en rond, tandis que les heures s'égrènent infructueusement.

  Luisa et moi ne quitterons l'appartement que lorsque midi sera passé. A la gare de bus du centre nous croisons Natalia qui termine sa journée de travail et rentre chez elle. Nous déambulons dans Vladivostok, arpentant les rues sous un soleil de plomb pesant. La ville est une succession de pentes ascendantes et descendantes qui collent aux collines. Son relief vallonné lui vaut la comparaison avec San Francisco. Il règne dans Vladivostok un vrai désordre, un chantier permanent désorganisé, des travaux à chaque coin de rue. Les grues envahissent les zones de construction, inondent le port. Une partie du tablier du pont qui doit permettre de rejoindre un bras de la péninsule est suspendu au développement économique. Je ressens la fin d'un monde géographique et temporel, noyé dans la brume du soir qui dissimule le passé pour inventer un avenir. Nous faisons les boutiques d'un centre commercial sans grand intérêt avant d'aller nous abriter de la chaleur dans un café branché. Si la climatisation abaisse la température corporelle, elle ne filtre pas les filles à la mode, jupe ras des fesses, la démarche forcée, qui entrent goutter aux pâtisseries et s'abreuver d'un thé parfumé.

  Je trempe les pieds dans la mer du Japon. Le bain le plus oriental qu'il m'est permis d'avoir fait ! Comparé aux quelques degrés du http://fr.wikipedia.org/wiki/Lac_Ba%C3%AFkalBaikal, il me laisse une sensation de tiédeur. A 18 heures nous retrouvons Natalia et Vadim à la gare de bus. Nous les invitons à dîner dans un restaurant qu'ils ont eu le soin de choisir. Nous nous asseyons autour d'une table qui se garnira bientôt de multiples plats chinois. Ce repas représente notre témoignage de remerciement pour nous avoir reçus au dernier moment  et offert l'hospitalité. Bien que je me sois habitué à ces comportements, je reste surpris de l'absence de réaction des Russes devant une offrande. Toujours très raisonnés, ils acquiescent sans fioriture, sans manifestation excessive, sans même la plupart du temps un mot. Si cela peut sembler désorientant dans un premier temps, j'admire cette pudeur, et la façon qu'ils ont de donner et recevoir sans attendre la délicatesse du retour. Ce moyen d'expression n'occulte pas la richesse des échanges ni leur générosité. Nous gouttons un à un les plats, alternant silences et conversations. Après de maigres achats au supermarché nous rejoignons Natalia et Vaddim que nous avons laissé filer devant. Je redoute la chaleur...
Russie Transsibérien/Baikal

La Russie en 8h30

15/08 :
  Nous nous sommes endormis très tard. Trop de thé. Trop chaud. Nous tentons de dissoudre notre insomnie dans la cuisine, avalant un grand verre d'eau puisé dans l'une des grandes bombonnes en plastique. Nous finirons par trouver le sommeil difficilement. Vadim et Natalie se lèvent déjà. Nous en faisons de même. Nous remercions chaleureusement Vadim avant qu'il ne disparaisse pour aller travailler. Concours de circonstance heureux, Natalia doit aller à l'aéroport chercher sa fille qui rentre de Moscou. C'est une chance car, nos horaires coïncidant, nous irons ensemble. Sans sa présence, nous aurions eu bien du mal à trouver la gare de bus périphérique pour prendre les transports en commun à destination de l'aéroport. Natalia est très introvertie. L'équilibre de ce couple est touchant. Elle apporte à Vaddim sa raison de vivre, étant selon ses propres dires sa " muse ". Vadim assure à Natalia la sécurité et la protection dont elle semble être dépendante.

  La route qui conduit à l'aéroport est d'un chaos effrayant, en travaux continu. Associé à un trafic important, nous rencontrons de nombreux ralentissements. Il est totalement déroutant d'imaginer que la ville est a quasiment 10000 kilomètres du gouvernement de Moscou. Il est tout aussi impensable de constater que le seul pont aérien que les relie soit si difficilement accessible.
    C'est dans le hall de l'aéroport que nous quittons Natalia. Nous attendons patiemment notre vol. En 8h30 nous retraversons en sens inverse les 8200 km, et les 7 fuseaux horaires parcourus en 7 jours de voyage. 8h30 de vol sans jamais quitter les limites d'un territoire. Tout simplement incroyable. Nous remontons le temps et l'espace pour boucler notre parcours en retrouvant la mégalopole furieuse de Moscou. Il est 20 heures, heure locale. Nous prenons un bus depuis l'aéroport qui nous entraîne dans un bouchon de convois de bus, en périphérie de la ville. Je fustige contre la ville, la circulation, le stress qu'elle engendre.   

  Encore une rame de métro et nous descendons pour rencontrer Olga. C'est une amie que Vladimir, ne pouvant pas nous recevoir, a mis sur notre route afin de 
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nous héberger. Olga est jeune, sympathique, et semble très attachée à sa ville qu'elle défend avec acharnement et passion. Le quartier où elle réside est boisé et agréable. L'appréhension de revenir à Moscou cède à la place à l'enthousiasme alors que nous parcourons à pied, sac au dos, la courte distance qui nous sépare de l'appartement d'Olga. Nous terminons de manière des plus agréables nous séjour avec un retour à la capitale dans un appartement propre, agréable et une hôtesse fort sympathique.

  Le lendemain nous sortons à 8 h  en même temps qu'Olga, prenons ensemble le métro avant de l'abandonner bientôt pour suivre la direction de l'aéroport.
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Photos de Vladivostok

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Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeuxMarcel Proust