Mourmansk

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    Ca commence comme dans une chanson de Jacques Brel : «J'ai voulu voir Mourmansk et j'ai vu Mourmansk»

    Il suffisait de prendre un train. Monter dans un wagon et suivre les deux lignes parallèles du temps qui relie Saint Petersbourg à la péninsule de Kola. Le rail est un sablier qui égrene les secondes sacade après sacade, au rythme des traverses.
De la ville impériale, fenêtre impossible posée dans le marécage depuis 3 siècles pour rejoindre l'Europe, démarre un compte à rebours de 28 heures. De l'autre côté de la vitre le grand blanc défile et étire son manteau à perte de vue et à perte de rêve, délaissant progressivement les steppes et les forêts au profit de la toundra. En cette fin de février le thermomètre ne sait plus trop bien où il en est. La colonne de mercure s'affole. La neige traspire.

    Tandis que le train s'immobilise en gare de Petrozavodzk, batiment superbe, et que je patauge avec mes claquettes dans la neige qui fond, je me remémore les forêts de Carélie où 2 ans plus tôt je faillit me découper le pied à coup de machette en fendant du bois au bord du lac Onega. Je me remémore aussi cette après-midi avec Oxana qui me récitait des vers d'Apolinaire tant bien qu'elle ne parla pas un mot de français. Improbable Russie.

    Le train reprend sa marche vers le nord.

    
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22h30. Il s'immobilise en gare de Mourmansk. Tous les passagers descendent. Terminus du train. Je viens d'atteindre un lieu enfoui depuis des année dans un coin de mon cerveau. L'atmosphère nocturne et la neige qui s'abbat apporte davantage encore de fantasque à mon arrivée. Je quitte la gare, mon sac chargé sur le dos, et file emmitouflé, aux lueurs des lampadaires, chercher mon hôtel. Je fais le tour du bloc, au numéro duquel peuvent correspondrent des entrées différentes. Sur le bout de papier que je tiens entre mes mains, je lis et relis l'adresse grifonnée. J'ai beau chercher, aucune indication ne signale la présence de mon hôtel et aucun code ne m'invite à franchir les barrières de l'ancien batiment soviétique. Des jeunes discutent sur le pas d'un immeuble. Je les interroge. Ils font une recherche sur leur téléphone portable et appelent. Quelques secondes plus tard une porte s'ouvre. J'étais devant l'entrée! Première étrangeté !
    Tatiana m'accueille chaleureusement dans l'appartement reconverti dont je suis le seul occupant. Aucun registre, ordinateur, ni même feuille de papier ne repose sur le bureau de la pièce. Entrée en matière bien étonnante lorsqu'on connait la rigueur des procédures administratives russes. Tatiana me donne rendez-vous le lendemain pour effectuer mon enregistrement auprès des services de l'immigration. Je m'abandonne à cette nouvelle étrangeté. L'acceptation de l'instant est une philosophie russe. Demain sera un autre jour. Je prend place dans ma chambre  meublée de 2 lits simples et d'une armoire. Tatiana me salut se disparaît.

    C'est pendant la seconde guerre mondiale qu'est entrepris la construction de la ville pour ériger un nouveau pont entre la Russie et l'occident. 70 000 hommes sortis des goulags oeuvreront sans répis, creusant les premiers sillons dans le sol gelé: cicatrices qui marqueront la mémoire et modèleront le mental de ceux qui la peuplent. Dans des conditions extrêmes est née la plus grande ville au nord du cercle polaire où 40 jours durant la nuit élit domicile et 40 autres le soleil reste fidèle, probablement faciné lui aussi par ces contrées envoutantes.

  Le lendemain de mon arrivée je n'ai pas vu Tatiana. Ce n'est que le jour d'après que je l'entend faire irruption dans l'appartement tandis que je m'apprête à sortir. Elle entre l'air contrarié et me signale sans détour que je ne peux pas rester. Son hébergement n'est pas en règle et les services de l'immigration  la menacent d'une lourde amande. J'ignore comment mais ils n'auront pas tardé à retrouver ma trace. Pas d'alternative: je dois immédiatement faire mon sac et quitter l'enseigne factice dont j'ai aperçu la veille une publicité sur un mur de la ville. Tatiana ne me fait pas payer les nuits passées et m'accompagne jusqu'à l'accueil de mon nouvel hôtel, légal celui-ci. En Russie les situations impropables font partie du quotidien. Tout devient possible, surtout ce qui ne semble pas l'être. Tenter est aussi une philosophie. Perdre n'est qu'une conséquence possible. Je m'installe dans une grande chambre d'un ancien hôpital reconverti. Je dois avouer aimer ces alléas.

    Réchauffée par le Gulf Stream le port de Mourmansk ne gèle jamais. Il est le bain glacé du nord qui montre la voie vers la mer de Barentz, acces privilégié sur l'océan arctique et les côtes sibériennes, corridor maritime vers l'Europe du Nord. Ici le réchauffement climatique ouvrent de nouvelles routes et libère les glaces. Au nord de Mourmansk, seuls les wagons vides convoitent et reviennent chargés de nickel ou de cuivre en provenance des citées minières de Norilsk ou de Doudinka. Dans le port les grues s'activent comme des grands échassiers insensibles au thermomètre, et les machines d'acier activent dans leurs godets la nourriture extraites des terres nordiques.

 

   
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Je parcours les allées enneigées, les passages piétinés par les bottes fourrées. Les rues sont animées. Les pères tirent leurs petits sur des luges. Les adolescants se bombardent de boules de neige. Les manteaux enveloppent les jeunes femmes d'un papier de fourure, bonbons sucrés conservés au frai. Je poursuis mon va et vient sur l'avenue Lénine. L'artère principale fend la ville organisée dans un schéma soviétique, quadrillée de blocs où se dissimulent les commerces et se dévoile une activité improbable. Théâtre, piscine, et café se succèdent. Ils sont autant de lieux indispensables pour luter contre le thermomètre sans concession. Le froid des températures mordantes se contre dans ces espaces de rencontre où la chaleur se diffuse à grandes gorgées de thé chaud. 
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En 1957 le brise-glace « Lénine » est le premier navire civil a propulsion nucléaire qui envoie aux Etats Unis un signal vrombissant de son avancer technologique. Mis à l'arrêt près de 40 ans plus tard il est sauvé du démantellement avant de devenir un musée, fer rouge de l'histoire. Le batiment ne fend plus les nuits polaires et sa lame ne déchire les glaces arctiques mais sa visite offre une remontée dans le temps. La salle des réacteurs et le salons où se réunissaient alors les grands de ce monde en sont des lieux forts.

    Je prends un bus et rejoins le parc qui m'éleve sur les hauteurs de Mourmansk. Les spatules des skis de fond dessinent des traces sur les chemins blancs. Au point le plus élevé un soldat habillé d'une longue veste, fusil à la main, se tourne vers la « vallée de la gloire ». Du haut de ses 35 mètres, posé sur son socle robuste, il rend hommage aux défenseurs de l'arctique qui luttèrent contre les troupes allemandes.  C'était durand la seconde guerre mondiale. A ses pieds brûle la flamme éternelle. Pas de trace ici du linceul sombre que déposent au sol les transports de charbon. Les collines blanches arrondissent le paysage que je contemple en esquissant les contours d'un imaginaire. Au delà la vie a renoncé. Je me hasarde sur les versants vallonés, enfonçant mes lourdes semelles dans la couche fraiche de neige. Calme et sérénité riment en ces contrées avec la nostalgie qui défie les époques. Je franchis les décenies tout en rejoignant les routes couvertes de mélasse.

  Si Stalingrad est connue pour sa bataille terrifiante, on ignore souvent que Mourmansk fut un autre theatre d'horreur et d'affrontement. Durand la seconde guerre mondiale Hitler fit bombarder sans relache le port stratégique et les convois qui approvisionnait la Russie. La ville fut quasiment détruite. Plus récemment et plus médiatisé, on se souviendra de la tragédie du sous marin nucléaire « le Koursk » qui sombra avec son équipage à 118 mètres de fond.

  
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Lorsque le ciel s'assombrit je scrute la voute céleste à la recherche d'indices polaires. Sous ces lattitudes le champs magnétique terrestre joue avec les vents solaires. Le spectacle reste invisible lorsque les nuages étendent un barrage filtrant dans les couches atmosphriques. Alors il faut faire confiance à Yaroslav pour sonder les différentes pelures nuageuses qui enveloppent la ville en autant d'épaisseurs pour mieux la protéger du froid. Il faut s'éloigner de la ville, s'arrêter, scruter, attendre puis repartir en quête de lieu plus propice. Là où le ciel offre des trouées où scintillent les étoiles ce sont soudain des enveloppes mystérieuses qui apparraissent, des filets verts lumineux qui s'étirent, dansent et forment des figures évanescentes. Le spectacle des aurores boréales peut commencer.

    Mourmansk a pour ainsi dire tout pour faire fuir et être ignorée. Elle appartient à ces bouts de terre que l'on rêve en occident de ne jamais voir. Il faut dire que la vie n'y est pas qu'une partie de plaisir. Il y a d'abord le froit bien sur. Celà a déjà été dit. Il y a l'éloignement. Pour compenser, y vivre est synonyme d'un meilleur salaire, d'une retraire anticipée, de davantage de congé payés. Il y a le nucléaire enfin. Je n'ai pas aperçu le compteur de radioactivité installé sur un des batiments de la ville mais de toute façon l'administration locale affirme qu'il n'y a aucun problème. L'Europe n'est pas entièrement d'accord avec cette version! Entre stockage des déchets de la centrale de kola, de ceux  de la base de brise glace et des sous marin nucléaires, la péninsule de Kola est devenu la plus grande poubelle radioactive du monde. Y verrait-on un lien avec le fait que l'espérence de vie de mourmansk ait été dans le passé une des plus faible de Russie?

    En longeant les allées enneigées, ce que j'ai ressenti n'a rien à voir avec les inquiétudes qu'elle suggère. J'en ai perçu le poids d'un destin d'à peine un siècle. Mourmansk et son empreinte récente posée sur les cartes du monde appartient à ces lattitudes qui forgent un caractère trempé dans l'acier. Sa position stratégique et sa naissance récente ont été frappé du sceau de l'histoire. Déambuler le long des rues ressemble à un va et vient entre le passé et le présent. L'isolement, le climat,  participent au mythe et les mythes n'ont de cesse d'être revisités. Me concernant j'ai visité une part de mes fascinations et ceci n'a rien à voir avec un mythe.
Mourmansk


Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeuxMarcel Proust