Vietnam

Carnet de route

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Sommaire

  
Introduction
Chapitre1: Hanoi(1)
Chapitre2: La baie d'Along
Chapitre3: Sapa
Chapitre4: Hanoi(2)
Chapitre5: Hué
Chapitre6: Hoi An
Chapitre7: Kontum
Chapitre8: Le littoral...jungle beach...Nha Trang
Chapitre9: De Dalat à Mui Ne
Chapitre10: Le delta du Mekong...Cantho
Chapitre11: Saigon
Conclusion: Conclusion

Introduction

  L'Asie est un continent dont la fascination est comparable à son étendue…gigantesque. Terre à la fois de connivence et d'hostilité, les récits de ceux qui en reviennent arborent une magie qui les transcende. Une voix de spiritualité plane dans les effluves d'un encens, ou dans les prières d'une religion qui prône par-dessus tout la paix. Je ne connais pas la passion qui séduit tant d'occidentaux, mais je désire la connaître. Mais l'Asie est grande, immense, démesurée. Il y a des noms qui résonnent dans nos têtes, aussi fort que le sifflement d'un obus, en tant de guerre. Sur l'atlas du monde, l'est du continent s'affiche bientôt en gras. L'engagement de mon pays dans l'histoire d'un peuple frappe de plus en plus fort. Le Vietnam vient marteler son empreinte dans mon esprit. Le seul nom de ce pays évoque une l'histoire douloureuse. Si on ne comprend pas réellement ce qui s'y est passé, tant de référence ont rendu compte des événements qu'il est impossible de ne pas associer Vietnam à l'horreur de la guerre. La France a été colonisateur de ce morceau du globe avant que son emprise ne soit ternit par le souvenir d'une Indochine meurtrit. Après une longue période achevée dans la cuvette de Dien Bien Phu, en mai 1954 par le retrait des forces françaises, les américains assiègent le pays pour une guerre de dix ans qui laissera une marque indélébile dans l'histoire du monde par son atrocité. Comme si les décennies noires de tout un peuple n'étaient pas suffisantes, une guerre de possession s'engage contre le Cambodge, alors que le régime communiste vient de vaincre la grande armée américaine.
  En parcourant le pays du nord vers le sud, je vais remonter le cours de l'histoire. D'Hanoi l'authentique, symbole d'un Vietnam du nord affaibli, jusqu'à Saigon, en marge du développement industriel, je vais effectuer une traversée géographique tant que temporelle. La baie d'Along encore appelée la huitième merveille du monde, tant ce décor naturel rend grâce à la nature telle une divinité, dévoilera des instants de communion avec une terre harmonieuse. En remontant vers les montagnes du nord et la région de Sapa, je découvrirai une nature différente, généreuse, au sein de laquelle vivent en étroite harmonie de nombreuses minorités ethniques. A bord des moyens de locomotion venus d'une autre époque, et dont la seule utilisation est en soi une aventure, je plongerai vers l'ancienne cité impériale de Hué et la ville prodigieuse de Hoi An, classée au patrimoine mondial de l'Unesco. Les rencontres guideront mon itinérance qui me conduira vers un  voyage intérieur. Chaque hasard de la route ajoutera une pièce au puzzle de l'histoire et de la compréhension. Des témoignages captivant et intenses me feront aimer et appréhender chaque jour ce pays avec plus de compassion et de respect. C'est en suivant cette ligne que je serai submergé par la rencontre intense d'enfants d'un orphelinat, lorsque je rejoindrai les hauts plateaux de Kontum. Mais le Vietnam est aussi un pays côtier bordant la mer de Chine, et je m'émerveillerai encore devant la majesté d'une plage esseulée. Les eaux de Nha Trang me feront découvrir une vie dont on ne soupçonne pas l'existence ; celle des fonds sous marins. Le sourire et le visage aimant des filles illumineront une réflexion de délice. Je parcourai la région du centre intérieur, chevauchant une Honda qui m'ouvrira les portes du Vietnam profond. Avec mon guide j'apprendrai à sentir la condition de tous ces gens que l'on ne voit pas, et qui font fonctionner l'économie du pays, avec comme seule mécanique, celle bien huilée de l'homme. Enfin le Mékong, emblématique fleuve vivant, dévoilera son activité de chaque seconde dans le dédale des canaux du delta.
  Au delà des souvenirs de la guerre et de ceux du régime politique, au-delà de son nom gravée dans l'Histoire, le Vietnam est bien réel. C'est avec ses habitants que je vais le parcourir et le découvrir pour m'en imprégner chaque jour davantage. Il est maintenant grand temps de rejoindre cet univers à la fois captivant et envoûtant.
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Chapitre1: Hanoi(1)

Jours 1et 2 : 
  Le voyage se passe dans de bonnes conditions, et sans réelle longueur. Les 11h30 de vol sont une lente transition entre l'Europe et l'Asie. Un vietnamien est assis à mes cotés. Très rapidement je revois ce qui est écrit dans les guides, lorsque après avoir échangé quelques mots seulement, il me donne son adresse et son numéro de téléphone, me demandant de l'appeler une fois arrivé à Hanoi. A 6h30, la température annoncée est de 26°C. En sortant de l'aéroport, la chaleur et l'humidité ne sont pas aussi saisissantes que ce à quoi je m'attendais. Après avoir cherché longuement le minibus, je m'installe sur un des sièges restants. Dès que nous quittons le parking de l'aéroport, les rizières prennent place. Surprenant, même dérangeant, de voir ces grands panneaux publicitaires plantés dans les cultures. Autour, s'affairent de nombreux paysans maniant quelques outils dont je découvre l'existence et dont j'ignore encore l'utilité. Ici un buffle tire la charrue sous les commandes d'un homme. Là, deux femmes puisent de l'eau dans un panier tendu par des cordes. Elles répètent continûment leurs gestes synchronisés pour déverser l'eau d'une parcelle de terrain vers la parcelle voisine, dans un va et vient rapide et précis. Je suis plongé sans demi mesure dans la culture agricole du pays. Sur la route qui me mène en ville, je suis surpris et amusé par le désordre qui règne. C'est un concert de klaxon pour un trafic de deux roues 
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impressionnant. Chacun trouve sa place en imposant son gabarit. Dans la vieille ville je prends possession d'une chambre située sous les toits, sous une chaleur étouffante. J'y fais la rencontre d'un couple de français, partis pour un périple de six mois en Asie. Le Tibet, le tour des Annapurnas et la Chine les ont conduit à rejoindre l'Indochine, et en premier lieu le Vietnam avec Hanoi comme ville étape. Le centre ville dévoile des minis quartiers, tel celui des forgerons où les artisans travaillent les métaux dans des ateliers comme connaissaient nos grands parents. Une simple glace accrochée à un portail métallique suffit pour qu'un coiffeur installe son matériel dans la rue, et y exerce son travail. Les pharmacies vendent leurs médicaments depuis les devantures donnant directement sur l'extérieur, comme s'il s'agissait de fruits ou légumes. D'anciens métiers réapparaissent comme ce cireur de chaussures qui s'applique à faire reluire une paire de souliers pour gagner quelques dongs. Partout, le long des rues, les mototaxis affluent pour proposer leurs services, et survivre dans la jungle des deux roues. S'ajoutent les taxis et cyclos pousse qui arpentent le centre, et c'est par des hochements de tête et des refus permanents que s'articule chaque itinéraire parcouru à pied à travers la ville. C'est une ville authentique, bordée d'arbres et aérée de plan d'eau, que je découvre, au passé colonial bien présent par son architecture. La nuit venue, je déambule encore dans les rues animées, frayant ma place dans le flux de véhicules qui commence à désemplir, alors que la température est maintenant bien plus agréable. Je rejoins mon hôtel, récupérer les heures de sommeil qui me manquent. Derrière ce dernier, s'élève une pagode.

Jour 3 :
  Je passe une grande partie de la matinée à dormir et farnienter, afin de retrouver un rythme normal. Le temps d'adaptation à ce nouveau mode de vie, si différent du notre, semble achevé. En sortant de mon hôtel, je me sens totalement absorbé par les bruits, les odeurs et les couleurs qui animent les ruelles de terre. Dans 
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ces quartiers profonds qui dévoilent la réelle condition de ses habitants, tout apparaît authentique. Je fais un bond dans le passé que je n'ai pas côtoyé, à l'aube du vingtième siècle. Bien sur à chaque coin de rue, un type nous aborde pour tenter de louer ses services. Mais dans la plupart du temps, un sourire suffit comme monnaie d'échange. Je me sens aujourd'hui imprégné de l'atmosphère d'Hanoi. Les quelques interrogations de la veille ont été balayées pour laisser place à un élan d'enthousiasme.
    Alors que je suis en plein cœur de l'histoire contemporaine du Vietnam, au musée de la révolution, je rencontre une hôtesse de l'air de la compagnie Air France, en escale deux jours dans la capitale, après le vol qui m'a moi-même emmené ici. Etonnante coïncidence. Dans le bâtiment, de nombreuses salles relatent à travers documents écrits et objets, les différentes périodes traversées par le pays. Depuis la colonisation française jusqu'à la reconstruction du pays, en passant par la création du vietminh et la guerre qui sème encore les troubles. Malheureusement, gentiment accompagné vers la sortie, à l'heure de la fermeture, je ne peux terminer la visite et achever ma remonté vers le présent.
  Plus tard, dans un cadre très charmant, et une ambiance chaleureuse, je commande un excellent plat de porc grillé aux épices, accompagnée de la traditionnelle portion de riz. Ayant remarqué ma technique quelque peu aléatoire de me servir des baguettes, la serveuse me fait le privilège de me donner un cours de " tenue de baguettes ". Malgré plusieurs tentatives, je continue maladroitement à récolter mon riz dans le bol. Je quitte l'univers de la gastronomie pour pénétrer dans celui de la musique. Au " jazz club ", tenu par un professeur de saxo du conservatoire d'Hanoi, j'écoute, accoudé au comptoir, un groupe de cinq musiciens faire sonner leurs phrasés et solos cuivrés.
  A dix mille kilomètres de mes proches et de notre réalité matérielle, je suis en parfaite harmonie avec ce nouvel environnement. J'ai passé du temps à organiser la journée du lendemain, en tenant compte des jours à venir. Les lectures minutieuses, et réflexions sont un vrai casse tête pour tenter se faire s'imbriquer les différentes pièces du puzzle de mon périple. J'ai maintenant récupéré du voyage, mais je ne suis pas encore adapté au décalage horaire, et le sommeil me rattrape bientôt. Je termine ces quelques lignes avant d'aller me coucher, puis lire encore ce qu'est ce pays que je commence à aimer.

Jour 4 :
  J'achète mon petit déjeuner au Kinh Do Cafe, où anecdotiquement Catherine Deneuve prenait le sien durant le tournage du film " Indochine ". Durant une partie de la matinée, je prospecte les différentes agences de voyages afin de connaître ce qu'elles proposent comme excursion vers la baie d'Along. Toutes se montrent très accueillantes ; commerce oblige. Une d'entre elles m'offrira le thé tandis que je questionne sur les conditions de la sortie. Le programme proposé est équivalent dans toutes les petites agences qui se succèdent dans le quartier routard du centre. C'est finalement une petite agence tenue par trois jeunes vietnamiennes souriantes que je retiendrai, en même temps que leur attention par le jeu de quelques plaisanteries.
  Afin de rejoindre le musée ethnologique situé à plusieurs kilomètres, au nord ouest de la ville, je m'octroie les services d'un taxi moto. Evidemment, rien de plus simple. Il suffit de quelques secondes pour entendre jaillir du tonnerre de la rue quelque  appel racoleur du genre : " hey… motobike ? ". A l'arrière de mon conducteur, je suis avec fascination la circulation. Si la conduite se fait bien sur le côté droit de la route, il y a des moments où on ne peut plus l'affirmer tant l'anarchie règne. Les voies se multiplient et se mélangent. Chaque véhicule devient un obstacle potentiel à éviter lorsqu'il vient de face, et à contourner, lorsqu'il roule dans le même sens. Les carrefours sont un enchevêtrement de motos, et je me demande encore comment tous ces engins arrivent à se croiser sans se percuter. Coups de klaxon. Accélération et freinage. Voila les trois maîtres actions à répéter en permanence dans le slalom de la conduite. Pour autant, personne, exception faite, ne porte le casque. Le garant de la sécurité est celui du passe droit donnée par l'alerte sonore. Il existe bien des feux rouges, mais ceux-ci sont laissés à l'appréciation de chacun. Sur les plus grandes rues, ces feux sont tout de même respectés. A chaque attente, on pourrait croire au départ d'un rallye, observant cinq, six voire sept rangées de motos alignées, prêtes à mettre les gaz. Malgré ce désordre apparent, tout fonctionne bien, et chacun trouve sa place dans le flux bouillonnant. Au musée, deux heures trente me seront nécessaires afin de faire un tour ethnique du pays. Chaque minorité est présentée et décrite dans leur fonctionnement social. J'y apprends le multiplexage et la complexité de ce peuple. La plupart de ces minorités vivent dans des régions reculées des montagnes. Bien que leurs pensées aient évolué au cours des décennies par le contact de la civilisation citadine, elles ont encore su garder l'authenticité de leurs coutumes. On peut en particulier les identifier par leur tenue vestimentaire. A l'extérieur du musée, un certain nombre de maisons traditionnelles, aux caractéristiques surprenantes,  ont été reconstitué. La visite terminée, mon chauffeur qui m'a attendu, me ramène en ville.
  En fin d'après midi, j'assiste à un spectacle de marionnettes aquatiques. Cet art traditionnel, qui date de plusieurs siècles, présente de nombreux tableaux  évoquant des scènes de la vie quotidienne, des légendes ou des rites sociaux. L'ensemble se déroule au rythme de musiques et chants traditionnels, exécutés par un groupe de cinq musiciens présents sur le côté du bassin. 

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Chapitre2: La baie d'Along

Jour 5 :
  Je me lève de bonne heure et part au rendez-vous fixé devant l'agence, à 7h30, pour deux jours dans la baie d'Along. Etonnamment, je suis le seul Européen à bord du minibus. Seul un américain, quelques jours au Vietnam pour le travail, est assis autour de moi. Des asiatiques dont la plupart sont Japonais constituent le reste du groupe. Parmi eux, deux filles  n'arrêtent pas de parler durant le transport. C'est à se demander si elles ne sont pas ici pour discuter à la fraîcheur de l'air conditionné. Je suis outré par l'arrêt que nous faisons dans une sorte de hangar, où sont vendus statues, vêtements et nourriture. On y trouve également une grande quantité de réalisations artistiques de jeunes filles, dont on peut admirer le travail sur place. Ce centre œuvre pour les victimes de l'agent orange, abondamment et honteusement répandu durant la guerre. Cela pourrait être gratifiant, mais toute cette mise en scène ne semble être qu'un prétexte pour réunir et faire dépenser les centaines de touristes, conviés comme moi, à des prix multipliés par quatre. Juste avant Along, l'américain et moi nous faisons débarquer devant un restaurant côtier. Nous nous demandons ce que nous attendons, avant de voir arriver un autre minibus, dont les passagers nous rejoignent. Le repas est délicieux.
  Nous partons ensuite vers notre bateau. Planté sur le pont supérieur, j'observe ce décor
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unique qui se profile à perte de vue. Au bout d'une heure à peine de navigation, nous pénétrons au cœur de ce miracle sculpté par la nature. Des multitudes d'îles, de toute forme et de toute taille, dessinent autour de nous une peinture majestueuse. En approchant de la grotte de Hang Sung Sot, nous voguons devant un des villages flottant de la baie. Les maisons construites sur l'eau hébergent des familles de pêcheurs. Les hommes exercent leur travail de génération en génération. Les îles abritent des milliers de grottes calcaires, façonnées au cours du temps. Au sortir de la visite, nous slalomons de nouveau autour des îlots qui barrent notre route sur tout le panorama. Sur des centaines de kilomètres, c'est ainsi que la mer est harponnée de rocs intemporels, depuis qu'un dragon a entaillé la montagne de sa queue, laissant l'eau s'engouffrer dans les crevasses béantes. C'est du moins ce que raconte la légende. Les bateaux qui sillonnent la mer se mélangent si bien au décor qu'ils semblent lui appartenir. On l'appelle la huitième merveille du monde. Je n'ai à ce jour eu le contentement d'en observer qu'une seule, mais peut être que si la main de l'homme avait été remise en cause, l'antiquité aurait revu sa classification. Nous encrons dans Halong Bay, mystérieusement perdus dans ce labyrinthe aquatique. Le décor est merveilleux, et nous offre une piscine géante aux abords cerclés de promontoires rocheux. Plongés dans les eaux tièdes du golf du Tonkin, nous savourons notre plénitude. Le repas est servi dans la salle intérieure. Je partage la table avec quatre gallois installés à Dubaï. L'atmosphère est chaleureuse et conviviale, romantique même, si je n'avais pas été à bord en solitaire émérite. La nourriture est variée, abondante, et de surcroît succulente. J'ai du mal à suivre la conversation de mes voisins de table, mais ils font de véritables efforts pour me faire participer. J'apprends aux deux filles à jouer au " uno ", avant d'aller m'installer sur le pont, profiter de la douceur du soir. Dans l'obscurité de la nuit, les îlots nous cerclent d'ombres fantomatiques, envoûtantes et inquiétantes. Seul le ronron du générateur d'un bateau encré à quelques centaines de mètres du notre, trouble le silence de la baie. Allongé sur le pont, les bras derrière la nuque, je contemple le drapeau jaune et rouge flotter enfin librement dans l'air, et je ressasse l'histoire de ce pays. Tant d'horreur et de terreur ont habité ces terres, dans le but unique de servir l'intérêt d'une patrie…mais pas celle du Vietnam. Tant de sang versé, et de meurtrissures gravées, qui n'auront servi à rien. A rien, sinon peut être à ce que je sois en ce moment allongé sur le pont, les bras derrière la nuque, à contempler le drapeau rouge et jaune…

Jour 6 :
    Ma nuit est délicieuse et ininterrompue dans le sommeil, ce qui n'est pas le cas de mon voisin belge de cabine, parti dormir sur le pont à cause de la chaleur. Malheureusement, la pluie l'a surpris en pleine nuit, et contraint de rentrer à l'intérieur. Nous prenons le petit déjeuner. De nouveau nous slalomons, et parfois effleurons quelques géants de calcaire à la chevelure verdoyante. Nous pouvons alors entendre le chant accordé de milliers d'oiseaux qui colonisent les îlots. Le bateau jette l'encre afin de nous laisser profiter encore de la tiédeur des eaux émeraude. Un saut depuis le pont, un grand plouf, puis quelques mouvements de croal pour s'humecter une nouvelle fois de la poésie et du pittoresque des lieux, immortalisés lors du tournage du film Indochine. A bord d'un kayak, nous pagayons  jusqu'à un tunnel naturel creusé sous la roche. Nous le traversons, à l'écoute de notre propre écho, sondant la pierre, avant de ressortir et découvrir de nouveaux morceaux de terre qui se dessinent inlassablement. Une végétation luxuriante et tropicale recouvre chacune des parois. Déjà, tout un panel de plats nous est proposé pour le déjeuner. Bientôt s'ouvre devant nous le port, que nous rejoignons pour achever notre escapade dans la baie d'Along.
  De retour à Hanoi, j'emploie le temps dont je dispose pour faire quelques achats et envoyer des nouvelles en France. Je retourne à mon hôtel, où je croise certainement pour la dernière fois les français rencontrés le premier jour, et qui s'apprêtent à descendre vers Hué. Quant à moi, j'ai en main le billet de train que j'ai fait réserver. Une des filles qui tient l'hôtel m'emmène sur sa moto jusqu'à la gare centrale...vision nocturne de la conduite dans la capitale. Dans la cabine où se trouve ma couchette, je fais la connaissance de deux espagnols. Depuis deux mois, ils ont parcouru l'Inde du nord, effectué une partie du tour des Annapurna, puis rejoins le Tibet dont l'identité les a fortement marqués, avant de rejoindre le Vietnam. Peu de temps après, une irlandaise vient compléter notre chambré d'une nuit. Après avoir discuté, nous nous couchons pour une longue route qui nous mènera jusqu'à Lao Cai, dans les montagnes du nord ouest.

Plus de photos de la baie d'Along

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Chapitre3: Sapa

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Jour 7 :
    La nuit est quelque peu agitée par les mouvements permanents du train, mais rendue confortable par une couchette moelleuse. Pendant que nous sommeillons, inertes et insouciants, nous progressons lentement mais continûment vers l'altitude des sommets. Nous roulons, bercés par le bruit régulier des roues de notre wagon sur les rails, en  quête d'un inconnu sensationnel. Entre le moment où je ferme les yeux et celui où je les rouvre, il ne s'est rien passé pour moi. Mon espace reste le même. Je m'éveille avec les mêmes doutes et les mêmes certitudes. Pourtant, à l'extérieur, tout est différent. Une sorte de téléportation s'est  opéré sur mon corps. Le mystère d'un lieu convoité. L'excitation d'une découverte. Une avancé continuelle qui me propulse sans relâche vers mon lendemain, et vers mes rêves obsédants. Le trajet est plus court que je ne le pensais et à cinq heure et quart du matin, une musique puis une voix inaudible font trembler les hauts parleurs des couloirs. Le voyage aura duré huit heures. Sur les quais, chacun est orienté dans un minibus en fonction du biais par lequel il se trouve ici. Durant une heure le minibus grimpe la route en lacet qui serpente jusqu'à Sapa. Je rejoins sans difficulté un hôtel où j'occupe seul une chambre double. La vue permet d'admirer une partie du panorama montagneux qui entoure le village.
    Après un repas médiocre dans un restaurant dont l'accueil ne me restera pas impérissable, je descends le chemin qui mène à Cat Cat, petit village de la minorité des Hmong. Assis sur les rochers, près d'une chute d'eau, j'observe le comportement de femmes Hmong. Si elles conservent leurs coutumes et revêtent leur tenue traditionnelle, il est cependant clair que leur mode de penser a évolué au contact des touristes, aujourd'hui nombreux dans cette région. L'artisanat est très développé, et le voyageur est devenu la cible de leur gagne pain. Aussi, à chaque pas, bracelet, tissage ou vannerie sont proposés au visiteur en quête de souvenirs. A défaut de vendre, les enfants mendient un peu de nourriture. A chacun de porter son regard, mais il me parait
dangereux de participer à entretenir ce conditionnement de dépendance. Au-delà de leur mode de vie, ces femmes et ces enfants dégagent de la vie, et mon refus en vietnamien, accompagné d'un sourire, suffit à illuminer leur visage. Une émotion forte se dégage parfois, telle cette petite fille qui porte sur son dos un petit enfant ; probablement son frère. Derrière le regard d'un enfant, l'expression de son visage dissimule déjà une grande maturité, et le vécu d'une vie tumultueuse. Je termine la boucle autour du village, puis remonte vers Sapa. J'ai rencontré, accompagné puis devancé,  sur le chemin de Cat Cat, un couple de Danois. Nous nous retrouvons dans les rues de Sapa et mangeons ensemble dans un restaurant indiqué par nos guides. Je leur fais un petit topo sur les risques du paludisme. Nous rejoignons ensuite nos hôtels respectifs. La nuit précédente fut écourtée…demain je me lève de bonne heure.

Jour 8 :
  La journée commence par des négociations matinales. Des malentendus avec le guide que j'ai rencontré hier soir me font annuler la sortie que j'avais prévue. Cela se fait amicalement. Il me rend l'argent que lui ai donné la veille. Je pars alors à la rencontre de villages ethniques situés dans les environs de Sapa. Je marche plusieurs kilomètres avant de poursuivre ma route en moto, sur une piste totalement défoncée. Mon conducteur roule assez brutalement. Je suis obligé d'anticiper chaque nid de poule afin de me cramponner à l'arrière du véhicule, et d'absorber un minimum les secousses. Bien qu'il soit habitué à conduire dans un tel bourbier et que je lui fasse confiance,  je reste néanmoins très concentré sur la route, m' occultant quelque peu le paysage qui s'étend sur ma droite, et qui offre une large vallée, au pied de laquelle s'élève les montagnes embrumées. Soudain je me rend compte que la poche qui renfermait mon précieux guide est vide. Sous les chocs répétés, celle-ci s'est déchiré sans que je m'en rendre compte. Nous faisons demi tour. Quelques centaines de mètres plus loin, nous croisons une moto, sur le porte bagage bien rempli de laquelle j'aperçois, fixé par des sangles, mon livre recouvert de boue. Je récupère mon bien, que je nettoie grossièrement, puis nous repartons dans la direction initiale. Par endroit, je suis obligé de descendre afin de pouvoir franchir, sans s'enliser ni se renverser, une zone trop boueuse. En arrivant à Su Lah, j'aperçois tout au fond
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de la vallée, le village de Ban Ho, vers lequel la route entame une longue descente en lacets. En arrivant, je m'aperçois de la confusion que j'ai faite quand au prix négocié de la course. Je suis forcé de reconnaître mon erreur, d'autant qu'un mini attroupement se forme autour de moi. Les minorités Tay et Zay vivent ici en communauté, exploitant principalement le riz. Les scènes de la vie quotidienne poursuivent leur cours. Un homme prépare la terre avec une espèce de peigne géant attelé à un buffle qu'il dirige. Sur ces cultures en terrasses, plusieurs femmes poursuivent le travail, en replantant, une à une, les pousses de riz dans les terres inondées. Deux passerelles en bois permettent d'enjamber la rivière qui cercle le village. Les maisons de bambous tressés sont reliées par des petits chemins de terre. Les habitants sont parfois surpris par ma présence. Au moment de repartir, on me propose un prix déraisonnablement excessif pour me ramener sur la route de Sapa. Celui que je demande semble déraisonnablement bas. Pas résigner à négocier, j'entame la remontée vers le col à pied, laissant sur le sentier quelques litres de sueur. Je réalise la seconde partie en moto, jusqu'au village Zay de Ta Van. La succession des boutiques vendant entre autre des boissons traduit le rapprochement de Sapa, escale touristique. Sous un abri de tôles, un groupe d'adolescents jouent au billard. Jusqu'à Ta Van, j'alterne marche et transport à moto. De là, je me fais indiquer le sentier qui longe la vallée pour rejoindre Sapa. Je pénètre au cœur des rizières, et m'égare par moment, dans les nombreux chemins qui relient chaque terrasse ou parcelle de terre. Le paysage est magnifique, et bien que fatigué, je profite de ces montagnes que je ne reverrai  probablement jamais. Je traverse le village Hmong de Lao Cai.   
  Enfin je rejoins mon hôtel, avec quelques coups de soleil, et le ventre vide pour avoir sauté le repas de midi, happé dans l'élan de ma curiosité. Je me repose un moment dans ma chambre, puis repars en ville,  bien décidé à redonner à mon corps les forces nécessaires. Tour à tour avec le serveur puis la serveuse, je m'aventure à lire en vietnamien les plats mentionnés sur la carte des menus. Il me lisent puis me font répéter, pour que ma prononciation donne un sens à tous ces mots incompréhensibles. L'accueil est très sympathique. Ils semblent apprécier les quelques mots que je marmonnent dans leur langue, et m'offrent des bananes pour le dessert. Avant de rentrer à mon hôtel, je fais un petit tour dans les rues de la petite ville. Des dizaines de petits stands s'alignent dans le haut de l'artère principale. Chacun grille du mais sur un barbecue de fortune. Beaucoup de monde s'attable autour des grillades, tandis que de nombreuses boutiques affichent encore leurs présentoirs.

Jour 9 :
  A 9h30, on frappe à la porte de ma chambre pour me porter le billet de train à destination de Hanoi, et également pour me rappeler que je dois quitter la chambre. Je n'ai pas fait attention aux horaires, et aurai déjà dû la quitter depuis une demi heure. Ce matin le temps est couvert. Je pars arpenter les rues de la ville à la recherche de Thu, cette femme Hmong que j'ai rencontré la veille. Après quelques allées et venues le long des ruelles en pente, je finis par la trouver, vêtue de sa traditionnelle tenue. Elle porte toujours sa hotte de bambous sur le dos, et tiens entre ses mains les mêmes broderies que la veille. Je lui achète, comme je m'étais promis de le faire, et comme je le lui avais laissé entendre, l'unique tunique en sa possession. Elle m'offre un bracelet. Je le garderai en souvenir de cette femme de quarante cinq ans que je recroiserai encore deux ou trois fois avant de disparaître définitivement. A chaque fois que nous nous sommes croisés, les mêmes attentions se sont portées vers moi. Un geste de la main, un sourire et un regard de gratitude traduisent plus que n'importe quelle parole la reconnaissance. Dans un anglais bafouillé, elle me raconte la précision de son travail. Il s'agit tout simplement d'une rencontre, que la providence et le hasard de la route ont mise sur mon chemin. La scolarisation n'existe pas dans ces communautés. Aujourd'hui les petites filles ne savent ni lire ni écrire, mais parlent un anglais étonnant. Leurs mères exercent leur art, assis sur un muret ou à l'ombre d'un arbre. Mais qu'en sera-t-il demain ? Que deviendra cet héritage des temps lorsque le touriste aura grignoté chaque parcelle de leur savoir faire ?
  Après un nouveau cours de vietnamien dans le même hôtel que la veille, je loue une moto et part sur les routes de montagnes, à l'encontre du plus haut col du pays. Dans ces montagnes du nord, aux versants peuplés de forêts que zèbrent les nuages bas, je roule, sans même l'étreinte d'un casque sur mon crâne, ingurgitant des instants de liberté. Je dépasse une cascade. Le moteur de ma Honda continue de vrombir, alors que je continue de m'élever sur la route du col que j'atteins quelques kilomètres plus loin. La pluie m'a depuis longtemps rattrapé, mais l'air a séché mon pantalon en roulant. Avant de rejoindre mon point de location, je suis de nouveau pris par une grosse averse. Cependant, la pluie n'aura pas le dernier mot, et ne me privera pas de ces derniers instants. C'est donc trempé que je ramène mon véhicule.
  En fin d'après midi, un bus me descend à Lao Cai, où je dois attendre plus de trois heures le départ de mon train. Dans la cabine de ce dernier, je rencontre une vietnamienne qui travaille au lycée français d'Hanoi, et un italien qui termine son voyage au vietnam. J'obtiens ainsi un bon nombre de renseignements qui me serviront par la suite. La discussion est intéressante, enrichissante, passionnante… 

Plus de photos de Sapa

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Chapitre4: Hanoi(2)

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Jour 10 :
    A cinq heures du matin, je débarque à Hanoi, après une nuit turbulente. Je profite d'être debout aux aurores pour me rendre au parc Lénine. Quel étonnement de voir tant de gens réunis si tôt, dans ce grand espace de verdure qui cercle le lac de Bay Mau. De ci de là, des groupes enchaînent des mouvements d'aérobic, sur des musiques rythmées. D'autres pratiquent quelques pas de danse. A chaque recoin, jeunes et moins jeunes disputent des parties de badminton. L'animation qui règne est stupéfiante. Lorsque je rejoins le guichet de la gare, je suis irrité par l'indiscipline des vietnamiens. Au lieu de former une file d'attente ordonnée, tout le monde pousse pour passer devant. Ils sont collés à la vitre comme des gosses autour d'un nouveau jouet. Un client n'est pas encore servi que déjà une main passe sous la vitre du comptoir, les billets de dongs à la main pour réserver sa place.
    Lorsque les formalités sont remplies, je me rends, en taxi moto, au mausolée de Ho Chi Minh. Dans une salle sombre, éclairée d'une lumière feutrée, et entourée de gardes en blanc qui veillent à faire respecter la cadence de la procession, se tient allongé dans un cercueil de verre, le général Ho Chi Minh. C'est absolument fascinant, et réellement émouvant, d'être devant le corps momifié, inerte et intacte, de celui qui a libéré le pays de la colonisation puis répandu la doctrine communiste. L'état de conservation est tel que j'ai la sensation que mes 
pas pourraient le réveiller. Je m'attends à voir ses paupières s'ouvrir. En quittant ce lieu de pèlerinage pour un grand nombre de vietnamiens attachés à cette figure emblématique de l'histoire récente, je pars me ressourcer au jardin botanique. Je poursuis ma visite culturelle de la ville en accédant au temple de la littérature. Première université du pays crée en 1076, ce lieu enseignait la pensée et la morale confucéennes, initialement réservées aux princes et aux enfants mandarins. On peut observer dans une des cours, 116 stèles érigées. Chacune d'entre elles renseigne sur un lauréat au concours du doctorat.
  Par le biais du hasard, je me retrouve plus tard dans le même restaurant que Marco, l'italien qui partageait ma couchette la nuit précédente. Il m'invite à le rejoindre à sa table. Nous nous délectons de plats succulents, et parlons de la guerre et des différents actuels entre le nord et le sud. Nous échangeons des récits de voyages. Il me livre des moments inoubliables partagés avec les habitants du sud. Au moment de nous séparer, nous nous donnons une poignée de main fraternelle, en conclusion de cette soirée improvisée, qui me fait rejoindre mon hôtel avec mille lumières allumées sur des perspectives à venir. Je projette ma vision vers des instants de grâce. Il est de ces moments,  éphémères et impalpables, qui aux yeux du cœur, on plus de valeur que n'importe quelle richesse.
Vietnam

Chapitre5: Hué

Jour 11 :
  Cette journée se présente comme une transition entre le nord que je quitte et le sud vers lequel je tends. Je profite de la matinée pour me reposer et écrire quelques cartes postales. Je continue à fouiller un peu plus la vieille ville, et entre dans plusieurs boutiques. Souvent la conversation s'engage, et chaque échange devient un moment de partage et une satisfaction touchante de côtoyer les vendeurs et vendeuses. Parfois on me parle Français, et j'apprend qu'un frère poursuit ses études à Lyon ou qu'un grand père parlais Français…génération colonisation…Parfois aussi, le seul langage des signes permet de nous comprendre. Mais toujours la chaleur rassure et le sourire séduit. Cette après midi, je prend ma première leçon de dam bau dans une échoppe d'instruments traditionnels, appliqué à faire résonner l'unique corde qui le compose.
  A mon hôtel, c'est une véritable séance de congratulations à laquelle je me livre, avec un des personnels de l'hôtel. Je lui apprend à dire " j'aime les Français ", dans ma langue, et sur sa demande. Il ne comprend pas bien l'anglais, mais chacune de mes répliques semble être un bouleversement, lui arrachant de grands gestes et de fabuleuses exclamations…. " ohhhh !!!! "…..Il m'emmène à la gare sur sa moto. Nous chantons gaiement, heureux simplement de partager ces quelques kilomètres, effleurant certaines autres motos en passant. Je découvre ma cabine où siègent déjà tous les autres occupants, dont trois vietnamiens. La cabine est composée de six couchettes, reparties en deux rangées de trois lits superposés. Une simple natte recouvre la couche dure. Sur celle louée par les vietnamien, deux ou trois personnes se partagent la place ou se l'échangent durant la nuit. Le voyage est saccadé car des douleurs au bas du dos, sur les hanches ainsi que sur les omoplates me tiennent en éveil. Je suis forcé de changer de position dès que celles-ci se font trop pressantes. Lorsque tôt dans la matinée, je descends de mon lit de douleur pour manger les nouilles du petit déjeuner, je découvre l'extérieur. Le paysage est bucolique. Les collines de l'arrière plan dominent les verdoyantes cultures de la
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vallée. Quelques scènes de vie paysannes s'illustrent sur le tableau. La rivière, large, éclaire la vue en premier plan, tandis qu'un buffle prend son bain matinal. Je passe encore de longues heures en compagnie de mes compagnons de route. Parmi eux, un vietnamien est accompagné de sa jeune fille, et se rend à Hué pour deux ou trois jours. Nous prenons le repas à bord du train. Enfin, après seize heures de voyage, nous arrivons à destination.
    Lorsque je suis installé, je pars découvrir la ville, très étendue, sillonnée de longues rues transversales. Je loue un cyclo pousse, avec lequel je m'engueule courtoisement, à cause d'un malentendu, au moment de régler mes dus. Il n'avait pas été explicite lorsqu'il m'a abordé pour me proposer ses services. Je me rends compte du malaise, et renégocie le tarif. Bien qu'il souhaite autre chose, je ne cède pas, en lui expliquant que notre parole s'est arrêtée à ce que nous avions décidé au début. Il comprend la sincérité de mes propos. Le poids fort de notre monnaie ne doit pas être un gage d'abus et de profit. La conversation est close. Il semble désabusé, mais me quitte en m'adressant une poignée de main. Plusieurs rencontres rythment l'après midi. D'abord celle avec un jeune garçon qui travaille à l'hôtel voisin du mien. Nous parlons longuement, assis sur les marches de l'escalier de l'hôtel. Lui me parle Français. Je lui parle Anglais. Sur le marché de Dong Ba, les vendeuses me ventent leurs chapeaux coniques. Passant d'un stand à l'autre, je discute, je fouille, j'hésite. Elles s'en amusent. J'en plaisante. Je finis par en acquérir un, aux feuilles de lataniers brodées. Au restaurant, un personnage atypique, à l'allure d'un ancien combattant sud vietnamien, me décrit le programme de tours proposés. Chacun de ces moments, fort d'humanité, emplissent ma mémoire et encombrent mon esprit de compassion et de respect. Chacune de ces rencontres dégagent la même force de combat. Le combat d'une vie, le combat pour la vie. Le même désir d'exister, et la même tendresse émanent de ces regards et de ces visages.

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Jour 12 :
    Une journée dans le souvenir de l'histoire tragique se profile. Il fait déjà chaud à six heures quarante lorsque je m'apprête à prendre le bus pour rouler vers la zone de démilitarisation. Si aujourd'hui le pays est réunifié, dans un passé très récent, il était encore divisé en deux. Une ligne située au niveau du dix septième parallèle, découpait le Vietnam en deux états séparés. Autour de cette frontière ont eu lieu des affrontements terribles. Sur le plateau de Ke Sand, à six cent mètres d'altitude, était implantée une base de marines américains, chargée initialement d'entraîner des groupes de minorités ethniques. Sur ce lieu stratégique ont eu lieu des combats sans merci où des milliers d'hommes ont trouvé la mort. Je fixe les collines et j'imagine avec une forte émotion les nords vietnamiens dissimulés dans les forêts, traquant leurs ennemis dans une chasse à l'homme sans merci. Au bruit sourd d'un hélicoptère de transport déposé devant mes pieds, j'entends balles et obus gronder sans relâche. A Ke Sand, focalisateur de toutes les télévisions du monde lors une bataille tragique, tant de fureur et d'horreur ont fait rage, pour une simple diversion qui aura coûté la vie à des milliers de soldats. Plus loin, à Vinh Moc, plusieurs kilomètres de tunnels ont été creusés pour survivre aux bombardements aériens. A l'intérieur une vie s'organise. En parcourant les galeries étroites où je ne peux pas tenir debout, on peut voir des excavations latérales où chaque famille avait établi sa chambre. 
Un peu plus enfoncée dans les couloirs sombres, une salle plus large et plus haute servait de réfectoire. Sur trois niveaux, les galeries ont été bâties dix mois durant, offrant treize entrées différentes. Dans un des musées, je suis particulièrement ému par la photo d'une femme en larmes dans les bras de son mari lors de la réunification du pays. C'un moment d'émotion solennelle pour cette guerre impopulaire, en côtoyant la terre qui a reçu les affrontements  et les fils des parents qui ont donné leur vie au nom du pouvoir et de la vanité. La soirée à Hué est paisible, et je savoure ces instants lorsque le soleil disparaît et que la chaleur s'apaise. Je flâne dans les rues sans autre but que de m'imprégner de l'atmosphère qui y règne. Je reste songeur devant tant de haine déployée envers l'innocence.

Jour 13 :
  A sept heurs trente, heure convenue, je retrouve mon guide qui m'attend déjà sur les lieux du rendez vous. Durant toute la matinée, il me véhicule à l'arrière de sa moto, à travers routes, ruelles et chemins, au large de la ville. A son contact, j'apprends comment l'empereur venait assister à des combats entre tigres et éléphants au sein de l'arène que je domine. Seule sa famille pouvait aussi pénétrer sur ce site. Il me raconte que l'éléphant sortait systématiquement vainqueur de ce combat. Systématiquement, sauf une fois où le tigre vint à bout de l'animal sacré. L'homme parfois était opposé au tigre, et une seule fois, l'homme battu le félin. Il me parle de religion et de l'alphabet vietnamien, le quoc ngu, créé au dix huitième siècle par Alexandre de Rhodes. Ce missionnaire français fut un des premiers  évangélisateurs du catholicisme. Plus loin, il me montre la rivière des parfums, et me décrit ses eaux colorées lorsque les fleurs et les plantes embaumaient les berges. Sur le promontoire qui domine la vallée et offre un panorama des collines environnantes, il me montre les bunkers américains, et me ressasse comment les bombes et les produits chimiques ont détruit hommes, animaux et forêts. Depuis peu la zone a été reboisée pour tenter de faire oublier ce qui n'est pas oubliable. Hier, j'étais à Ke Sanh, dans la zone de démilitarisation. Il a passé sept années dans la DMZ, et Ke Sanh a été sa base. Je suis à l'écoute de chaque son. J'ai du mal à comprendre tout ce qu'il me raconte. Mais ce que je comprends suffit à forcer le respect profond et la compassion, qui ne sauront donner de repos à son histoire. Il a combattu auprès des Etats-Unis. Les sud-vietnamiens avaient besoin des Américains pour gagner leur liberté, mais ils n'aiment pas les Américains. Ils ont sauvagement assassiné leur patrie et leur patrimoine. Lui, a tout perdu durant la guerre. Beaucoup de ses amis sont morts. Il ne possède plus d'argent. Pendant quinze ans, il retourne à Saigon pour gagner une vie de misère en louant un cyclo pousse. Depuis deux ans seulement, il a pu acheter une moto, et gagne sa vie comme guide. J'ai face à moi un personnage qu'aucun livre d'histoire ne pourrait remplacer. Je ressens une grande humilité à l'écoute de son récit. Nous parcourons plusieurs autres sites pour terminer par un temple boudhiste où un grand nombre de jeunes hommes suivent l'apprentissage de la voie de la sagesse. Après leur déjeuner, j'assiste à l'office du midi, au cours duquel de surprenants rites sont accomplis.
  Lorsque je suis de retour à mon hôtel, je m'apprête déjà à quitter les lieux, et, alors que je suis au restaurant en train de manger quelques crevettes, je suis forcé d'abandonner mon assiette. J'ai réservé une place dans un bus, et on me cherche depuis dix minutes pour partir. L'après midi se passe dans le bus. Aux heures les plus cuisantes, quand le soleil frappe fort au dessus de nos têtes, je parcours l'itinéraire qui doit me rallier à Hoi An. La mer de Chine fait son apparition dans le paysage tandis que les hautes collines persistent en toile de fond. Pour rejoindre Danang, la route accède à un col, offrant autant de vues plongeantes sur la mer que d'effort pour la gravir. Aux baies, succèdent plages et criques cernées de forêts et de végétations luxuriantes sur des versants pentus. Dans un lacet, une soute du bus s'ouvre. Je ne sais pas si des bagages sont semés sur le parcours, mais nous nous arrêtons de longues minutes, le temps que le chauffeur remette tout en ordre. La conduite est, comme à l'accoutumé, surprenante, rythmée de coups de klaxons continuels. Le bus fraie son passage dans une nuée de moto qui s'ouvre sous les assauts du klaxon. Vers six heures, Hoi An apparaît. Je flâne dans les ruelles de la capitale du prêt-à-porter, en préparant déjà ma sortie vers les hauts plateaux…

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Vietnam

Chapitre6: Hoi An 

Jour 14 :
  Je profite de la douceur matinale pour aller déambuler dans les rues de la ville. Maisons de bois, maisons chinoises ou pagodes s'insèrent dans les ruelles comme autant de monuments protégés. Chaque élément participe à créer sur ces lieux le charme et la magie. Sur le long de la rivière qui borde la ville, les pêcheurs attendent leur tour pour débarquer sur les berges le labeur de la journée. Les femmes s'affairent à décharger et installer les marchandises pour la vente quotidienne du poisson. Autour d'elles, s'étale le marché duquel émanent de nombreuses odeurs. C'est la cohue au milieu des stands exposés. Quel délice de savourer un ananas frai, juteux, aux arômes multiples, épluché et découpé devant soi ! Sur la rive opposée, des palmiers se tiennent fiers, tandis que sur le fond apparaissent les montagnes des hauts plateaux. Hoi An avec ses musées et ses ponts, ses lanternes chinoises qui ornent les devantures, n'est pas une ville comme les autres, et aucune ville  ne lui ressemble. Il n'y a pas de voitures en son centre. On y circule à pied ou en deux roues. C'est aussi une ville d'artisanat, où l'on peut voir dans les boutiques les tailleurs de bois s'acharner avec leur ciseau et leur burin à façonner un bouddha géant. On peut suivre les coups de pinceaux déposés sur une toile, lorsqu'un peintre réalise la reproduction d'une œuvre.
    
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Mais Hoi An est aussi la ville du prêt-à-porter. Des dizaines et des dizaines de boutiques étalent vêtements de toute circonstance,
et dissimulent des quantités impressionnantes d'étoffes. Robe de soirée ou robe de ville, pantalon chic ou chemise décontractée, les confections présentées à l'étalage donnent envie d'être regardé et touché. En me promenant, je suis happé par une fille qui m'entraîne vers son atelier. Attiré par la curiosité, je la suis, tout en gardant de la distance dans mes propos. Je pénètre dans un hangar où des dizaines de mini boutiques se succèdent. Elle me montre un catalogue de vêtements, et me présente ses étoffes soigneusement pliées. Quelques minutes plus tard, deux employées me prennent toutes les mensurations nécessaires à la confection d'un pantalon et d'une chemise. Le temps de rentrer et de manger un cau lo, spécialité locale, et quelques heures après, je suis déjà en train d'essayer ma nouvelle tenue qui tombe parfaitement.
  Je me repose durant une partie de l'après midi, profitant pour remplir quelques cartes postales assis au bord de la piscine intérieure de l'hôtel. En fin de journée, je loue une bicyclette et roule quelques kilomètres jusqu'à la plage de Cua Dai. Ce front de mer bordé de palmiers, et aux montagnes posées sur l'horizon, m'offre un avant goût des plages du littoral. Les pieds dans le sable fin, je contemple, méditatif,  le décor bleuté d'un couché de soleil envoûtant.  

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Vietnam

Chapitre7: Kontum

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Jour 15 :
    C'est une heure et demi après l'horaire prévu, soit aux alentour de sept heures trente, que le bus démarre en direction de Nha Trang. Je fais la conversation avec une anglaise en voyage au Vietnam, et résidant à ce jour en Chine. Nous ne sommes que six à bord du bus. Les kilomètres défilent dans le silence du paysage. Après deux arrêts destinés à nous remplir l'estomac, nous faisons une nouvelle halte pour changer de véhicule, à environ vingt kilomètres de Qui Nhon. Les deux bus se partagent l'itinéraire total. Le notre repart pour Hoi An, embarquant les passagers du second, tandis que celui que nous découvrons reprend la route vers Nha Trang. Encore quelques kilomètres, et je suis débarqué dans un village, à l'intersection d'une petite route. Je suis aveuglement un homme qui me prend par le bras. Il fait de grands gestes à un minibus qui surgit dans la poussière de la piste, et s'arrête sur sa demande. Je monte à bord, et quitte ainsi l'axe du bord de mer, pour prendre la direction des hauts plateaux à destination de Kontum. Les gens sont amusés de me voir. Ils ne comprennent pas ma langue, et je ne comprend pas la leur. Mon anglais ne m'est ici d'aucune utilité. Dans les instants qui suivent, nous embarquons de nouveaux passagers qui attendent sur le bord de la route, ainsi que plantes et sacs de riz. Une femme, la soixantaine au moins, entre par la porte du coffre, et accède difficilement à une place assise en enjambant la banquette arrière.
La petite fille qui est à côté de moi, sur les genoux de son père, me regarde curieusement, l'air un peu effrayée de voir ainsi un étranger à la barbe de quinze jours. Nous nous tassons afin d'occuper le moindre espace disponible. La route monte jusqu'à un col que nous atteignons péniblement. Nous slalomons au milieu des vaches et des chèvres, tandis que des camions en panne sont immobilisés sur le bord de la chaussée. Nous pénétrons ici au cœur des hauts plateaux, continuant progressivement de nous élever jusqu'à Pleiku. C'est alors qu'on me demande de l'argent. Je tente d'expliquer que j'ai acheté mon billet pour m'amener jusqu'à Kontum. Mes mots sont vains et inutiles. Il ne reste plus qu'une jeune femme à bord. Je me résigne à donner l'argent qu'on me réclame. Je comprends alors que je vais devoir de nouveau changer de véhicule. Le chauffeur du mien ne doit pas avoir envie de faire la route. Je monte donc à bord de ma nouvelle escorte. Mes nouveaux compagnons de route m'inspirent une impression étrange. Si en partant de Qui Nhon, je me suis rapidement senti en confiance, je ressens désormais beaucoup de méfiance. Sur la banquette devant moi, trois filles assises à côté du portier me posent des questions. L'une d'entre elles se remaquille. L'homme me tient des propos que je ne traduis pas, mais je reconnais certains mots qui me laisse l'impression d'être en plein milieu d'un réseau de prostitution. Derrière moi, trois individus à l'apparence suspecte adoptent une attitude qui m'interroge quant à leur vouloir. Plus nous roulons, et plus l'atmosphère devient pesante. Je tente de m'abstraire des lieux, en évitant de me poser des questions. Enfin, Kontum se profile, et nous atteignons bientôt la gare routière, en sortie de ville. C'est soulagé que je me retrouve au milieu des gens qui attendent le bus, assis sur les bancs de la gare.
  En descendant la rue principale, je suis l'objet de tous les regards. On me salue, on me montre aux enfants, on me convie autour d'une table. Ici s'achèvent les hordes de touristes. Loin des sentiers battus, je gagne mon hôtel où les hôtesses d'accueil ne me comprennent pas.
Un responsable anglophone surgit enfin, et résout mon problème de communication. Je peux bientôt m'installer dans ma chambre.

Jour 16 :
  J'ai adopté depuis quelques jours un rythme nouveau. Je suis réveillé de bonne heure. J'erre dans les allées du marché, et achète des fruits. Il n'y a pas besoin de marchander. Voici quelque chose de nouveau. Ce que j'achète est à sa juste valeur. Les vendeuses n'ont pas ici ce réflexe conditionné de multiplier par trois, quatre, voir davantage, le prix réel des choses. Et pour cause, cette pratique qui se fait auprès des touristes n'a pas lieu d'être ici puisqu'il n'y a pas de touriste. Pour une poignée de dongs, je repars avec un kilo et demi de lichis. Sur les marches d'un monument de la ville, je m'assied me délecter d'une grosse partie de mon achat. Un mini rassemblement s'organise rapidement autour de moi. Plusieurs " motobikers " viennent échanger quelques mots, espérant par ce biais louer mes services. Usant des moyens que nous possédons pour tenter de nous comprendre, nous arrivons tant bien que mal à échanger des informations. Ces instants que je partage avec les vietnamiens sont toujours très joviaux. Lorsque la troupe s'est amicalement dispersée, je fais un détour par la station de bus, afin d'obtenir quelques renseignements sur les horaires de dessertes. Je me fais alors conduire jusque devant le séminaire. Dans cette institution catholique, je rencontre deux jeunes français en mission quelques semaines. Ils sont ici pour donner des cours de français au séminaire ainsi qu'aux deux orphelinats de la ville. Ensemble nous découvrons le musée montagnard qui se tient au deuxième étage. Un séminariste  nous a ouvert les portes, et nous commente photos et objets artisanaux exposés, et appartenant à des ethnies locales. La visite est intéressante et offre un enrichissement cultuel de ces minorités des montagnes. Je rencontre un des prêtres. Tout le monde, en ces lieux, parle plus où moins bien le français. Il faut dire que la région, et Kontum en particulier, a été un des premiers lieux évangélisés. Les missionnaires catholiques ont  joué un grand rôle, et également préparé le terrain aux colonisateurs.
   
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  Ma venue dans ce coin, à des heures de bus de la route classique, porte une raison essentielle. Certes, elle me permet de m'affranchir de la présence parfois dérangeante d'occidentaux. Il est de certains endroits, sur fréquentés par la masse touristique, où l'on a du mal à se croire encore un étranger. Mais au-delà de l'immersion totale en terre inconnue, il existe à Kontum deux orphelinats qui ont depuis des jours retenus mon attention. Les deux centres regroupent des enfants,  de toutes les minorités ethniques confondues, des montagnes. Ils les hébergent, les nourrissent et assurent leur éducation en les scolarisant.
    Je traverse un village Bahnar, au sud de la ville. Je demande où se situe l'établissement auquel je désire rendre visite. On me répond avec de grands gestes chaleureux, et on m'indique sa présence au bout d'une petite allée de terre sur gauche. Je salue et remercie ces gens, et je me sens emporté par la gratitude lue sur l'expression de leurs visages. Je franchis le seuil de l'orphelinat de Vinh Son 2, et après le silence d'une cour vide d'âmes, je découvre la présence de quelques enfants. Pas du tout apeurés, ils me conduisent à la rencontre de sœur Marie Hélène, une des quatre nonnes qui s'occupent des deux cent dix huit enfants du centre. Intrigués, curieux, des enfants âgés entre cinq et huit ans viennent me saluer, et déposer sur mon regard ébahi des sourires de tendresse. Lorsque la sœur leur dit une seule parole, tous les gosses rassemblés, une quinzaine, s'ordonnent face à moi, et commencent à entonner un " frère Jacques ", à la prononciation locale. Devant cette chorale improvisée, qui reprend en cœur deux ou trois autres chansonnettes, je suis soudain emparé par une forte émotion, démuni devant cet accueil inhabituel. Lorsque j'ai retrouvé mes esprits, je remets à sœur Marie Hélène quelques fruits achetés sur le marché, ainsi que quelques vêtements qui voyagent avec moi depuis Bordeaux. Je fais la distribution de stylos et crayons à papier que j'ai ramené pour eux, et qui illuminent leurs yeux d'une fascination formidable. Comme d'un trésor tombé du ciel, ils s'impatientent et s'émerveillent devant le présent que je leur tends. Seuls des petits trépignements manifestent leur impatience. Certains même laissent leur place à de plus petits que soi pour ne pas qu'ils soient oubliés. Des heures durant, certains d'entre eux brandiront leurs petits cadeaux dans leurs petites mains. L'admiration et le bonheur de ces enfants devant ce qui n'aurait même pas fait réagir un petit occidental est formidable. On me sert du thé, que je bois et déguste. Ce thé au goût d'amertume, synonyme de convivialité et de chaleur. Les enfants prennent ensuite leur goûter, puis se mettent en rang pour danser. Il y a dans leur regard et leur sourire une telle demande de tendresse et d'amour, que dès les premiers instants ils deviennent attachants. J'ai déjà l'impression de les connaître, et l'envie de les serrer dans mes bras. Je joue au football, chante et même danse avec eux lorsqu'une petite fille me prend par la main pour rejoindre la ronde. Ces enfants sont si beaux. Je les observe attentivement, une lueur de compassion dans le regard. Ils rayonnent de vie alors que derrière leur carapace de chair se dissimulent la misère et le désespoir. Je suis attendri, fortement ému par ces petits yeux qui se perdent dans le fourmillement de l'orphelinat. Dans un petit lit, au fond de dortoir, on me montre un bébé qui a été amené quinze jours avant mon arrivée. Il a un mois, et ne connaît pas encore la réalité de sa vie. L'orphelinat fonctionne pour la plus grande partie sur des dons, mais ils ne subviennent pas aux besoins. Pourtant tous les petits pensionnaires sont en bonne santé, et mangent à leur faim. Les deux Français nous ont maintenant rejoins. Avec eux, je reprend du thé, et m'abreuve d'un vin que la sœur nous offre généreusement. A l'heure de partir, sœur Marie Hélène me remercie profondément de mon passage. Je la remercie au nom de tous ces gosses paumés dont elle s'occupe avec tout le courage et le cœur qu'elle possède. En franchissant le portail, j'ai du mal à quitter ce cocoon humain, et je me retourne longuement regarder les petites mains qui s'agitent tendrement.

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Jour 17 :
  Quarante cinq kilomètres en allant vers le nord, séparent Kontum de Dak To. Il me faut environ une heure pour parcourir la distance, assis à l'arrière d'une Honda. C'est une petite ville sans prétention, isolée sur les hauts plateaux, au bout de nulle part. Les nuages gardent jalousement les collines. Le soleil a du mal à percer. A-t-il réellement recommencé à briller sur ces forêts dévastées, détruites par les bombardements à répétition, et les déversements de défoliant abusifs ? Partout autour, sur des dizaines de kilomètres, la vie commence seulement à reprendre le dessus sur ce spectacle de lamentation qui a ravagé toute une région et semé la mort. 
  Je suis le centre d'attraction, celui qui amène les curieux. En quelques minutes, alors que je suis assis sur une murette face au monument commémoratif, pas moins de douze personnes sont rassemblées autour de moi, et autant de motos stationnées à quelques pas. Je souris, mais ne comprend rien à leurs interrogations. Mon conducteur a accepté pour quelques dollars de me conduire, mais il nous est impossible de communiquer. Je voulais simplement voir. Pouvoir témoigner, au-delà du massacre humain, de celui qui rappelle encore à chaque instant les ravages du napalm et autre agent orange. Sur les collines, quelques arbres épars se dressent vers le ciel, symbole de la vie qui reprend ses droits. Je roule, protégé dans mon coupe vent. 
La capuche claque sur mon visage. Je roule, libre de mes décisions, du présent vers le passé, de l'histoire vers la réalité qui m'enivre.
  En début d'après midi, je rejoins la gare de bus, afin de me rendre à Buon Ma Thuot. Il n'existe pas de billet pour les étrangers, et le chauffeur fixe lui même le tarif. Je ne suis pas d'accord avec le prix qu'il me demande et le manifeste. Mes négociations aboutiront finalement à un compromis entre ce que je réclame et ce qu'il exige. Un des employés de la gare vient s'asseoir près de moi, sur un banc, et m'explique gentiment la pratique des tarifs distincts.
  Quatre heures de transport m'acheminent à l'étape du jour. Buon Ma Thuot est réputé pour son café. Aussi je viens faire mon petit approvisionnement ; unique objet de mon arrêt dans la ville. Les rues sont très animées et j'aime les parcourir au hasard des carrefours. Les parfums de café exhalent des odeurs qui m'enivrent. Je hume les senteurs si savoureuses des grains de café grillés, mélangés à du beurre, qui me poursuivent depuis quelques jours.
  Ma chambre d'hôtel est vétuste. Il n'y a pas de drap. Je suis dans les profondeurs du Vietnam. Je respire ses odeurs, écoute les sons de sa vie, m'imprègne de ses couleurs. Je suis bien… 

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Vietnam

Chapitre8: Le littoal...jungle beach...Nha Trang

Jour 18 :
  Je me demande si dans cet hôtel il existe une distinction entre le jour et la nuit. A chaque heure à laquelle je me réveille, ce sont toujours les mêmes bruits que j'entends, la même lumière que je perçois à travers la balustrade au dessus du mur du couloir. A heure matinale, il fait bon marcher dans les rues. Je m'installe dans un bar et commande un café, que l'on me sert accompagné de thé. Ces instants partagés dans le quotidien des vietnamiens sont apaisants. J'observe le va et vient des jeunes vendeuses qui se succèdent dans le café pour vendre leurs journaux. Je reste ainsi un long moment, à boire et reboire encore le thé chaud qui remplit la théière qu'on m'a apportée.
  J'achète un ticket de bus et m'immisce au milieu des gens du coin, toujours aussi curieux et attentifs à moi. Assise sur le siège, un rang devant le mien, sur la rangée de gauche, une jeune fille me regarde, et me sourit. Elle me donne quelques mots en Anglais. Son sourire est enchanteur, et à lui seul incarne la beauté des filles que j'ai croisées dans ce pays. Je suis dompté par le charme de l'Asie. La jeune fille s'appelle Ha. Elle m'offre un petit bateau qu'elle a réalisé avec un papier de chewing gum. Je le rangerai délicatement dans mes affaires, avant de quitter le bus.
  J'ai du mal à comprendre cette manie qu'on les portiers à hurler lorsque le bus double un 
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véhicule, en faisant de grands gestes. Cette façon de faire m'agace plus que ne m'amuse. Nous roulons toujours. La route est belle, le paysage pittoresque. La végétation devient plus dense, plus luxuriante. Le vent se lève alors que nous descendons un col en lacets, approchant la côte. La route serpente, engorgée dans de hautes collines. Bientôt Nimh Hoa apparaît, à l'endroit où la route rejoint celle du littoral. Je stoppe ici mon trajet en bus, afin de rejoindre en moto la plage esseulée de " Jungle Beach ". Un problème subsiste : personne ne connaît ce petit coin de mer. Mes veines tentatives d'explication n'y font rien. Comme à l'habitude, une petite foule se forme autour de moi. Après de longues minutes d'interrogations durant lesquelles chacun se concerte pour tenter de m'apporter une réponse, une nouvelle personne apparaît. Il connaît la plage. Tout le monde semble disposé à m'y conduire, mais le tarif proposé ne me satisfait pas. Je fais jouer la concurrence, et après de longues négociations, je suis conduit sur les quarante cinq kilomètres qui me séparent de la plage. Je découvre un petit coin tranquille, où bungalows et lits à baldaquin surmontés de moustiquaires sont répartis sur un terrain parsemé de plantes et d'arbres. Dans le lieu commun où sont servis les repas, hamacs et fauteuils sont à disposition pour de saines lectures où une sieste réparatrice. Quelques jeunes d'un village proche partagent les cinq cent mètres de plage dont nous jouissons. La montagne, revêtue de sa forêt tropicale, rejoint le sable blanc immaculé. C'est un petit havre de paix, loin de l'agitation des stations balnéaires. Assis sur les rochers qui flanquent la mer, je contemple le mélange des couleurs de la tombée du jour, heureux de pouvoir être seul à en jouir. Au cours du repas, très copieux, je fais la connaissance de deux hollandais, avec lesquels je passe la soirée.
  Personne, dans ce pays, n'a le droit d'offrir un lit sans que les autorités n'en soient informées. Cette règle s'applique bien entendu aux hôtels et centres d'hébergements que contrôle chaque soir la police. Pour cette raison, nous devons laisser nos passeports à chaque passage. Ce soir, ce sont pas moins de six agents qui ont rendez vous pour un contrôle fiscal. Je m'interroge de la nécessité de tant de personnes. En réalité je trouve réponse à mes interrogations, lorsque j'observe la " patrouille " assise autour d'une table, à consommer les boissons offertes par la maison, tandis qu'un des agents vérifie la lourde paperasse.
  Dans la nuit calme et noire, nous nous immergeons dans une mer tiède et vivante. Chaque mouvement met en lumière des kyrielles d'étoiles scintillantes. C'est étrange et subjuguant à la fois de voir le sillage de nos corps illuminés comme un traceur radioactif. La nature est parfois mystérieuse et merveilleuse, et le plancton phosphorescent met en scène un spectacle de lumière unique pour notre grand bonheur.

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Jour 19 :
  Dans mon lit à baldaquin installé en plein air, je suis à l'abri des moustiques mais pas de la pluie qui, quelques instants, me contraint à me camoufler sous la couverture. Vers cinq heure trente, je rejoins la plage. Plusieurs autres personnes sont déjà assises sur le sable. Le jour est présent mais le soleil n'a pas encore montré son disque flamboyant. L'horizon se colore d'une palette rougeâtre, que la présence de nuages rend hétérogène. Soudain, le voici qui pointe timidement, dans l'horizon qui barre notre vison. La mer de Chine est recouverte d'un épais brouillard rouge, au centre duquel se dresse l'astre divin. Il poursuit sa lente apparition jusqu'à devenir trop haut et trop lumineux pour nos yeux nus.
  La matinée est à la relaxation. Assis sur le canapé de la pièce commune, protégé des rayons déjà brûlant du soleil, je discute longuement avec les Hollandais. Nous buvons thé, café et boissons rafraîchissantes que nous servent les personnels, attentifs à ce que nous ne manquions de rien.
  En début d'après midi, je quitte la plage de la jungle, accompagné d'un jeune couple, à bord d'une voiture que nous avons réservée. C'est ainsi que je rejoins Nha Trang, plage la plus réputée du Vietnam. Le sable est fin et les cocotiers bordent les allées, sur un espace de verdure. A la tranquillité de la veille succède l'agitation d'une station balnéaire de grande 
renommée. C'est donc sans surprise que je constate la présence d'une foule dense. Je m'assois longuement à quelques mètres de l'eau. A une heure où la foule a déserté les lieux, quand le soleil ne brûle plus la peau, je regarde le morceau de terre qui se dresse face à moi, en écoutant le chant des vagues qui, dans son va et vient, tente de me lécher les pieds. Alors que la nuit s'installe rapidement, le tonnerre fait gronder quelques coups violents…

Jour 20 :
  Nous sommes une douzaine à embarquer dans un minibus qui nous dépose en quelques minutes, sur les quais, d'où nous montons à bord d'un bateau. En vingt minutes, nous rejoignons un spot de plongée, où le bateau nous déposera pour effectuer la première immersion de la journée. Après que le moniteur français m'ait montré la procédure de préparation du matériel, j'équipe mon gilet de la bouteille d'oxygène, prenant soin de vérifier le bon fonctionnement de chaque élément : détendeur, détendeur de secours, manomètre, remplissage d'air et soupape d'évacuation. Ces derniers étant destinés à emplir ou vider d'air le gilet afin de monter où descendre, une fois sous l'eau. La combinaison revêtue, et l'équipement sur le dos, nous faisons le pas de géant, qui nous propulse vers notre terrain de découverte. Quelques exercices après, nous descendons jusqu'à douze mètres de profondeur, observer coraux et poissons qui animent la vie sous marine. Le temps est voilé, et la luminosité est assez réduite. Pour autant, de multiples poissons colorés tournoient autour de nous. Je joue avec un poisson clown, qui garde son œil noir rivé sur ma main, curieux de la voir s'approcher. Des étoiles de mer, rouges ou bleues, ornent le fond sablonneux. Une rascasse se dissimule sur le récif. Après quarante minutes de plongée, nous remontons attendre le bateau qui tarde à arriver. Je commence à avoir froid. Une fois à bord et déséquipés, on peut se rassasier d'un lunch abondant. La mer ondule, et le bateau encré roule. La plongée m'a fatigué, et ce mouvement oscillant permanent ne me met pas à mon aise. L'estomac le manifeste par des hauts le cœur. Déjà, il est l'heure de s'équiper à nouveau pour la seconde plongée. Dans l'eau je retrouve un état de bien être, et oublie rapidement mes nausées. Je prend mes repères dans ce milieu que je redécouvre, libre de mes mouvements, deux ans après la féerie de la Mer Rouge. Il fait plus froid au dessous d'une ligne imaginaire. Je la franchis par moment afin de sentir la tiédeur me réchauffer.
   
De retour au centre de plongée, je me dirige vers le musée Yersin. Brillant savant français, et disciple de Pasteur, il est un passionné de connaissances et de découvertes. Il met au point le vaccin contre la peste, suite à une épidémie qui a fait des millions de victimes en Chine, tandis que lui se trouvait en Asie. Le musée retrace sa vie, présente un grand nombre d'appareils utilisés dont le microscope avec lequel il a découvert le bacille du virus. Des bibliothèques entières rassemblent de nombreux ouvrages traitant de l'histoire de France, d'astronomie ou encore de romans d'aventures.
    Je dîne avec trois français rencontrés au cours de la plongée. Tandis que le couple quitte la table pour prendre un train à destination d'Ho Chi Minh, je reste un long moment à discuter avec une professeur des écoles qui voyage seule. Nous échangeons quelques anecdotes, et elle me parle de l'Inde la mystique, notamment. Ces conversations et ces réflexions nous interrogent sur les bienfaits et les méfaits du tourisme. La conduite à adopter avec les indigènes est un vaste débat. La richesse que constitue la réalité quotidienne, souvent misérable, aspire à d'autres projections de voyages; encore et toujours en une quête de découverte, de partage et d'humilité. Je suis à ce titre dérangé, lorsque devant un bar pour touristes, quelques étrangers s'amusent en écoutant de la musique trépidante, et en buvant des boissons fraîches. Pendant ce temps, des femmes déambulent avec leurs panières contenant bonbons et gâteaux, essayant de gagner quelques centimes d'euros. Ce manque de pudeur fait parti de leur condition, et affiche une barrière qui sépare l'Asie de l'Europe…la misère de la richesse…la moralité de la fortune. Pour autant, notre regard d'occidental ne devrait-il pas au moins rendre transparent cette différence cruelle ? Sans crier à l'hypocrisie, il me semble que ne serais-ce que par respect, et d'un point de vue éthique, il serait justifier d'avoir la décence de ne pas s'exhiber. Sur le chemin du retour, je suis accosté par deux prostitués. Je m'arrête, curieux, attiré par l'amoral, et tout autant désireux d'apprendre un peu sur cette activité montrée du doigt qu'est le tourisme sexuel. 
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Je voudrais essayer de comprendre davantage leur façon de travailler, et surtout d'être exploitées. L'une d'entre elle tente de me convaincre et me fait les yeux doux pour aller boire un verre, et rejoindre son hôtel. Cette fille m'intrigue, par la sincérité qu'elle dégage malgré son rôle qu'elle doit tenir. J'appréhende pourtant de rentrer dans ce réseau maffieux. J'aurais volontiers accepté d'aller boire un verre quelque part. Nous disposons même d'une moto, que la seconde des filles nous laisse. Certain de pouvoir apprendre des informations importantes, graves peut être, je me résonne pour ne pas céder à la tentation que m'offre cette fille. Les prostituées travaillent en réseaux, et alors que je rentre vers mon hôtel, une troisième nous a rejoins. Elle m'inspire peu confiance. Mon impression se confirme, puisque cette fille se rue littéralement sur moi pour tenter une ultime fois de m'acheter. Je la repousse brusquement. En réalité, je réalise en rejoignant ma chambre, que mon sac dans lequel se trouvent tous mes papiers, et qui est dissimulé sous mon tee shirt, est ouvert. Elle m'a volé la moitié de l'argent que je venais de retirer quelques heures auparavant…

plus de photos du littoral

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Vietnam

Chapitre9: De Dalat à Mui Ne

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Jour 21 :
  A sept heures cinquante, on frappe à la porte de ma chambre. Le bus est déjà devant l'hôtel. Je quitte la côte avec le désir de m'immiscer dans la véritable vie du pays. Nous longeons longuement le littoral sans apercevoir la mer, avant de nous enfoncer vers l'intérieur des terres. Sur une distance de cinquante cinq kilomètres, la route s'élève, enchaînant les lacets, au milieu d'une forêt abondante. Nous observons magnifiquement la plaine qui bientôt disparaît de notre champ de vision. Par endroit, la pente s'annule, soulageant notre bus qui peine par moment à progresser. Nous atteignons, perché à 1500 mètres d'altitude, la petite station climatique de Dalat. En parcourant la ville, je ne perçois que des hôtels. N'y aurait-il, dans ce coin de fraîcheur, que des touristes avides de températures clémentes ? Les boutiques du centre donnent l'impression qu'une ville européenne a traversé les océans pour venir se percher sur les hauts plateaux vietnamiens. Derrière cette apparence aisée et l'activité commerciale qui règne, se cache la pauvreté et la rudesse de la vie du pays. Je le constate en me promenant sur les bords de la ville où j'observe les immeubles délabrés, cachés par des façades moins rustiques. J'ai parcouru des kilomètres et effectué des heures de bus pour rejoindre ce passage obligé du voyageur, dans l'unique but de rencontrer un guide. Ils sont près d'une vingtaine, résidant à Dalat, et reconnus dans tout le pays, à parcourir les routes à moto. On les appelle les easy riders.
  Je marche dans la rue, lorsqu'un type m'intercepte. Il porte un blouson de cuir,  un pantalon en tissu et des chaussures de ville. Je comprends de suite qui il est. Il affirme m'avoir vu le matin même à Nha Trang, sortir de l'hôtel, le sac sur l'épaule, et monter dans un bus. Il dit m'avoir salué. Je lui ais répondu, sans me souvenir de son visage. Il me montre son carnet de bord, où sont présents photos et témoignages. Il me présente le tour qu'il a à me proposer. Je lui parle de ce que j'attends. Le contact est établi avec Hong: c'est un easy rider. Il m'invite à aller boire un café. Nous restons longuement assis à une terrasse, parcourant son itinéraire sur une carte, buvant de nombreuses tasses de thé. Je me sens imprégné dans la douceur et les senteurs des instants que j'imagine. Une heure trente plus tard, nous nous donnons une poignée demain. Il passera demain matin à mon hôtel,  pour m'immerger durant deux jours dans l'activité trépidante du Vietnam, hors des sentiers battus, là où la vie se révèle dans son plus simple apparat.
  Alors que la nuit est déjà tombée, je rejoins l'animation des marchés nocturnes. Autour de la place centrale sont alignés les stands de nourriture où chacun propose un plat unique pour trois fois rien. Il fait frai, et la fine pluie qui tombe me donne quelques frissons, malgré la petite polaire que je porte. Il fait frai, mais c'est agréable de errer sans but au milieu de cette convivialité et de cette chaleur dont les sourires que je croise me nourrissent. 

Jour 22 :
  A l'heure convenue, j'aperçois Hong devant la porte de l'hôtel. Je récupère mes affaires, et le rejoins. Il enveloppe mon sac dans un plastique pour le protéger de la pluie, et l'attache soigneusement à l'arrière de la moto. Nous sommes prêts à partir. Alors que nous dominons la ville surmontée de sommets camouflés par les nuages, il me parle du savoir faire que les Français ont apporté à Dalat. Le climat favorable a privilégié la culture des fruits et des légumes, ce que la chaleur des plaines de basse altitude ne permet pas. L'artichaut est la spécialité des lieux. Si les premiers arrêts que nous faisons me laisse un goût amer d'être confronté à la masse humaine, et aux concentrations massives de touristes, je ne tarde pas à être imprégné par les odeurs et les gestes du quotidien profond. En pénétrant dans une petite demeure, j'observe une femme agenouillée confectionner des galettes de riz au sésame. Ce sont ces mêmes galettes que je dégustais quelques jours auparavant, tandis que je savourais un succulent " cau lau " à Hoi An. Un peu plus loin, sur le bord de la route, des hommes moulent et découpent la terre pour fabriquer des briques, usant d'archaïques machines mécaniques. Les femmes transportent les briques de glaise sur des brouettes, avant de les enfourner dans de grands fours alimentés à la sciure de bois.
   
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Lorsque vers quatorze heures, nous nous arrêtons manger, nous partageons poissons et tofu accompagné de l'incontournable riz, tandis que le thé accompagne la digestion. Curieux, Hong m'interroge. Je le questionne sur ce que je mange, ce que je vois ou entend. Nous traversons bientôt d'immenses plantations de café qui s'étendent à perte de vue. Cette contrée sauvage et vallonnée où chaque colline laisse surgir une infinité d'arbres aux grains noirs, apporte l'héritage controversé de notre passage sur ces terres. C'est un panorama idyllique que je contemple, assis à l'arrière de la moto, alors que le ciel s'obscurcit par moment, laissant quelque averse tenter de traverser nos habits. Alternent alors puis succèdent les vastes étendues de thé, dont je comprends le cheminement de la récolte à la commercialisation, en pénétrant dans une usine de confectionnement. Nous nous arrêtons plus loin déguster les saveurs de ces boissons, témoins de la vie sociale. Doux, ou amer, je bois généreusement le liquide vert que Hong verse à de multiples reprises dans ma tasse. Nous discutons dans la convivialité de ce thé fumant. Je le questionne, désirant comprendre, appréhender mieux ce qui m'entoure. Il m'apprend que l'école n'est pas un droit. Chaque parent doit payer pour que son un enfant puisse avoir droit à l'instruction. Dans les campagnes, les travaux des terres, le prix trop élevé pour une famille nombreuse, ou l'éloignement sont souvent les causes de la non scolarisation. Hong doit parfois travailler très dur pour que ses enfants de onze et quatorze ans bénéficient d'une éducation. Il fait pourtant partie des privilégiés…Je trouvais cher le prix à payer pour passer un peu de temps avec lui, mais qu'est ce qu'une poignée de dollars devant la dureté de la condition de ces gens ? Je réalise que je sortirai de cette rencontre bien plus riche que je ne l'étais avant.
  J'achète un paquet de thé. Celui que j'ai savouré et apprécié. Celui dont la saveur me contera plus tard la douceur de ces instants fragiles, précieux, emplis d'humanité. Lorsque la pluie nous rattrape de nouveau, nous faisons halte pour nous mettre à l'abri. A coté, se trouve une baraque où la famille travaille encore l'or vert. Autour d'une grande plateforme faisant office de table, nous sommes conviés à nous rafraîchir de gros fruits exotiques, le jack fruit, dont une partie est aussi utilisé en cuisine. Autour de la table, le couple, les enfants et Hong font la conversation. Celui-ci sert de passerelle pour que je puisse participer à la conversation.
  A côté des chutes de Damhbri, nous rejoignons un hôtel, au pied de la jungle, dans la quiétude d'un coin isolé. Au marché de Bao Loc, Hong a acheté des légumes et de la viande de bœuf qui nous sont servis, cuit dans du beurre sur une sorte de pierrade. Dans la pénombre de la salle de restaurant, nous donnons l'assaut répété des coups de fourchettes. La mousse de nos bières recouvre d'un linge blanc le liquide dont chaque gorgée est un moment de délicatesse. Nous parlons de la France et du Vietnam, en empruntant le passé tout autant que la présent. Honh me parle de son rêve de venir en France. Rêve qui s'achève dans le trouble de ses pensées, que la réalité de son quotidien de permettra pas d'atteindre.

Jour 23 :
  La nuit a été excellente, probablement la meilleure depuis mon arrivée au Vietnam. J'hésite à me lever tant la douceur du matelas me retiens. Spacieux, calme, le site sur lequel est implanté l'hôtel aspire à une quiétude formidable. A droite, en sortant, se tient un lac, sur les rives duquel quelques pédalos sont amarrés. Un ensemble de chemins sillonnent le parc. En face, une chute d'eau puissance et vertigineuse fait gronder un tonnerre assourdissant. Sur les berges de la rivière dans laquelle se déverse la furie des eaux, se jettent les arbres et les hautes plantes de la jungle. Alors que nous quittons le site, nous croisons, sur l'allée, un homme accompagné d'un éléphant, tel un petit chien qu'on promène…magnifique symbole de force et de docilité. Je me retourne une dernière fois, absorbant encore quelques images, tandis que les embruns de la cascade enveloppent la forêt. Les vallons plantés de café que nous traversons sont une pure merveille…une beauté idyllique. En pénétrant dans une maison, au coin d'une allée, j'apprends ce qu'est le tofu. Une jeune fille prépare des pavés d'une mixture de soja bouillie et pressée, puis les met à frire dans un récipient d'huile bouillante. Je les savoure chauds, juste sortis de la friture. Avec Hong, je perce les secrets qui se dissimulent bien à l'abri des regards épieurs, à l'intérieur des murs. Là où la vie semble arrêtée, sans activité, se déroule une animation grouillante, où chacun apporte sa pierre à l'édifice du système économique du pays. Dans l'entrée d'une maison, un grand récipient plat contient une quantité importante de vers à soie, disposés sur un lit de feuilles de mûriers constituant leur nourriture. Seulement quinze jours d'alternance entre jeûne et nourriture suffisent au ver pour fabriquer son enveloppe de soie. Un peu plus loin, c'est une femme qui les ramasse sur un présentoir disposé à la lumière, et à la chaleur du mur de la façade. Elle vérifie chacun d'entre eux tandis que la petite fille s'amuse avec des vers que lui tend sa mère, comme avec un jouet qu'elle redécouvre à chaque fois. Vient ensuite l'extraction du fil. Dans une petite usine, des bobines tournent continûment pour enrouler le fil dont 
chaque cocon est constitué. La nature offre cela d'extraordinaire qu'il suffit de l'observer pour en être admiratif. Quelques jours suffisent à un insecte de quelques centimètres pour tisser sa " carapace ", soit entre cinq cent mètres et un kilomètre de fil. Plus tard lorsque la soie sera conditionnée, elle permettra de réaliser de superbes vêtements. Historique assez fascinant de la vie d'un ver…
  Après un déjeuner à la soupe, Hong  achète des cahiers qu'il remettra plus tard aux enfants d'une famille ethnique. Dans cette petite maison, où ils doivent parfois marcher deux heures pour aller à l'école lorsque le père a trop de travail, je déguste un alcool de fruit, macéré dans de la banane, dont j'ignore le nom. Une fois de plus, je suis reçu avec le meilleur accueil par des gens dont les seules conditions d'habitat feraient pâlir un français moyen. Dans la pièce principale où est installé un lit en bois, ainsi que la table autour de laquelle nous sommes installés, la moto du père repose sur sa béquille. Sourire et générosité sont le lot de présents que je reçois tout au long du parcours que j'ai entrepris.
  Mon guide est curieux, comme je le suis. Lorsque quelque chose suscite notre intérêt, nous nous arrêtons. Un enfant nous autorise à pénétrer dans une maison sur pilotis, où un bébé dort, seul dans un coin, dans un grand hamac vert. En traversant les villages ethniques, parfois le vietnamien de mon guide n'est pas suffisant. Une femme ne comprend pas la langue, ne  communiquant qu'avec son dialecte. Elle est angoissée lorsque Hong tend un chewing gum à son enfant. Je la regarde piler le riz avec son long pilon.
  J'apprends encore la récolte du sésame, ou le séchage des pousses de bambous. Ce bois très courant se retrouve dans l'élaboration  de nombreux objets. Ainsi dans une cour, on fabrique des baguettes pour manger, devant une porte plusieurs personnes s'affairent à concevoir des bateaux paniers en tresses serrées.
  Le paysage a laissé ses vastes plantations pour offrir de larges forêts. Hong veille sur moi avec une attention de chaque seconde. Lorsque l'averse nous rattrape, il me remet un poncho et un pantalon imperméable pour que je reste au sec. Chacun de ses gestes sont dévoués de délicatesse. En me rapprochant de la mer, je redécouvre l'activité des rizières, où femmes hommes et enfants sont employés à des tâches spécifiques  dans le labeur. Des couleurs éclatantes émanent de ces tableaux.
  A Mui Ne, je marche sur les dunes de sable. La lumière du soleil donne aux montagnes de silicate des teintes brunâtres splendides, striées de vaguelettes façonnées par le vent. L'ensemble constitue un paysage de carte postale. Je gravis les dunes de ce désert miniature, suivi par mon ombre qui s'étire longuement, m'isolant de la foule, et des enfants qui dévalent les pentes sur des luges de plastique.
  Ce soir je dormirai dans un bungalow, à l'écoute de la mer qui poursuit son va et vient inlassable. Nous mangeons sous l'éclairage de la terrasse extérieure, traqués par des moustiques peu lassés de sentir de la nourriture à portée de trompe. Alors que je profite encore de la douceur du soir, je prends la décision de poursuivre la route avec celui qui m'ouvre les portes de son pays…

Jour 24 :
  Il fait une température idéale à l'heure à laquelle je prends mon café sur la terrasse de l'hôtel. Je suis irrité lorsque je réalise que le prix de la chambre est quatre fois celui que j'avais compris. Le thermomètre grimpe rapidement, et il fait déjà chaud lorsque je gravis les marches d'un temple Cham dont l'architecture remarquable laisse rêveur.
  Je ne tarde pas à comprendre la fabrication des pâtes de riz dont je me remplis l'estomac comme office de petit déjeuner. Je regarde les cylindres de riz bouilli devenir spaghettis avant d'être cuit dans de l'eau bouillante puis refroidi dans un bain froid.
  Sur les bords du port, les pêcheurs ramènent leur travail. Ces petits poissons qui remplissent les caisses donneront dans six mois, après avoir macéré durant toute cette longue période, le Nuoc Nam. Il s'agit d'une sauce traditionnelle qui accompagne souvent les plats dans tous les restaurants du pays. Une sauce réputée, au parfum fort et peu subtil. Véritable odeur emblématique du Vietnam, qui répugne le plus souvent les occidentaux. C'est à Phan Thiet que la plus fameuse est élaborée. 
  Au bord de la route, des hommes préparent des tiges de bambous. Dans l'arrière cour, la femme et les enfants tressent ces longues lattes qui constitueront des paniers pour transporter des légumes ou des fruits. Les enfants sont rassemblés autour de moi. Peu habitués à voir un 
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étranger faire irruption chez eux, ils observent chacun de mes gestes, curieux et respectueux. On s'amuse de me voir. On parle de mon teint, de mon nez. On me compare. Tandis que j'égraine une panouille de mais chaud qu'on m'a offert et dont se régalent beaucoup les gens, j'attend les traductions de Hong. Une femme coiffée d'un chapeau conique nous rejoint avec un bol de chili que je goûte. Cette épice est souvent présente dans les assaisonnements, et les vietnamiens en ont dans leur petit jardin. Elle se lit à la conversation. Accroupie, dans cette posture qu'on souvent les femmes du pays, elle sourit. Fille de My Lai. Elle était enfant et s'est enfuit à travers la forêt lorsque s'est déroulé dans son village ce qui restera gravé comme un des plus grands massacre de l'histoire de cette guerre. Maison incendiées, femmes violées, tueries. Autant de barbaries pour résumer trop maladroitement l'apocalypse d'un village humilié, décimé, rayé de la carte en quelques heures, par une armée revancharde. Elle est là, devant moi. Je la regarde sourire, rayonnante comme la lune dans un ciel clair. Elle semble loin de son passé. Pourtant, il est certain que brûlent toujours les flammes de l'enfer. Un enfer dans lequel elle a tout perdu, y compris sa dignité.
  Nous buvons encore du thé sur la route. Puis du jus de " fruit du dragon ". Les lichis qu'on m'offre accompagnent les kilomètres qui défilent. La circulation s'intensifie. Je constate avec étonnement de nombreuses voitures d'un certain luxe. La dernière portion du trajet est longue et monotone. En approchant Saigon, le trafic s'intensifie encore, devenant de plus en plus dense. Il faut slalomer pour frayer son chemin. Quelques hauts immeubles se dressent. Le trafic bat son plein. La pluie déverse maintenant des torrents. Nous parvenons tant bien que mal à trouver un hôtel dont Hong avait l'adresse. Lorsque j'ai pris possession de ma chambre, je retrouve Hong dans le hall d'entrée. Notre route se sépare après trois jours passés collés sur le siège de sa Honda. Merveilleux d'attention, curieux et à l'écoute permanente, il a été mon initiateur et mon laissé passer au cœur de l'activité familiale, ouvrière et sociale. Nous nous serons une longue poignée de main chaleureuse et fraternelle. Nous sommes émus et s'est sur une longue accolade que nous nous quittons. Je me sens tout à coup un peu seul, démuni, livré à la grouillante et trépidante ville de Saigon.
  Sous une pluie diluvienne, je m'assois, à l'abri d'une toile, manger un plat au coin d'une rue. Sous mon poncho rose transparent, je pourrais passer pour le pire des ringards mais ici je suis un parmi d'autre, sans à priori ni jugement. Au hasard d'une route, je me sens outré et coupable lorsqu'un cyclo pousse, en tee shirt, me parle et me sourit tandis que l'eau abonde et que je refuse ses services. 

Plus de photos de Dalat à Mui Ne

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Vietnam

Chapitre10: Le delta du Mékong...Cantho

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Jour 25 :
  Je me force à quitter mon lit aux aurores. En bas de l'hôtel, une main se tend déjà. Je négocie brièvement la course, et pars dix kilomètres au nord, vers la station de bus, sac sur le dos. Une fois de plus, on refuse de me vendre un billet. Un homme tente de m'expliquer qu'il n'y a pas de bus pour Cantho, mais seulement pour Vinh Lon. Seul petit problème, c'est à Cantho que je désire me rendre. J'attends. Je manifeste. On me conduit vers un second guichet. Je renouvelle ma demande. Une femme me prend par le bras et me désigne un bus. Enfin la route s'ouvre devant moi. Naturellement je paierai un tarif fixé à la guise du chauffeur. De toute façon je ne possède pas de billet pour contester, et ne dispose pas d'autre solution. En cours de route, je dois descendre attendre un minibus. Je ne comprend pas pour quelle raison on veut me faire quitter mon siège, et je refuse dans un premier temps d'obéir.  Personne ne sait exactement à quel moment il arrivera. Finalement  le voilà qui apparaît un petit quart d'heure plus tard. Tout autour de moi, dans les rangées qui entourent la mienne, plusieurs femmes et enfants ont l'estomac renversé par la conduite sportive de notre moyen de locomotion. Encore une image qui se gravera dans ma conscience. Comme si ce peuple tout entier, jeune et moins jeune, rescapé de son histoire ou conquérant de son futur, avait perdu sa dignité. Dans les douleurs d'hier, hommes, femmes et enfants ont appris à souffrir en silence.
Chacun vit sa propre aventure, soigne ses bobos, sans plainte ni gémissement. Je n'aurais pas remarqué la transpiration excessive de cette femme qui tient la main de son fils. Je n'aurais pas non plus deviné les nombreux sachets plastiques dans lesquels disperser leur malaise, si je ne m'étais retourné pour faire un état des lieux. Lorsqu'ils ont remplit de vomissure ces sacs, les vietnamiens les jettent par la fenêtre. Mieux vaut ne pas se trouver sur le passage lorsque les projectiles sont lancés, sous peine de se voir crépis d'un revêtement quelque peu indélicat. D'autant, qu'ici les " motobikers " roulent sans casque…
    Il me faudra quatre ou cinq heures de bus avant d'embarquer à bord d'un ferry qui m'amène au cœur du delta du Mékong. Je fais une sieste dans mon " guest house ". En fin d'après midi, lorsque la température a enfin diminué, tout devient plus agréable. Je rejoins sur les bords du fleuve un espace vert où les vietnamiens aiment à se détendre. Lorsque je m'assois regarder le va et vient des bateaux sur le bras du delta, je ne tarde pas à être interrompu dans mes pensées par des curieux, désireux de me parler. Parmi eux, une femme qui parle correctement le français me raconte son histoire, me parle de ses enfants qui vivent en France,  de ses petits enfants…C'est tandis que je consulte mon guide devant un monument où se dresse fièrement une statue de Ho Chi Minh que je suis convié à circuler. Il ne faut surtout pas que mon ombre dérange celle disparue du général. Comme pour ne pas oublier le légendaire et illustre personnage emblématique d'un communisme toujours présent ! Comme pour ne pas oublier que l'ancien régime continue de vivre à travers la pierre…je ne dois en aucun cas offenser son altesse par ma présence inopinée.
  Dans l'air frai de la soirée, je visite le musée de Cantho, intéressant par son contenu, mais non traduit, ce qui me laisse sur quelques interrogations. Je commence à retrouver l'atmosphère des jours précédents.   

Jour 26 :
  A 5h30 précise, une femme arrive pour m'emmener à l'embarcadère, après m'avoir remis deux morceaux de pain et quelques bananes comme petit déjeuner. Je monte à bord d'une petite embarcation de bois, propulsée par une hélice fixée à un long bras que l'on dirige à la main, faisant office de gouvernail. Le soleil a du mal à percer les nuages qui barrent l'horizon, en cette heure très matinale. Une lueur perçante parvient tout de même à franchir ce mur épais, et donner son reflet sur les eaux foncées du Mékong. Avec le levée du soleil s'annonce une nouvelle journée de va et vient sur cette partie du fleuve. Je remonte le courant tandis que sur les rives défilent les habitations où la vie commence à s'animer. Afin d'assurer les réserves en carburant, nous faisons un arrêt à la station d'essence, évidemment flottante, comme tout ce qui rythme l'activité commerciale de la région. Bientôt, nous atteignons le marché flottant de Cai Rang au milieu duquel nous nous dissimulons à la précision des coups de rames. Ces dernières sont fixées à hauteur d'homme, et se substituent au moteur lorsque la traversée exige des manœuvres plus délicates et minutieuses. Les marchands de légumes, de fruits ou encore de riz, les vendeurs de boissons, s'animent pour épuiser les provisions que leur embarcation stocke. Petites barques et plus gros bateaux se mélangent sur ce sol instable. Les plus petits se déplacent agilement au milieu des plus gros qui restent sur place. A cette heure très matinale, certains font chauffer une soupe, d'autres dégustent un fruit. Après plusieurs allés et venus, nous poursuivons plus en amont jusqu'au marché flottant aux fruits de Phong Dien. Une animation fervente règne au milieu de formes et de couleurs diverses. Je mange un morceau de pastèque acheté par ma guide. C'est un concert de chapeaux coniques sur l'eau, où chacun fait jouer de ses rames pour se faufiler à travers les mailles du filet tressé par les vendeurs. Nous laissons l'agitation trépidante pour aller boire un café, avant d'aller emprunter un des canaux latéraux qui fendent le Mékong sur toute sa longueur. Nous laissons la large autoroute fluviale pour naviguer dans les artères secondaires.  
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Sur les berges, la vie suit son cours, et nous voguons au rythme lent de ce quotidien comme au premier jour de l'humanité. Tandis que des enfants prennent leur bain dans l'eau marron que nous fendons, une femme termine la vaisselle du matin. Un groupe d'hommes remonte un tronc d'arbre, l'eau jusqu'aux épaules. La mangrove s'est développée, et a établi domicile le long des habitations presque rejoint par le bras du fleuve. Le long des canaux, nous croisons les bateaux qui véhiculent nourriture ou toute de sorte de matériel. Depuis leur seuil de porte, les enfants crient et me font des signes de la main, auxquels je réponds avec autant de réjouissance qu'ils en ont à me saluer. Ils me lancent des fruits que j'attrape au vol, en les remerciant de leur geste attentionné. Chacun possède son bateau parce qu'il est plus simple de se déplacer sur l'eau que sur la terre. C'est un fleuve vivant que je côtoie. Sur la passerelle de bois qui enjambe un bras d'eau, une bicyclette s'élance. Lorsque nous faisons une halte sur les rives du canal, je m'enfonce brièvement dans l'intérieur des terres, découvrir les vergers et les portes de la culture du delta. N'oublions pas qu'ici se trouve le grenier du Vietnam, et avec lui plus de 80% de la production nationale de riz. Je commande un café blanc, chaud, que je ne me lasse pas d'apprécier, alors que j'échange quelques mots en anglais avec un Vietnamien.
  Je loue les services d'un cyclo pousse motorisé comme il y en a seulement à Cantho pour me faire emmener, assis dans la carriole, à la station de bus de la ville. J'enrage de plus en plus du fait de payer un billet à un prix très supérieur au prix normal. Je dois revenir tout de même à la réalité, puisque même supérieur au tarif local, le prix du billet reste une somme modique pour ma bourse. Le long du trajet, je regarde le paysage défiler. La pluie tombe désormais avec ardeur. Une musique berce cette douce traversée. Les notes se déposent sur la pellicule du film…le film d'une aventure pas encore achevée…
  Dans mon hôtel, une terrasse donne sur les toits. Je ressens une quiétude et un bien être phénoménal. Alors que je prend ma douche, je rince le linge que je viens de laver, et qui séchera bientôt au dessus de mon lit, brassé par l'air du ventilateur suspendu au plafond. C'est dans cet état d'harmonie totale avec mon environnement, que je me ballade au hasard des rues. Je m'arrête manger à un stand où je semble être le seul à vouloir m'arrêter. Je désire qu'une seule chose, et cette chose est de savourer ces instants délicats. Chez nous, nous courons sans cesse après le temps. Ici, je peux le laisser fuir. Il n'a pas de prix, et les secondes qui s'égrènent comme les grains de sable dans un sablier, sont autant de magnifiques moments à jamais présents. Parce que le temps est éphémère et que nous avons le temps de lui accorder du temps, les réjouissances qu'il nous offre dans la délicatesse de son touché, sont une réponse à l'extrême pauvreté qui sévit. C'est ainsi que je m'immisce dans un café, autour d'un verre, écouter les jeunes du sud chanter leur existence, au cours d'une soirée karaoké.

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Jour 27 :
  Mon lit est vraiment très mou, et je suis réveillé aux aurores. A 10 heures, après avoir acheté du pain chaud et des crêpes sur le marché, je rejoins l'office du tourisme où Tao, ma guide, est déjà présente. Nous embarquons un bateau venu nous chercher, avec à son bord le conducteur et son fils d'une dizaine d'année. Sur l'île de Binh, nous nous arrêtons manger quelques fruits exotiques et écouter de brefs morceaux de chants et musiques traditionnelles, puis nous marchons jusqu'au jardin de fruits. Je déambule dans les alentours à la découverte des nombreux sentiers qui sillonnent. Après avoir dégusté un poisson aux oreilles d'éléphant, spécialité de la région, nous repartons le long des canaux rejoindre la maison d'une famille. C'est une maison traditionnelle, aux portes en bois, sol de terre, et plafonds très élevés. Je salue le père, ainsi que le grand père. Sous ce toit, vivent communément trois générations. Il est difficile de communiquer lorsque nous avons que les gestes pour s'exprimer. Aussi je consomme mon thé sans ne rien dire, seulement en profitant de la chaleur de la boisson et des lieux. Je peux bientôt faire la conversation avec un des fils qui poursuit des études en anglais afin de devenir enseignant. Lorsque je marche sur les chemins des berges, je m'imagine remonter le Mékong à bord d'une pirogue. Est-ce un hommage que je désire rendre à l'explorateur français Mouhot, qui a remonté les courants, il y a un siècle, à la découverte de 
l'Indochine, et qui a révélé à l'occident certaines richesses formidables de l'Asie ? Peut être simplement je désirerais être cet aventurier…Cette projection me donne des ailes et me nourrit d'idées que je saurai, lorsque l'heure sera venue, mettre à profit. Il faut dire que l'atmosphère que dégage le décors aspirent à une réelle l'évasion. Ici ou là, un pont de singe ou une passerelle enjambe un canal pour atteindre l'autre rive. Tout au cœur de l'île, les habitants vivent en harmonie avec cet élément non maîtrisable qu'est l'eau, au rythme des moussons et des périodes de sécheresse.
  Vers 19 heures je m'installe avec Tao sur la terrasse de la maison, autour d'une table ornée de plats magnifiquement décorés. Je trinque avec le grand père qui m'abreuve d'un alcool inconnu dont je prend le temps d'humer les saveurs. Les rouleaux de printemps ou les écrevisses sont succulents et je m'en remplis dignement l'estomac, faisant honneur à la cuisinière. Sous ses airs de maison de la jungle, avec ses hamacs et le sifflement des insectes, alors que la pluie redouble, je suis bien loin de l'Europe. Peut être même je ne suis plus au Vietnam. Nous attrapons un fou rire irrésistible à cause de nos différents de prononciation qui nous donne souvent des difficultés de compréhension. Je reste encore un long moment, assis dans la quasi obscurité d'une nuit noire, à m'imprégner de l'ambiance et à savourer la plénitude.

Jour 28 :
  La nuit dans mon petit lit enveloppé d'une moustiquaire a été bonne. Malgré les précautions, des moustiques ont réussi à pénétrer par quelques ouvertures mal calfeutrées de mon garde du corps en toile. J'ai les pieds recouverts de piqûres. Pour autant je ne m'inquiète pas. Les moustiques de cette partie du delta ne sont pas connus comme vecteurs du paludisme. Je prends mon petit déjeuner devant la maison. Longuement je bois mon thé, laissant glisser les instants savoureux qui enveloppent l'atmosphère du delta. Devant cette grande demeure perdue dans les recoins de l'île, les bateaux ronflent déjà, en remontant quelque marchandise à bord. Le chant des oiseaux dans les cages suspendues, les arbres et la mangrove qui camouflent et protègent la maison ajoutent au tableau un caractère sauvage. Quel aventurier n'a pas pénétré des régions reculées, à la recherche d'un trésor mystique ? Peut être alors suis-je moi-même un aventurier, et que le trésor s'est enfin dévoilé dans la tourmente d'un bout d'île, où splendeur, délicatesse et sérénité glissent vers l'imaginaire comme une embarcation sur les eaux brunes du Mékong…Je reste contemplatif, évasif, mais bien dans le présent dont je me nourrit. Voilà Tao qui me rejoint, puis les grands parents. Je les salue, et monte à bord de mon bateau accosté sur les bords du sentier, face à la maison.
  Dans la " nurserie  des arbres ", où les locaux viennent acheter les arbres fruitiers, je fais la découverte de nouveaux que je n'avais pas eu l'occasion de goûter. Nous rejoignons ensuite Vinh Lon, et je dis au revoir à Tao. Une moto taxi m'emmène jusqu'à la gare de bus, où un Vietnamien vient faire la conversation.
  En début d'après midi, je retrouve la capitale. C'est au musée Ho Chi Minh que je débute ma reconnaissance de la ville. Je reconstitue dans ce musée, à travers plusieurs expositions, quelques étapes de l'histoire de Saigon. Je me balade dans les ruelles, et découvre de grands immeubles et des quartiers qui mettent en valeur le développement économique de la capitale. Le soir, sur l'espace vert face à mon hôtel, j'observe les gens faire des assouplissements. Le vent apporte de a fraicheur.

Plus de photos du delta du Mekong

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Vietnam

Chapitre11: Saigon

Jour 29 :
  Le réveil est aujourd'hui, comme à l'accoutumé depuis que je suis au Vietnam, très matinal. Je me rends au palais de la réunification. C'est un grand bâtiment, relativement récent, avec des halls immenses. C'est ici que le 30 avril 1975 les forces du vietminh pénètrent et signent la chute de la République du Vietnam. Les chars renversent et franchissent le portail. Un officier se hisse au quatrième étage, et plante le drapeau communiste. Plus qu'un symbole, ce palais est une cassure dans la ligne du temps, une transition dans l'histoire du Vietnam. Comme pour donner un dernier regard sur ces années qui viennent de s'achever suite à la prise de Saigon, je parcours les salles du " musée des souvenirs de la guerre ". Des photos légendées par des soldats témoins, illustrent les pires horreurs. Scènes de tueries infâmes, déformations d'enfants dues aux agents orange ou phosphore employés sauvagement par les américains. Des corps torturés, des visages sanglants, des cœurs meurtris…témoignages poignants des atrocités endurées.
  Cette ville est la ville des contrastes. Derrière l'apparent confort de vie, les lumières des hôtels et les magasins de luxe, se réfugie la constante pauvreté du pays. Etonnant paradoxe, dérangeant. Un grand magasin de vêtements ouvre ses portes jusque tard le soir, affichant des vendeurs en tenue soignée, à tous les rayons. Devant la grande porte vitrée, attendent les
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motos taxis…Les restaurants et cafés bombardent leurs musiques, sous des éclairages tamisés. Les cuisines ambulantes déambulent le long des trottoirs. Un gamin me propose des tickets de loto, comme on en voit à tous les coins de rues. Je lui fais signe que non, et lui tend une gaufre que je tiens dans un sachet. En une fraction de seconde, son visage s'éclaire. Il semble totalement surpris par ce que je lui offre. Il regarde une petite copine avec laquelle il vend les billets de loto. Il à l'air de ne pas croire à ce qu'il voit. Je lui propose une gaufre, et j'ai l'impression de lui offrir la lune. Un geste si simple, si infime, si insignifiant pour rendre un gosse heureux. Toute la journée, je reverrai l'expression de son visage dans mes pensées. Ce sont ces échanges éphémères qui marqueront à jamais ma conscience. Ce sont ces mêmes instants qui martèleront ma tête lorsque le souci du quotidien viendra tenter de me voler ma raison d'être. Si je devais ne garder qu'une raison valable pour justifier ma présence ici, ne serait-ce pas celle-ci ? Quand on tente de combler un enfant, que désire t'il ? Il désire plus, toujours plus…et notre société de consommation est fondée sur le principe du bon vouloir. Lorsque je possède, alors je souhaite posséder plus, sans que cela apporte un sentiment de satisfaction. Dans certain pays, posséder est un signe de richesse. Mais on en oublie le sens et la valeur des choses. Dois-je avoir pour exister aux yeux des autres ? Dois-je avoir ou être pour exister à mes propres yeux? Ces gamins des rues ne se posent pas la question. Ils n'ont rien, et lorsqu'on leur tend un petit rien, cela suffit à faire d'eux des personnes comblées, reconnaissantes. Alors tout simplement prenons exemple sur eux, car ils ont bien des choses à nous apprendre.
  Dans le parc en face de l'hôtel, je suis toujours le même observateur ébahi devant cette manière qu'ont les gens de mettre leur corps en éveil. Je croise des femmes à la démarche curieuse. Allongé sur un banc, un vieil homme effectue des mouvements étranges. Ici ou là, tenus à une support ou tout simplement dans les allées du parc, des bras, des pieds ou des bassins se balancent.
  Je fais le tour du quartier et achète mon repas du soir, en faisant des haltes à plusieurs stands de nourriture. Assis sur une murette, je bois une canette de coca, attendant je ne sais trop quoi.
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Je veux profiter des dernières bouffées de Saigon. Un homme à moto s'arrête. Il parle français. Outre un tour dans la ville, il me propose de m'amuser un peu avec des filles. Il vient s'asseoir à côté de moi. Je le laisse s'approcher. Il me parle du système que j'ai compris depuis bien longtemps. Aujourd'hui personne ne veut monter avec lui. C'est une mauvaise journée. Il m'apprend que la moto n'est pas à lui. Comme beaucoup d'autres, il doit la louer à la journée car en posséder une est trop onéreux. Lorsque la journée est bonne, il peut compter gagner 6 à 7 dollars, auquel il doit en enlever 2 pour la location. Rabattre des touristes vers des filles est un bon moyen honnête d'espérer gagner un peu plus pour nourrir ses cinq enfants. Il me raconte qu'il a suivi sa scolarité à l'école française. Il a des diplômes, parle Anglais, et Français couramment, et aurait pu devenir guide. Mais il est né du mauvais côté...pas celui des communistes. Depuis trente le pays est réunifié. Depuis trente ans le système en place protège les anciens communistes. Ils ont droit à une retraite, un travail, un logement. Ceux qui se sont heurté au régime n'ont droit à rien. Alors ils tentent de s'en sortir par tous les moyens qu'ils possèdent. La police est corrompue. Récemment le général des armées a été condamné pour complot avec la mafia. Le fils de l'homme auquel je parle a été emprisonné quatre ans pour trafic de drogue pendant que son père s'est absenté quelques mois pour le tournage d'" horizons lointains ", un téléfilm français tourné à Hué. Il doit donner régulièrement de l'argent
pour qu'il ne subisse pas les pires traitements. Sur ce récit simplifié de sa vie, il remonte sur sa moto. Avant qu'il ne parte, je lui glisse un billet dans la main, avec lequel il pourra s'acheter un paquet de cigarettes. Il les achète d'ordinaire à l'unité pour ne pas dépenser trop. Il me remercie de ma générosité puis disparaît dans la lueur des éclairages. Je reste pensif. Que signifie la liberté pour ces gens là ? Y a-t-il une justice égalitaire pour tous les hommes dans ce monde ? Certainement pas…Des questions sans réponses fusent dans mon esprit. Autant d'interrogations qui m'interdisent de crier ce que je ne suis pas.

Jour 30 :
  Je fais une dernière fois le tour du quartier, tentant d'immortaliser quelques clichés. J'éprouve, à chaque refus adressé dans les rues, de plus en plus de confusion lorsque je croise le regard de ces hommes assis sur la selle de leur moto, ou debout sur leur vélo en train de tirer une carriole. Finalement je quitte Saigon pour l'aéroport que je gagne en mototaxi. Je sais que le voyage s'achève ici. Dans l'avion, des images de la veille surgissent déjà. J'ai mis un mois à parcourir l'étendue du pays du nord vers le sud. Je mettrai une heure pour retrouver Hanoi. De retour dans le centre, je ne suis plus le spectateur du début de voyage. Je connais suffisamment la ville pour me diriger facilement. Je prends une chambre à l'hôtel que je connais bien, et où tout le monde me salue. Cet après-midi est consacré aux achats que je ramènerai en France, et dont la seule présence me racontera par bribe des souvenirs ineffaçables. Je profite des dernières heures dans la moiteur du nord.

Jour 31 :
  Est-ce à cause de la chaleur ou du ventilateur bruyant qui tourne au dessus de ma tête ? Ou bien encore est-ce la pensée à la dernière nuit? Certainement les trois, toujours est-il que je dors très peu. Peut être que je veux vivre pleinement les dernières heures. Lorsque ma montre sonne, je me lève. Je fais mon sac, et par marcher dans les rues, une dernière fois, ressentir l'atmosphère qui règne tôt dans le centre d'Hanoi. La moiteur de la chaleur humide n'est pas encore présente. Je regarde les gens déjeuner sur les trottoirs, les femmes qui commencent a défiler dans les rues, palanche à l'épaule, pour débuter le quotidien de leur travail. Je reste prostré à regarder devant moi et je sens une vague de nostalgie me pénétrer. C'est l'heure de partir. Mon chauffeur m'attend pour m'emmener à la station de bus. Je lui demande encore quelques minutes car je désire prendre une ultime photo pour figer cette ambiance. Il me faut trois quarts d'heure de bus pour retrouver l'aéroport sur lequel j'ai atterri la veille. Dans les boutiques du " duty free ", je constate avec étonnement le prix décuplé d'un alcool de riz, par rapport à sa réelle valeur sur les marchés. Je réalise alors que je viens un univers, un monde où la réalité est différente, presque irréelle. Tout va très vite. Je quitte le sol, le pays, le continent.
  Mais quel est donc ce pays où les gens parlent tous ma langue maternelle, où les voitures circulent toutes sur une même ligne ordonnée ?  Ca y est, je reconnais. Je suis de retour dans mon quotidien, chez moi, en France. Bienvenu au 21ième siècle…

Plus de photos de Saigon

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Vietnam

Conclusion

  Trente jours pour esquisser l'histoire d'un pays. Trente jours pour effleurer son système politique. Trente jours pour s'imprégner de sa culture. Trente jours, c'est beaucoup et c'est peu. Trente jours, c'est peu et c'est beaucoup. Le Vietnam est un pays allongé qui s'étire sur plus de 2500km, le long de la mer de Chine. Il est si étendu qu'il offre une diversité naturelle très étendue. La baie d'Along est certainement le lieu le plus poétique que j'y ai découvert. Les plateaux du centre, la région la plus isolée, avec des plantations à l'infini. Les montagnes du nord ont répondu à mon désir de liberté, d'évasion, avec des paysages splendides et une sensation d'être voué aux caprices de la nature. La côte a semblé un joyau sorti de son écrin. Mais, tourmenté dans la multiplicité des paysages, la plus belle chose que j'ai eu le bonheur de croiser se trouve bien loin de la quête de l'originel. Parfois il m'aura suffit de sortir des sentiers battu, parfois seulement m'y mêler, pour surprendre l'authenticité d'une présence. Je n'oublierai pas le sourire des hommes, des femmes. Encore moins celui des enfants. Du nord jusqu'au sud, j'ai descendu le pays pour remonter son histoire. Des montagnes du nord jusqu'au delta du Mékong, chaque rencontre aura été un instant privilégié, un moment de vérité, pour que chaque jour qui s'écoule sur le fleuve de la vie me donne la force de penser à ce que nous sommes. De ces instants fragiles, je retiendrai la profondeur des émotions, la volonté d'exister. Je retiendrai la sincérité d'un geste, la réalité d'une attention. Faut-il côtoyer la vraie misère pour réfuter la notre ? Non, s'il s'agit de faire du voyeurisme, et de nourrir la différence. Mais il faut certainement la côtoyer pour mieux l'appréhender. Si chacun de nous, avec ses facultés, ses forces et ses faiblesses pouvait donner une part de sa richesse extérieure en échange de richesse intérieure, est-ce que nous ne nous éblouirions pas de la même intensité? Où le risque est trop grand de sacrifier son autosatisfaction à regarder la misère perdurer ? J'ai croisé tant de feu dans des âmes qui brûlent sur un foyer de glace. J'ai reçu tant de ceux qui n'ont rien a donner que jamais plus je ne pourrai m'endormir sans remercier ceux qui m'ont offert ce privilège. Il n'y a peut être une âme qui vit sans cœur qui bat. Mais il n'y a pas de cœur qui respire sans la vie qui exhale. Derrière le combat de chaque jour, et la difficulté de ne plus être assujetti, le partage et la communion donnent la force d'exister. Faut-il être riche pour être heureux ? Peut-on être heureux si l'on est seul ? Oui, bien plus qu'un voyage d'une autre époque, bien plus qu'une traversée en solitaire, au-delà d'un simple regard amoindri, le Vietnam aura su m'initier à un second voyage intérieur. Il est  un des pays les plus pauvres d'Asie. Pourtant face à notre machinisme occidental et son inhumanisme récurent, il est certains mots qui n'ont pas la même signification. Décalage culturel, décalage économique, certes. Mais aussi décalage dans la perception de la réalité. Ce qui apparaît ici comme légitime, ressort là-bas comme dérisoire. Notre lutte n'est pas la même. Leur combat est un combat pour le salut. Le notre pour l'accession au pouvoir. Regardons ce que nous sommes, et cherchons le vrai sens de l'humanité. Leur pauvreté apparaît soudain bien plus belle que notre richesse. Au nom de l'amour, au nom de la vie, au plus profond de mes ressentis et à jamais inscrit dans les méandres de la vie, je remercie ce pays, et je remercie son peuple de m'avoir fait partager son quotidien, et appris la reconnaissance de soi. Je le remercie encore de m'avoir ouvert à de plus amples réflexions sur la condition de l'homme, et à sa quête existentielle après laquelle il court sans relâche.       
Vietnam


Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeuxMarcel Proust