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Carte Equateur

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Carte des îles Galapagos

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Sommaire

 
Introduction
Première partie: Quito Otovalo
          Quito
          Les marchés d'Otovalo
Deuxième partie: L'Amazonie
          Bataburo
          La Selva
Troisième partie: L'avenue des volcans
          Vers Banos
          Retrouvailles à Vilcabamba...Podocarpus
          Cuenca
          Le Chimborazo
          La lagune de Quilotoa
          Le Cotopaxi
Quatrième partie: Les îles Galapagos
          De San Cristobal à Santa Cruz
          Oh Gaby!
          Rabida, North Seymour et les autres...
Conclusion

Introduction

Les années se succèdent, les voyagent se poursuivent…Il y a pourtant un continent sur lequel je n'ai à ce jour pas encore posé les pieds : l'Amérique. Une évidence qui apparaît sans susciter de questions est que cet immense territoire sera cette année la source d'inspiration de mon prochain périple. Je ne retiendrai, avec une logique implacable, que les pays d'Amérique du sud sur la longue la liste des pays potentiels. Comment déterminer une destination privilégiée sur un territoire aussi vaste ? Tant de territoires aussi multiples que variés se proposent comme terrain de découverte. Pourtant rapidement, c'est sur l'Equateur que ma loupe de voyageur se concentrera. C'est un petit pays, grand comme la moitié de la France, qui apparaît comme étant un bon condensé du continent, tant d'un point de vue culturel que sur l'aspect naturel. A échelle raisonnable, il sera donc possible de côtoyer des zones fondamentalement différentes, tout en gardant un accès relativement aisé.
  Ainsi mon voyage s'articulera en trois chapitres. Le premier permettra d'accéder à l'univers impitoyable que représente l'Amazonie. Dans une zone reculée de la Selva, il me sera donné d'apprendre un peu du quotidien de ces peuples aux allures parfois primitives qui habitent les berges du fleuve Amazone et de ses affluents. Dans ce monde inhospitalier pour l'homme contemporain, je découvrirai la richesse d'une culture vouée aux lois de la nature, et avec laquelle les indiens entretiennent un contact étroit. La faune et la flore, de ce milieu qui fait peur autant qu'il attire, se dévoileront d'une grande variété, et leur application dans le quotidien des hommes un symbole d'harmonie.
  Dans un deuxième temps, je remonterai la cordillère des Andes, du sud vers le nord, en longeant la célèbre avenue des volcans. De Vilcabamba, la ville de l'éternelle jeunesse, jusqu'à Otavalo, et ses marchés hauts en couleurs, à la réputation continentale, je franchirai quelques uns des plus hauts cols du pays. En traversant le pays, il me sera donnée de faire revivre à travers leur mémoire, l'histoire de certains prestigieux scientifiques français, missionnée au dix huitième siècle par l'académie des sciences. Humboldt, la Condamine, Siniergues sont quelques uns des noms qui ont marqué l'histoire et leur passage, signant des aventures extraordinaires à travers les andes équatoriennes. Des versants du Chimborazo, à la lagune de Quilotoa, un ancien volcan éteint,  jusqu'au sommet du Cotopaxi, le plus haut volcan actif du monde, je vais découvrir de nouvelles échelles d'altitudes pour me hisser au final de ma course jusqu'au ce qui représentera à ce jour un record personnel.     
  Enfin, le dernier volet permettra de découvrir l'archipel des Galapagos, en livrant un contact unique et privilégié à la nature, et à ce qu'elle présente de plus émouvant. En parcourant durant plusieurs jours, à bord d'un bateau, quelques unes des principales îles, ces morceaux de terres émergées se révèleront être un univers à part entière. Il s'agit également d'une référence historique qu'aura marqué le passage de Charles Darwin, et l'élaboration de " l'évolution des espèces ". Au cœur de ces îles magnifiques et différentes, à la richesse naturelle insoupçonnable, il me sera possible de m'immiscer dans le sein de la vie animale.
  Trois histoires, trois chapitres pour découvrir trois aspects de ce pays, petit certes, mais assurément plein de surprises. C'est un voyage à la thématique très nature qui s'ouvre dès à présent…
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Première partie: Quito-Otovalo

Quito

Jour1:
  Longtemps nous survolons les nuages illuminés par un soleil rayonnant qui flirte avec l'aile de l'avion. J'observe à travers le hublot la mer cotonneuse qui s'étend sur notre horizon. Nous entamons une lente descente, transperçant les couches épaisses de ouate immatérielle. A la clarté du soleil rasant, nous distinguons des reflets de braise dans les déchirures des nappes de nuages. Ce sont de multiples fourneaux qui réchauffent l'âtre blanchâtre. Rapidement nous sombrons dans l'obscurité profonde et inquiétante. La dernière barrière franchit permet soudainement, à très basse altitude, de découvrir les lumières de la ville. Enfin, Quito, la capitale que nous convoitons depuis le début de notre vol, se dévoile. Mais pour toucher son sol, il faut encore jouer de quelques acrobaties aériennes. L'aéroport est quasiment planté en ville, entourée de montagnes. Pour approcher la piste d'atterrissage, le pilote exécute un contournement de la ville. Dans cette manœuvre, l'avion relève son flanc droit d'une inclinaison inquiétante, pour atteindre la piste dans un couloir serré. A 2800m d'altitude, Quito est la deuxième capitale la plus élevée du monde après La Paz. La descente est très rapide. L'avion fait quelques ruades dans les airs. Nous retenons notre souffle. Le cœur s'accélère. L'adrénaline monte. En quelques secondes le train d'atterrissage touche le tarmac, sous un
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concert d'applaudissement des passagers. Le Pinchincha, coiffé par la brume, veille sur nous.
  A 19 heures il persiste un air sec et une température très agréable. Cela nous surprend un peu étant donnée l'altitude à laquelle nous sommes. Tandis que Nicolas, Vince et moi-même nous faisons conduire par un taxi à notre hôtel, l'Auberge Inn,  je constate avec étonnement que, malgré un respect aléatoire des feux de signalisation, la conduite est relativement organisée et ordonnée.  Fatigués, nous nous couchons sans manger vers 21 heures.

Jour 2 :
  Malgré des conditions idéales de sommeil dans un hôtel bien emménagé, nous sommes tous les trois réveillés vers 4h30 du matin. C'est au décalage horaire qu'il faut attribuer la cause de cette courte nuit. Il faut dire qu'avec les 7 heures en moins, il est 11h30 pour nos organismes. La matinée est consacrée à la rencontre des agences afin de comparer les prestations pour différents tours, qu'il s'agisse de l'Amazonie ou des Galápagos. Ces périodes conditionnent le reste du voyage qui s'articule autour de ces impératifs de date. Dans l'après midi nous allons nous promener dans les quartiers du Quito moderne puis du Quito colonial. Bien que la température, de l'ordre de 15 degrés Celsius, soit clémente, le soleil frappe fort lorsque les nuages le laissent percer. Si l'altitude à très certainement un rôle à jouer, il ne faut pas oublier la situation géographique particulière de l'équateur. Des quartiers que nous côtoyons, le plus intéressant est le vieux quartier colonial. Lorsqu'au dix huitième siècle les espagnols atteignent les côtes de l'Amérique du sud, sous les commandements de Pizarro, ils mettront fin à l'empire Inca. Désormais l'Equateur devient un colon espagnol. De nombreuses églises ainsi que des monastères se dressent dans les dédales des longues rues, révélant par là même l'attachement du pays à la religion. Sur la place de l'indépendance, le palais du gouvernement est surveillé par deux gardes. C'est un bâtiment peu imposant, paré d'une jolie balustrade en fer forgé provenant du palais des Tuileries. Des rues pentues sillonnent le quartier, sur un flanc de colline.
  Lorsque le soir nous rentrons d'un restaurant où nous venons de manger une mérienda, dans les rues sombres du quartier moderne, quelques enfants tentent de nous apitoyer avec des bonbons à vendre. Alors que Vincent et Nicolas sont quelques mètres devant moi, un enfant s'approche de moi, puis un second. En quelques secondes ce ne sont pas moins de six ou sept gamins de cinq ou six ans qui m'encerclent, et s'accrochent à moi pour quémander quelques dollars. Je tente de les écarter de la main. Ils me bousculent en criant d'un ton uniforme. Lorsque je réussis à m'extraire enfin de la masse, je constate que mes poches sont ouvertes. Dans la bousculade, ils en ont profité pour me voler les seuls dix dollars que je portais sur moi. Cette leçon de la journée impose de se méfier de tout le monde dès lors qu'on s'éloigne des sentiers balisés. En réalité, dès l'obscurité tombée, il faut être très vigilent dans cette ville où de nombreuses places sont mal famées, et où nous avons jusqu'ici rencontré que très peu d'étrangers.



Jour 3 :
  C'est encore une matinée en quête d'agences, pendant laquelle nous parcourons la nouvelle ville. Nous découvrons certains quartiers qui étaient passé inaperçus la veille. Le musée de l'Amazonie prépare mon entrée imminente dans ce monde inhospitalier, chargé de mystère et d'appréhension. Il présente les différents aspects d'une culture riche et passionnante. De la fabrication d'outils et objets usuels, aux instruments de musique, nous apprenons la diversité que représente leur art dont les matières premières se résument à ce qu'offre la forêt. On apprend l'existence et l'identité d'une multitude de communautés qui peuplent la Selva, l'Amazonie équatorienne. Sur une étagère est exposée une tête humaine réduite réalisée par les Chuar. On l'appelle encore tsanta. Cette pratique mondialement reconnue, consistait à réduire la tête d'individus de communautés rivales, à la simple taille d'une balle de tennis. La technique est explicitée, mais n'est plus à ce jour utilisée depuis une ou deux générations. La faune est aussi représentée. Parmi les animaux mythiques, on découvre un condor des Andes qui retiendra particulièrement notre attention. Fabuleux animal emblématique de toute une civilisation, le spécimen exposé atteint trois mètres d'envergure. Le caïman, le jaguar ou l'anaconda, habitants de la jungle, sont aussi réunis dans un décor amazonien. Intéressant mais on l'aurait plus apprécié après le séjour en jungle
  Dans le Quito colonial, nous sommes étonnés par la Merced. Il s'agit d'une église dont la nef et les colonnes sont recouvertes de stucs blancs, comme autant de pâtisseries meringuées.
  Dans un petit restaurant, dans un quartier sombre proche de notre hôtel, nous avons une longue discussion sur le voyage, l'aventure et les sentiments de ce début de séjour. Nicolas et moi ne sommes pas très enthousiastes. Nous ne trouvons en ces premiers instants, ni le charme de l'Asie, ni celle du voyage en solitaire.

Photos Quito

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Les marchés d'Otovalo

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Jour 4 :
    Nous prenons de bonne heure le bus pour Otavalo. Le centre de Quito qui paraissait restreint à quelques quartiers, se dévoile sous un autre aspect. En empruntant la route du nord, c'est une ville étendue qui déroule des kilomètres et des kilomètres d'habitations où vit la réelle pauvreté du pays, et que nous découvrons. Sur le trajet se dévoile une montagne surdimensionnée au cône supérieur recouvert d'une chapelure de neige. A plus de 75 kilomètres surgit le sommet du Cotopaxi.
  Nous arrivons à Otavalo après deux heures de route, où se tient un des plus fameux  marchés d'Equateur. C'est également un des plus réputés d'Amérique du sud. Nous sommes accueillis par un marché aux animaux. Peu impressionnant par ses dimensions, les gens y emmènent pour l'essentiel des cochons destinés à la vente. Nous nous égarons dans les rues qui quadrillent la ville. Ici le marché aux fruits, là celui aux textiles. L'artisanat local de la communauté indienne de la région étale sa variété haute en couleur. Les échanges avec les commerçants sont des moments de partage. Souriant, et jamais agressifs, ils entament les négociations en nous dictant un prix de référence, puis en nous demandant le notre. Nous passons de longs moments sur les étalages, à démarcher et surtout échanger avec humour, 
bonne humeur et sympathie. Le riche mélange des couleurs, les costumes superbes portés par les indiens Otavalo, sont associé à une atmosphère joviale empli d'exotisme, et aspirent,  dans un cadre montagneux, à la gaîté et au bien être.
  Alors que nous marchons dans l'une des nombreuses ruelles du marché, Nicolas se retrouve face à face avec Carolina, une Argentaine rencontrée un an et demi auparavant, à Bariloché, lors d'un précédent voyage en Patagonie. C'est une coïncidence incroyable car  tellement improbable ! Depuis cette première rencontre, elle remonte l'Amérique du sud, en vivant de boulots sur les marchés des villes qu'elle traverse. Elle nous présente à une amie qu'elle a rencontrée quelques jours avant notre arrivée, sur les marchés d'Otavalo. Cette dernière m'explique son travail  de céramiste. Elle fabrique sur l'étalage, à même le sol, ses bijoux en céramique et banbous. C'une une vie de bohème pour ces filles que la providence a mise sur notre parcours. Nicolas est ébahi, et nous le sommes presque autant, devant l'improbabilité de la rencontre. Plus tard, nous nous embrassons lorsque nous nous apprêtons à quitter la ville. Carolina, dans quelques jours, reprendra également sa route, toujours plus vers le nord, pour la Colombie. Deux jours après notre arrivée, nous entrons enfin dans la réalité du quotidien, dans l'univers de la rencontre et de l'imprévu. Les instants partagés nous apportent un semblant de vérité, un élément de connaissance. Le voyage prend un autre visage.

Photos Otovalo

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Deuxième partie: L'Amazonie

Bataburo lodge

Jour 5 :
  Ce matin je quitte Vincent et Nicolas. Ils prennent la direction de l'aéroport pour s'envoler vers les îles Galapagos. Je m'apprête quand à moi à descendre vers le bassin amazonien. A la recherche d'un bus pour la gare routière, une jeune fille à qui je demande des renseignements m'accompagne sur le trottoir d'en face et attend pour moi un bus qui desserve ma destination. Elle arrête celui qui lui semble le bon, et demande confirmation au chauffeur. Après avoir passé un petit moment en ma compagnie et rendu un généreux service, elle me laisse poursuivre ma route, et regagne la sienne. Je ne possède pas de monnaie pour payer le trajet. Le chauffeur me conduit et me dépose à l'angle supérieur de la gare routière, gracieusement. Ces échanges serviables et désintéressés me font débuter la longue journée qui s'annonce,
un bon entrain. Commence alors un périple de neuf heures sur des routes pas toujours asphaltées. Certains tronçons sont de vulgaires pistes de terres battues. A la sortie de Quito, le paysage prend des allures de Highland écossais, avec des sommets pelés, bruns, entre lesquels serpente une route qui cherche son chemin. Nous grimpons toujours. La condensation se forme sur les vitres. La brume s'épaissit lentement. La température décroît  progressivement mais de façon très sensible. Enfin nous atteignons les termes de Papallacta, à 3000m d'altitude.
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Le col franchit, nous entamons maintenant la longue descente vers l'Amazonie. La végétation change, devient plus luxuriante. Nous dominons la forêt, et nous nous enfonçons avec les heures dans l'humidité de son souffle. En milieu d'après midi le bus arrive à Coca, point final de ma destination de transit, où je dois passer la nuit avant de poursuivre la descente vers le sud, jusqu'à Bataburo. Le climat n'est plus celui de la capitale. Il fait chaud en cette journée, mais l'air est relativement sec. Je sillonne les rues de la ville. Officiellement, elle est appelée Francisco de Orellana, en référence à cet espagnol passé en ces lieux en 1542, premier européen à descendre l'amazone. Pour tout le monde, c'est tout simplement Coca. Sa principale raison d'exister est le développement de l'industrie pétrolière dans les années 1970. C'est une chambre misérable, insalubre que je loue ce soir. Un cube de 2.5 mètre sur 2.5 mètre, aux murs de bois, à l'intérieure de laquelle règne une humidité et une odeur de renfermé, presque indigne. Peut être faut-il voir un symbole de vétusté, semblable aux campements des découvreurs qui ont marqué leur passage ici, à l'époque où ils disposaient à peine d'un confort minimum, dans une région difficile. Il fait chaud dans cette petite chambre. Le ventilateur du plafond ne fonctionne plus. Le seul drap qui recouvre le lit est lavé mais taché. Je laisse la fenêtre ouverte à cause de la chaleur et de l'odeur. La musique fait rage en dessous. La lumière du lampadaire entretient la clarté. J'espère que les moustiques ne frapperont pas ce soir…

Jour 6 :
  J'ai rendez vous devant l'hôtel Auca à neuf heures. A 9h40, je n'ai toujours aucun signe de la part de mon guide. Je commence réellement à m'inquiéter et à me demander si je ne me suis pas fait embobiner. Je tente de me renseigner auprès de la réception qui contacte l'agence à Quito, puis les intermédiaires à Coca. Enfin vers 10h10, avec plus d'une heure de retard, une voiture apparaît devant l'hôtel. Un individu semblant me connaître en sort, et me salue convivialement. Je lui raconte mon attente. Il m'explique qu'il vient à l'instant de récupérer un couple de danois arrivés à l'aéroport, en provenance de Quito, et qui siège à l'arrière du véhicule. C'est l'illustration même qu'en Equateur, comme un peu partout en Amérique du sud, les horaires annoncés font souvent office de point de repère. Il  ne faut s'y fier qu'à titre indicatif. L'air jovial de l'individu me calme instantanément. Je monte dans la voiture. Nous nous arrêtons en ville, acheter le petit matériel manquant. La personne qui nous a pris en charge, le couple de danois et moi-même, nous laisse en compagnie du chauffeur. Pendant deux heures et demie le 4*4 bien équipé roule et rebondit sur une piste caillouteuse. Nous arrivons sur les berges de la rivière Tiguini, où le canot à moteur est déjà amarré. C'est l'heure de prendre un petit lunch rapide. Sur l'accès de notre embarcadère, un indien Huaorani se poste, vêtu d'un simple cache sexe, le teint très mate, et les lobes des oreilles découpés puis élargis par des prothèses successives de plus en plus grandes. A partir d'ici, nous pénétrons sur le territoire de cette tribu. Nous embarquons sur le canot, poursuivant notre itinéraire, nous enfonçant dans les méandres de la Selva. Quelques oiseaux tropicaux, ainsi que de magnifiques papillons égaillent  notre lente traversée. De temps en temps, une tortue d'eau allongée sur des rochers plonge au bruit de notre passage. Après trois heures de navigation, voici enfin le lodge de Bataburo qui se dévoile et se dresse à la sortie d'un virage. Le campement est au milieu de la forêt, au milieu de la vie animale, au contact de plus étroit qu'il soit avec une nature sauvage. Nous sommes accueillis par notre guide bilingue. Le lieu est composé d'un premier lodge comprenant une dizaine de chambres. Une passerelle mène à une pièce commune, ouverte mais également couverte. A sa gauche un second lodge comprenant une seule chambre. Sur la droite, la cuisine ainsi qu'un bar. C'est ici que nous prendrons les repas en commun. Tout a été réalisé avec les matières premières disponibles dans la forêt. Les constructions sont en bois exotiques, les toits couverts de palmes, ou autres feuilles qui garantissent une isolation totale de la pluie. Je prend possession de ma chambre, puis me relaxe sur un des hamacs de la pièce commune.
  Avant de manger, je suis un groupe de quelques personnes, qui s'apprête à terminer son séjour en Amazonie, pour une marche nocturne dans la jungle. Pour ma première immersion dans ce milieu à priori hostile, je reçois les recommandations nécessaires de mon guide. Parmi celles-ci, de ne pas m'éloigner du groupe, ou encore de ne pas poser les mains sans prendre la précaution de regarder. A la recherche d'insectes, dont la majorité est nocturne, nous observons une araignée scorpion ou encore un serpent enroulé sur un arbre, qui nous scrute d'un air agressif. Plusieurs espèces apparaissent, dont phasmes ou une araignée dont l'aspect est plus proche d'une langouste. En nous plongeant dans l'obscurité totale, nous écoutons avec forte impression le vacarme de l'activité nocturne de la forêt.
  Tandis que nous prenons notre premier repas du soir, une araignée de la taille de ma main apparaît sur les grilles qui bordent le comptoir de la cuisine. C'est une rencontre appropriée, dans un  univers propice. Elle fait partie du décor, et nous sommes les intrus. Si nous voyions cette bestiole dans notre environnement, celui choquerait et provoquerait à coup sur quelques réactions à la fois de peur et malintentionnée. Ici notre convive n'est pas une surprise…je préfère dire que nous l'attendions. A quelques pas de la table où nous mangeons, au bord de la lagune, les caïmans curieux et affames, montrent leur gueule…
  A 22h chacun à rejoins sa chambre. Le ronronnement du groupe électrogène cesse. Notre habitat se retrouve plongé dans la nuit noire et profonde, voué à l'agitation nocturne d'une vie abondante. Désormais chaque déplacement doit se faire à la lampe d'une torche. Il n'y a pas d'électricité dans ce milieu reculé. Les petits déplacements pour rejoindre les toilettes se font en balayant le sol d'un faisceau rapide, afin d'éviter de  poser le pied sur une éventuel corps animal étranger.
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La selva

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Jour 7 :
  La première nuit passée dans ma lodge fût reposante. Les bruits nocturnes ne m'ont pas empêché de fermer l'œil. Après un copieux déjeuner, nous partons en forêt avec nos guides. Au cours de la marche, on nous explique l'utilité des différentes plantes médicinales et leur recours pour diverses guérisons. C'est un laboratoire pharmaceutique aux ressources infinies dont les peuples indiens connaissent chaque secret. C'est entre autre le cas pour la communauté Huoarani sur le territoire de laquelle nous nous trouvons.
  Lorsqu'en franchissant un guet je prend appui sur un petit tronc d'arbre, je ressens des dizaines de petites aiguilles me transpercer la main. Ce sont autant de piqûres de minuscules fourmis. Pour soulager la douleur, les indiens mettent derrière l'oreille la feuille d'une plante, pliée en deux. J'ai donc recourt à la culture médicinale naturelle. Je ne saurai jamais si la douleur s'est atténuée seule ou par la présence de cette feuille. Toujours est-il que les pointes aigues qui tiraillent ma main s'estompent assez rapidement. Au passage du guet suivant, le tronc qui servait de passerelle a été emporté par la pluie et les écoulements de terre. Nous voilà transformés en Tarzan moderne, franchissant le large fossé à l'aide des lianes suspendues. Manque de chance ou de  bras, deux des " hommes de la jungle " termineront 
au fond du fossé, les pantalons dans l'eau. Un peu plus loin encore, notre guide est obligé de tailler dans le bois une main courante,  ficelé à l'aide de petites lianes. Ainsi nous franchissons un à un les obstacles que notre itinéraire, pourtant tracé, présente. Pendant trois heures trente, nous marchons dans la forêt primaire, méfiants de là où nous mettons les pieds et posons les mains. Pour autant, nous ne rencontrons pas de danger apparent. Les animaux fuient devant nos pas, et les insectes, pour la plupart nocturnes, sont bien camouflés dans la végétation dense.
  En fin d'après midi, nous longeons les rives de la lagune en pirogue. Dans le silence de notre passage, nous tentons d'apercevoir quelques oiseaux. Il y a quelques temps, un anaconda avait élu résidence dans cette lagune. Mais la période n'est plus propice, et le géant des eaux à changé de domicile. Je n'apercevrai donc pas ce corps visqueux de plusieurs mètres de longueur et au diamètre impressionnant serpenter sur les berges que nous longeons. 
  Avant de manger, Daniéla, notre guide interprète nous plonge dans l'histoire de l'Equateur. Plus précisément, c'est celle d'Amazonie qu'elle nous conte, et en particulier celle de la communauté Huoarani. Francisco de Orellana est le premier européen à remonter le fleuve, sur la rivière Napo. Mais bien avant lui, des missionnaires ont conquis les rives du fleuve. Dans cette zone inhospitalière d'Equateur qu'est la forêt primitive, ici appelé selva, vivent de nombreuses communautés indiennes dont celle des Huoaranis. Il y a cinquante ans à peine ces indigènes n'avaient jamais vu l'homme blanc. Ils tuaient toute tentative d'intrusion sur leur territoire, et pratiquaient le cannibalisme. Aujourd'hui l'industrie du pétrole s'est installé massivement dans la forêt, et a pénétré leur domaine. Des villages ont du se déplacer et se disperser devant la marche en avant des gros lobbies industriels. Le tourisme a contribué a améliorer leur condition de vie. Pour autant cette tribu n'est pas totalement civilisée à l'heure actuelle, et accepte le développement du tourisme selon ses propres clauses. En remontant quelques années dans le passé, on aurait encore pu croiser ces hommes dans la forêt, totalement dévêtus. Mon regard se promène sur la carte du territoire équatorien déroulée sur l'une des tables de la salle commune. Je suis le cours du Napo, celui du Tiguino, de l'Amazone, en remontant les lignes courbes dessinées sur la carte. Avec elles, je remonte le cours du temps et de l'histoire passionnante de ces hommes. Je suis sur leur terre. Sur cette terre qui a su les accepter, mais que l'avancée spectaculaire de notre société de consommation ne regardera même pas lorsque l'heure viendra de posséder ce qui ne nous appartient pas…

Jour  8 :
    A six heures nous sommes réveillés par notre guide Daniéla. A heure matinale nous descendons sur le rio Tiguino, observer la faune et écouter le chant de l'Amazonie qui s'éveille. Daniéla fait toujours suivre son guide ornithologique, grâce auquel nous identifions et observons les espèces d'oiseaux qui bordent la rivière et guident notre canot sur les eaux calmes. Plusieurs tortues bronzent sur un tronc d'arbre ou sur un gros rocher. L'approche du canot, pourtant très silencieuse, les fait immédiatement plonger sous l'eau…Un toucan passe au dessus de nos têtes…Le chant complexe de la vie amazonienne bat son plein.
  Nous rentrons prendre le breakfast, puis partons en forêt par un accès situé derrière ma lodge. Je commence à me sentir à mon aise dans ce monde sauvage, où l'homme n'a pas sa place. La jungle est dense. Les espèces végétales sont nombreuses. Il faut parfois la lame de la machette pour frayer notre chemin. En pénétrant dans la forêt, nous observons les traces encore fraîches d'un jaguar, animal magnifique et emblématique de la région. Sur la canopée, un singe agite les branches. Nous le suivons au bruit et à la vue des branches qui plient sous son poids. Nos guides font perdurer la traque, en lançant des cris de rassemblement. Mais notre patience ne viendra pas à bout de la furtivité et de l'agilité de ce petit animal rusé. Nous n'apercevrons pas ce singe qui se cache, là haut dans la cime des arbres, à l'abri de certains de ces prédateurs. Au cours de la marche, nous identifions de nombreuses espèces d'arbres. La branche taillée de l'un d'eux se  révèle être un rafraîchissant réservoir d'eau, légèrement fruitée et sucrée. Il s'avère bien utile pour les chasseurs lorsque que la chaleur et l'humidité s'abattent sans relâche sur les organismes. Plus loin, nous découvrons la liane du curare, utilisée par les indiens Huoaranis pour de la chasse aux singes. Prélevée sous forme de poudre, le curare est ensuite déposé sur une feuille, mélangé à de l'eau, puis filtrée. Après avoir fait bouillir le breuvage, l'écorce finira par donner le poison que les chasseurs déposent à l'extrémité de leur flèche. Lorsque la proie sera touchée par la flèche, le poison l'affaiblira jusqu'à ce que
celle-ci finisse par tomber de l'arbre.
  Chaque espèce d'arbre, insignifiante à nos yeux de profanes, contribue à enrichir, au cours de notre marche, nos connaissances sur la culture des peuples amazoniens. La feuille de l'un servira aux femmes pour concevoir différents objets dont ce panier que nos guides réalisent avec habilité. L'écorce d'un autre s'avèrera être un remède contre la fièvre. Derrière tant d'espèces se cache un nombre époustouflant de plantes médicinales. Nous sommes bluffés par le gigantisme de la nature et la largeur de base absolument impressionnante d'un arbre. Adossé contre le tronc, les bras écartés, je ne suis qu'un insecte sur une branche.
  Nous prenons des moments de repos au lodge. Accroché au bar, derrière le comptoir, une guitare prend la poussière. Jamon, le cuisinier, me met en garde contre d'éventuels visiteurs inspirés par la tranquillité de la caisse de la guitare. Je la décroche. Il me la subtilise, passant un coup d'œil minutieux, à la recherche d'une tarentule camouflée. Il n'en est rien. Aucune araignée ou autre insecte n'habite l'instrument. Je tente vainement de l'accorder avant de gratter quelques accords sur cinq cordes.
  Plus tard dans l'après-midi nous retournons sur la rivière, afin de pêcher le piranha, que nous appâtons à l'aide de gros morceaux de viande rouge. Daniéla s'occupe des poissons pêchés par le reste de notre équipage. Les histoires affublent concernant sa férocité, souvent à tord. Ici, l'homme apparaît beaucoup plus intraitable envers lui en le pêchant pour sa simple satisfaction, que le piranha n'apparaît envers l'homme. Aussi la méthode un peu barbare qu'emploie notre guide pour les tuer me fait froid dans le dos. Je constate avec soulagement que mes amorces se traduisent par des rapts de viande, et je dois avouer qu'à certains moments je ne remplace pas mon appât, préférant laisser le poisson fuir. Jamon me donnera plus tard la mandibule d'un de ces carnivores. C'est une remarquable mâchoire, plantés de petites dents acérées. Nous attendons que la nuit tombe sur la rivière pour ranger nos matériels et faire demi tour en direction du lodge. Les faisceaux de lumière des torches balayent la rivière de berge en berge. Les yeux des caïmans brillent, rouge, lorsque la lumière les rencontre. Soudain le canot se dirige vers une des rives. Daniéla est accroupie sur l'avant du bateau. Le temps de se demander ce qu'il se passe, qu'elle a déjà bondi sur un petit caïman, d'à peu prés cinquante centimètres de long. Elle le tient à deux mains. Une au dessus de la gueule, l'autre à l'arrière du corps. Il s'agit d'un caïman noir, dont la carapace est recouverte d'une écorce épineuse. L'animal adulte peut atteindre deux à trois mètres. Il en existe deux autres sortes sur le bassin amazonien, dont le blanc qui peut atteindre cinq mètres de long. Son aspect s'apparente au caïman noir, mais son dos est lisse. Prisonnier, hors de l'eau, le petit reptile semble totalement anesthésié, et ne donne aucun signe d'agressivité. Lorsque nous l'avons observé, Daniéla le rend à sa vie aquatique.
  Loin de la pollution lumineuse des villes, isolés au cœur de la forêt primaire, le ciel nous parle de ses milliards de petites lucioles qui perforent l'espace infini. Après un jour d'adaptation et d'imprégnation, l'atmosphère qui règne devient exaltante. La nature impose sa force et son respect dans un univers où nous ne sommes qu'acceptés.
  Sur le toit en feuillage de la lodge, un boa se promène parfois. Un petit crissement nous indique que peut être cet invité surprise se trouve parmi nous. J'imagine son corps reptilien se faufiler au dessus de nos têtes, sur les palmes chauffés.

Jour 9 :
  Les nuits sont particulièrement reposantes. Après avoir pris le petit déjeuner, nous partons en forêt, à la découverte de nouvelles espèces et de nouvelles applications. Nos bottes de caoutchouc marquent leurs empreintes sur le sol humide. Dans le silence de nos pas, nous écoutons de légers grognements qui viennent d'assez loin. Daniéla nous informe de la présence de cochons sauvages dans les parages. Nous avançons aussi discrètement que possible dans la direction des bruits. Ils se rapprochent, et semblent même nous cerner. Dissimulés derrière les feuillages, nous scrutons attentivement ce que la densité d'arbres nous laisse comme visibilité. Le troupeau s'approche. Quelques animaux sont maintenant tout proches de nous, de l'autre côté d'un fossé. D'autres nous contournent en direction opposée. Bientôt c'est toute la meute qui défile à quelques pas de nous, dans un concert de grognements. Ce sont quelques deux cent cinquante cochons qui se déplacent ensemble. Un seul bruit qui alerte le leader de la troupe, et c'est toute la meute qui déboule et s'enfuit telle une garnison qui charge.
  Nous nous arrêtons devant une termitière géante. Nous ne distinguons pas l'ouvrage immense que la nature a su bâtir. C'est sous la terre que leur habitat est dissimulé. Mais à la surface du sol, de nombreuses petites cheminées de terre lui donnent accès. On pourrait croire à des poteries réalisées en terre cuites. Seulement à la place de la main de l'homme, ce sont des armées de minuscules insectes qui ont modelé leurs œuvres d'art.
  Un peu plus loin, ce sont les fourmis qui retiennent notre attention. Leur royaume est parfaitement organisé. Pendant que les petites ouvrières sont chargées d'approvisionner la fourmilière en nourriture, les soldats veillent sur leur domaine. A la moindre  alerte, les grosses fourmis dont la fonction 
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est d'assurer la sécurité, sortent de terre et se ruent sur l'agresseur. Sur un autre site, nous goûtons à des larves de petites fourmis qui se développent à l'intérieur de la branche d'un arbuste. Ces larves confèrent un goût citronné, qui rappelle l'acidité de bonbons acidulés.   
  De retour à la lodge, je m'assoies à la table de la salle commune. Dans ce cadre providentiel, et ce décor naturel, je me livre à l'identification de certaines des espèces d'oiseaux que nous avons aperçues jusqu'ici. Grâce au recueil ornithologique, je peux associé le nom de hoatzin à ces oiseaux préhistoriques coiffés d'une crête. De petits oiseaux noirs et rouges, au plumage flamboyant, complètent le registre des oiseaux que je répertorie.
  Dans la rivière Tiguino,  les personnels du lieu s'adonnent à un moment de défoulement. Une corde est fixée sur une grosse branche et descend au dessus de l'eau. Ils grimpent à la corde, s'y balancent et se propulsent dans les eaux tièdes de la rivière. Yan, l'hollandais, et moi les rejoignons bientôt. Dans nos ébats aquatiques, nous ne pensons pas aux caïmans qui nagent peut être sous nos corps en proie. Les piranhas poursuivent leurs activités sans se préoccuper de notre présence, et nous les en remercions solennellement.
  Poncho est un macao de la forêt qui a été récupéré après avoir été blessés par des indiens. Il vit maintenant à Bataburo, en totale liberté et totalement domestiqué. Tandis que je suis allongé dans un  hamac, Poncho est posé sur moi. Je lui donne du pain à manger, qu'il picore de son gros bec. Autant de miettes qu'il laisse tomber, me recouvrent les jambes et le ventre. Lorsqu'il a soif, il est capable de boire dans un verre qu'on lui présente. Sur la balustrade en bois qui longe la passerelle reliant ma lodge à la salle commune, Pancho se déplace en faisant glisser l'une après l'autre ses pâtes, latéralement. Lorsque l'envie lui prend de faire un petit vol, il grimpe au sommet des poutres de maintient de la toiture. Il rejoint son aire de décollage en se glissant jusqu'à l'extrémité supérieure, en se hissant de la même manière qu'il longe la balustrade. Puis, il s'élance, ouvrant grand ses ailes, et se repose plus loin, sur le sol.
  Daniéla et le guide nous montrent l'usage de la sarbacane. L'instrument de chasse est réalisé en deux parties assemblées entre elles à l'aide d'une colle naturelle. L'instrument mesure bien deux mètres et pèse relativement lourd. Les Huoaranis l'utilisent lors de leur chasse aux singes. Nous nous exerçons à viser une cible située à une dizaine de mètres. Puis nous testons la puissance de l'arme en projetant  dans les airs, en direction de la forêt, les flèches taillées dans le bois. C'est sur son extrémité que les indiens dépose le poison. L'objet est lourd, et il est difficile de le tenir à bout de bras. Il est plus difficile encore de la maintenir longtemps afin d'attendre le bon moment et de souffler le projectile. L'agilité et la précision dont font preuve les indiens sont remarquables. Lorsque je pense au mal que nous nous sommes donné pour tenter d'observer un singe, sans succès, cela renforce l'idée que pour vivre dans cette nature, il faut y être né. L'homme doit pouvoir s'y fondre et en devenir un élément afin de pouvoir l'appréhender. La chasse à la sarbacane en est l'illustration même. L'homme a su s'adapter au milieu pour sa survie. Cette adaptation ne s'improvise pas…
  Après cette leçon, nous en prenons une seconde qui concerne l'ingéniosité de ces peuplades. Nous réalisons un bracelet en fibre végétale, et je m'interroge aujourd'hui encore sur l'origine de la technique mise au point. Quel heureux hasard a permis de mettre au point la méthode élaborée qu'on nous explique et que nous appliquons ? Comment imaginer aussi que la nature puisse mettre à disposition de l'homme des outils d'une structure si parfaite ? Pour concevoir ce petit objet artisanal, nous prélevons dans la forêt quelques feuilles aux dimensions hors normes. Il faut commencer par séparer la feuille en deux parties superposées, en retirant une tige qui permet de les maintenir. Par un procédé assez élaboré, en se servant d'un pied comme point de maintient de la feuille, puis en la frottant sur une cuisse, on arrive à décoller une membrane extrêmement fine. Cette pellicule, une fois roulée d'une manière bien spécifique- ce -qui d'ailleurs peut être très désagréable avec les poils des cuisses- constituera une fibre incroyablement résistante. En tressant deux de ces fibres ensemble, on réalise ainsi le bracelet qu'il ne restera plus qu'à nouer au poignet.
  De nouveau plongé dans mes observations, un livre à la main, bercé par une musique indigène, je laisse mon imaginaire me transporter dans un autre temps. C'est le temps des explorateurs. Ceux qui la nuit tombée établissaient leur campement près de la rivière, puis reprenaient leur itinéraire, à la recherche de nouveautés, de contrées inconnues, de zones inexplorées. C'est aussi le temps des missionnaires, établis sur les rives de l'Amazone. Qui sait si ce soir, la Condamine des temps modernes ne pointera pas le museau effilé de sa pirogue…Ce monde est fascinant. Encore faut-il le respecter pour espérer l'aborder car il ne pardonnerait pas de grosses insouciances.
  Nous entrons pour une ultime fois en forêt, de nuit. Si nous n'apercevons pas une grande quantité d'insectes, nous pouvons sentir la grandeur de la selva. Lorsque nos torches sont éteintes, nous sommes immergés dans la vie nocturne de la jungle, et dans son écrasante puissance. Nous ne l'apercevons pas, mais elle nous communique sa présence. Dans la végétation millénaire, un orchestre sans limite propose son récital grandiose.
  Après manger, nous discutons, Daniéla, Yahn et moi-même. Je m'étends dans un hamac, porté par son balancement et le son de la vie animale. Jamon aime discuter et se balance dans des positions toujours acrobatiques. Comme je l'avais présagé, il m'explique que la dollarisation récente a appauvri davantage le pays. Bien que Bataburo présente un lieu formidable, il va bientôt quitter son travail, pour rejoindre sa famille à Quito. La capitale est à quelques heures d'avion, mais son niveau de vie est trop bas pour se permettre ce luxe. Il aimerait amasser suffisamment d'argent pour se payer une formation avec les meilleurs cuisiniers de la capitale. Une chose est certaine, sa nourriture est un régal. Mais comme il ne possède pas de diplôme, il ne peut pas prétendre à un salaire très honorable. Le tarif des quelques jours passés ici représente quasiment son salaire. Un jour peut être, Jamon sera chef cuisinier dans un grand restaurant…

photos Amazonie

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Equateur

Troisième partie: L'avenue des volcans

Vers Banos

Jour 10 et 11 :
  Je me lève plus tôt que les jours précédents, tenant à profiter des dernières heures au sein de l'Amazonie. Il fait beau et bon, comme c'est le cas depuis que je suis arrivé, il y a quatre jours. La Selva m'aura épargné de ses eaux torrentielles. Je me balance sur le hamac en attendant l'heure du déjeuner, et m'imprègne encore un peu de l'atmosphère qui règne. Bientôt, lorsque les affaires sont rassemblées, il est l'heure de quitter Bataburo. Ce monde hostile aura livré le temps de mon passage quelques uns de ses secrets. Je remercie les guides, ainsi que Jamon qui me tend une main chaleureuse. Il restera au cœur de cette aventure, comme un personnage fascinant. J'ai passé avec lui quelques instants que je garderai dans mon Panthéon des rencontres. C'est une de ces rencontres que le voyage dépose sur le parcours, et que le temps fera surgir sans avoir de prise sur elle. Je salut également Pancho, qui pour me souhaiter bon vent, plante une de ses griffes dans mon bras. A l'avant du canot, je surveille les berges et observe les oiseaux devenus familiers, et qui dans quelques heures auront disparu de mon environnement. Soudain, sur la rive gauche, apparaît un animal noir, à la queue allongée. Il apparaît un court instant avant de s'enfoncer dans la végétation. Ni sa couleur ni sa taille ne peuvent laisser de doute. Il s'agit d'un guépard.
 
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De retour à Coca, je flâne dans un bar, à la poursuite de mon itinéraire. A 19h30 je monte dans un bus de nuit. A la sortie de la ville, nous sommes soumis à un contrôle de police. Les hommes sortent du véhicule et s'alignent en file indienne pour une vérification d'identité. Un à un, nous nous plaquons face contre l'avant du bus, les bras et les jambes écartées, tels des criminels, pour une fouille corporelle. La situation est inhabituelle, pourtant il s'agit d'un exercice de routine car nous sommes sur une zone réglementée.
  Jusque tard dans la nuit, le bus s'arrête pour faire monter des passagers. S'il existe bien des stations dans les villes, il suffit de faire signe depuis le bord de la route pour que le bus stoppe. Ainsi jusqu'à 23 heures, c'est un va et vient continu. A chaque arrêt la lumière éblouit et interrompt le sommeil qui gagne.
  La route vers Tena est chaotique, parfois recouverte d'eau et dans un état de délabrement important à cause des pluies abondantes qui tombent dans la région. Le bus fait des secousses importantes. A se demander par moment comment le chauffeur parvient à poursuivre sa route.
    A 4h45 j'arrive à Banos. Je suis surpris de constater qu'à cette heure-ci et à l'altitude à laquelle je me trouve (1800m),  la température soit si douce. J'attend que le soleil fasse pointer ses premières lueurs pour emprunter le chemin de cailloux qui s'élève, de l'autre côté du rio Pastéza. Je marche jusqu'à avoir une vue panoramique sur la ville thermale, encrée dans les gorges. Vers le sud, le Tungurahua se dresse fièrement, laissant s'échapper des fumerolles en continu. En 1999, ce volcan s'est réveillé. La population a alors été évacuée pendant plusieurs mois. La ville est restée fantôme jusqu'à ce qu'une vidéo révèle que des personnes chargées de la surveillance contre les pillages volaient elles mêmes dans les maisons. Les habitants ont alors réintégré les lieux, mais le volcan reste actif et le danger persiste. Pour parer à une éventuelle éruption qui envahirait Banos de lave en quelques minutes, une passerelle a été construite sur le rio Pastéza, afin d'isoler les habitants et de les protéger d'un drame imparable.
  Après que j'ai trouvé un hôtel pour m'installer, et bien que j'ai du sommeil de retard, je loue une bicyclette pour suivre la route vers Puyo. En longeant les gorges de la Pastaza, la route est à certains passages vertigineuse. Je descend ainsi les vingts premiers kilomètres, jusqu'au Rio Verde, au bas duquel " le chaudron du diable " rugit avec force. C'est une cascade à l'aplomb impressionnant au pied de laquelle mène un chemin de terre agréablement aménagé. 
  Pour remonter à Banos, il faut attendre qu'il y ait suffisamment de personnes afin que la camionnette qui nous transporte démarre. Je me balade plus tard dans les rues de la ville, agréable, animée, où musiciens et comédiens exercent leur art. Banos est une petite ville touristique, et les boutiques sont toujours ouvertes dans la ferveur de l'animation, alors que la nuit est déjà tombée depuis longtemps.

Photos Banos

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Equateur

Retrouvailles à Vilcabamba...Podocarpus

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Jour 12 et 13 :
  La route directe pour Riobamba est, comme je l'avais supposée, fermée à cause des fortes pluies qui l'ont rendue impraticable.  En fin de matinée, je prends un bus pour Ambato. J'occupe le temps dont je dispose à me balader dans la ville, bien qu'il n'y ait rien de particulier à voir ou à faire, sinon flâner au milieu des quelques exposants du petit marché. Quelques heures plus tard, je monte dans un nouveau bus, en direction de Loja, avec au programme pas moins de treize heures de transport. Le bus est loin d'être complet. Dès le début du voyage, je suis pris en traître par un puissant besoin d'aller aux toilettes. Le trajet s'annonce long ! Je laisse passer les torsions qui me tiraillent le ventre, en me contorsionnant comme je le peux. Les douleurs vont et viennent, puis finissent par s'estomper. Le chauffeur s'arrête pour faire le plein du bus. C'est l'occasion qui m'est donnée pour que j'aille faire le vide dans les toilettes privées de la station service. C'est en descendant du bus que les tiraillements reprennent leurs assauts. La première des toilettes s'ouvre, mais il n'y a pas de papier. La seconde est fermée. La troisième s'ouvre également mais il n'y a toujours pas de papier. Je n'ai pourtant pas d'autre solution à cet instant que de m'y enfermer tant les douleurs sont aigues et deviennent de plus en plus difficilement contrôlables. Heureusement j'ai fait suivre mon sac, et avec lui se 
trouvent mes indispensables guides de voyage, qui cette fois me sauvera la mise d'une manière bien peu usuelle. Jamais je n'ai été aussi heureux de pouvoir trouver tant de pages de publicité !
  Sitôt Riobamba quitté, nous prenons la route qui contourne le Chimborazo, pour Guaranda. La route qui s'élève est splendide. Enfin, la sierra montre sa majesté et toute sa grandeur, dans un paysage de landes qui s'étendent tout autour. Je suis impressionné par la conduite du chauffeur. Dans les longues montées, le moteur fait vrombir ses chevaux, enchaînant les virages avec une fluidité et une agilité de cascadeurs. Durant de longues heures, je reste éveillé. J'aime ces instants où dans l'inconnu de l'environnement, les distances filent au rythme du temps. Il fait nuit depuis longtemps. Pour la deuxième fois en trois jours,  je passe la nuit dans un bus. Enfin je finis par être gagné par quelques heures de sommeil. Peu avant cinq heures du matin, le bus termine son trajet à la gare routière de Loja. Il me faudra une heure supplémentaire pour gagner Vilcabamba.
  Je prends l'atmosphère de cette petite ville, tout au sud de l'Equateur, réputée pour la longévité énigmatique de ses habitants. Il règne ici une réelle plénitude. Tout est calme, silencieux. A côté du banc de l'arrêt de bus, quelques hommes se rassemblent pour boire. Ils sont ivres. Un vient me parler…
  Vers midi, je vois arriver Vincent et Nicolas à mon hôtel,  après avoir lu le mail dans lequel je leur indiquais l'adresse de ma résidence. C'est dans ce lieu paisible, ce petit bout du monde, au deuxième étage d'un hôtel qui domine la ville, que nos deux voyages se retrouvent. Nous échangeons les récits des jours passés. Eux reviennent des Galápagos avec un émerveillement sans pareil dans leurs yeux et dans leurs mots. Remis de ces émotions, nous allons marcher le long d'un cours d'eau, dans une réserve  privée, dans les environs de la ville.       

Jour 14 :
  A 6h30, le taxi avec lequel nous avons rendez-vous nous attend devant l'hôtel. Il nous conduit jusqu'à l'entrée du parc national Podocarpus, où nous avons l'intention de passer la nuit. En arrivant au parc, nous entendons la radio fonctionner à l'intérieur de la cabane du gardien, mais personne ne répond. Nous attendons un moment, puis décidons de nous faire tout de même conduire en haut, jusqu'au refuge. Le problème est que nous ne possédons pas les clés. C'est un jeu de piste que nous préparons afin d'amener le gardien jusqu'à nous. Nous souhaitons qu'il nous ouvre pour la nuit. Une fois prêts, sur place, nous camouflons nos sacs dans des cabanes annexes, avant de partir sur les sentiers du parc. Avant de nous engager sur les chemins humides, nous consommons notre petit-déjeuner. En fait c'est avec désillusion que nous constatons que les bananes que nous avons achetées la veille n'en sont en réalité pas. Il s'agit d'une variété destinée à être frite. Un américain vient d'arriver au refuge en taxi. C'est un géographe qui a étudié durant un an, et il y a quatorze ans de cela, la végétation du parc. Nous nous posions la veille la question de savoir ce que signifie exactement la " cloud forest ".Nous possédons à présent la réponse. Les nuages restent quasi continuellement accrochés à la forêt qui s'étale sur des versants pentus à perte de vue. Une pluie permanente s'abat sur cette zone. C'est donc un micro climat très humide qui règne sur cette forêt des nuages, où se sont développées des espèces végétales particulières qui ont su s'adapter aux conditions. Dans le parc, on dénombre un record mondial de variétés d'arbres avec plus de 90 espèces à l'hectare. C'est donc équipés contre la pluie, et le vent qui menace de souffler plus haut, que nous engageons notre viré. Le sentier s'élève longuement dans une forêt luxuriante. A 3000 mètres, l'étage de végétation change. Les arbres laissent place à une végétation rase. Nous atteignons les crêtes, à prés de 3200 mètres, tandis que la pluie persiste et que la brume camouffle le panorama plongeant sur la forêt. Les oscillations de la ligne de crête sont remarquables et offrent à certains passages, dans l'étroitesse du sentier, des à pics vertigineux. Lorsque quelques nappes de brumes moins denses laissent difficilement percer le paysage, nous imaginons très facilement les distances interminables qui s'étendent dans cette forêt pas comme les autres.
  Lorsque nous redescendons au refuge, aux alentours de 12h, le gardien nous y attend. Nous nous acquittons par la même des dix dollars d'accès au parc. Cependant, nous avons modifié nos intentions, et ne comptons plus passer la nuit au refuge. Une famille de touristes a eu la bonne idée de monter jusqu'au refuge. C'est à l'arrière de leur pick-up que nous descendons les 8,5 kilomètres qui mènent à la route principale pour Loja. La piste est chaotique, et nous nous accrochons fermement afin de ne pas encaisser tous les chocs. Le conducteur nous emmène jusqu'à la station de bus de Loja. Pour le remercier, nous offrons des barres de chocolat aux enfants. Le pick-up s'éloigne. Nous faisons des signes de la main.
  Devant les taxis qui forment une file d'attente, nous ôtons nos affaires trempées, et nous nous changeons pour nous mettre au sec. La scène porte les regards sur nous.
  Enfin, nous sommes dans le bus. 4h30 de trajet doit nous transporter à Cuenca. Au coeur de la sierra qui commence à se dessiner, nous roulons sur des routes anormalement hautes pour nos références européennes. Bientôt Cuenca apparaît. C'est une ville animée, à l'identité forte.

Photos Vilcabamba-Podocarpus

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Equateur

Cuenca

Jour 15 :
  Durant la matinée, nous flânons en ville. Le centre est paisible et agréable. Sur les berges du Tomebamba qui coule en bordure de ville, quelques femmes font sécher, sur les berges herbeuses, le linge lavé à la rivière.
  Siniergue est l'un des savants français qui faisait partie de l'expédition La Condamine, missionnée en 1735 pour établir la mesure d'un arc de méridien terrestre. C'est sur la place San Francisco qu'il fût assassiné au milieu d'une foule scandant la mort au français, suite à une liaison entretenue par le savant avec une femme. Il s'agit d'une place coloniale, à l'atmosphère très salubre. Une musique reposante rythme l'écoulement de l'eau de la fontaine située au centre de la place. Plus loin, la grande tour de l'ancienne cathédrale, aujourd'hui fermée ou interdite  d'accès, servie à La Condamine pour effectuer des relevés dans le but de sa quête scientifique. On peut voir, en levant les yeux, de magnifiques maisons coloniales aux balcons en bois et aux façades ornées de stuc. La ville, pavée, est entourée de collines prédominantes.
    Le soir nous retrouvons Gally, une américaine que Vincent et Nicolas ont rencontrée lors de leur croisière aux Galapagos. Nous mangeons un morceau en ville, puis passons la soirée dans un bar salsa branché de la Cuenca. Il s'agit certainement d'un des
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endroits les plus à la mode du pays pour faire la fête, bien que la ville regorge de touristes et que les couleurs ne soient donc pas toujours locales. Dans le bar, je retrouve deux françaises que j'ai rencontrées quelques jours auparavant, à Banos. 

Jour 16:
  Nous devions partir pour Riobamba dans la journée, mais il y a un changement de programmation. J'hésite à partir avec un jour d'avance sur Vincent et Nicolas. Je voudrais atteindre Alausi dans la journée afin de pouvoir emprunter le train fou qui mène à la " nariz del diablo ". Au lieu de cela, ce sera une journée de repos. Le temps est ensoleillé. Les affaires lavées sèchent dans la chambre de l'hôtel, derrière les larges fenêtres. J'aime me balader au hasard des rues. Les sens en alerte jouent le rôle de boussole, et orientent mes choix. Alors que je suis installé sur un des bancs d'une place, je me fais interviewer et filmer par des étudiantes qui sondent la réputation de la ville.
    Cuenca est aussi la ville réputée pour ses chapeaux. Le Panama a une réputation mondiale. Il est à l'origine porté par les indiens qui creusaient le canal du même nom. Les occidentaux ayant remarqué que ces derniers coiffés de leur indétrônable couvre chef supportaient mieux la chaleur qu'eux, adoptèrent eux aussi le chapeau tressé. Ainsi est née une légende qui traversa rapidement les océans. Il est aujourd'hui le chapeau le plus porté au monde. On le fabrique entièrement à la main, avec une fibre naturelle du pays, appelée la " puja toquilla ". Sa conception est un véritable art. C'est un travail minutieux et de longue haleine. Huit jours sont nécessaires pour la réalisation de certains d'entre eux. Je comprends mieux alors le prix parfois démesuré que peut atteindre ce chapeau à la finition raffinée. Je découvre un petit atelier du centre ville. Un homme tresse la fibre, tandis que de nombreux chapeaux à des stades d'avancées diverses sont exposés. C'est un second homme qui m'accueille. C'est à lui qu'appartient l'atelier. Il ne parle plus à cause d'un accident qui lui a ôté la parole, mais on comprend combien cet ouvrage représente sa vie lorsque ses yeux pétillants illuminent son visage.

Jour 17 :
  Ce matin nous quittons Cuenca pour nous élever dans la sierra. Pendant plus de cinq heures, nous roulons en direction de Riobamba, franchissant des cols à plus de 3000 mètres. Le bus est un véritable lieu de vente. Comme à chaque fois, des vendeurs de stylos, de livres ou encore de rasoirs exposent pendant de longues minutes les bienfaits de leurs articles aux passagers, avant de passer parmi eux leur proposer les produits. Souvent ce sont des sommes modiques pour un article sans grande utilité. Pour d'autres, il s'agit de vendre un journal en faveur d'une cause. Après le défilé des représentants, la musique prend bien souvent le relais. Elle est la plupart du temps forte, lorsque ce ne sont pas les films projetés qui agressent nos tympans. A partir d'Alausi nous apercevons l'Altar qui se dresse à 5320 mètres, puis le Chimborazo, vers lequel nos jours à venir sont orientés. Nous manquons de vigilance, et ne voyons pas l'arrêt d'Ambato. Lorsque nous nous en apercevons, nous avons déjà quitté la ville depuis près de 25 kilomètres. Il nous faut pourtant absolument nous y arrêter afin de faire des provisions. Nous stoppons le bus en plein milieu de nulle part, quelque part, sur la Panaméricaine. Il nous faut faire demi tour, puis ensuite revenir sur nos pas, à l'endroit même où nous nous trouvons. Un bus ne tarde pas à arriver en sens opposé. Je lève le bras. Il s'arrête. A peine le temps de poser les pieds sur les marches, qu'il redémarre dejà…
  Nous avons perdu beaucoup de temps, et il fait déjà nuit lorsque nous sommes de retour en haut du col, à la station Urbina. A notre demande, le bus fait halte et nous dépose au bord d'une petite route, qui doit conduire à un refuge, à presque 3700 mètres d'altitude. Seulement dans la nuit, nous n'arrivons pas à nous repérer, et aucun indice ne nous indique la direction à suivre lorsque la route bifurque. Au hasard du chemin, nous frappons à une maison demander notre route. La personne nous renvoie dans la direction opposée. Le temps qui nous est indiqué ne semble pas très crédible car malgré notre allure alerte, aucune lueur ne traduit la proximité du refuge, alors que les minutes s'égrènent. Nous atteignons la voie ferrée, au bord de laquelle doit se trouver l'ancienne gare reconvertie que nous cherchons. Toujours aucune lumière. Nous trouvons une petite maison, au propriétaire de laquelle nous redemandons la direction et le temps qui nous sépare de notre hôtel. Cette fois nous sommes bien dans la bonne direction. En longeant les rails, Nicolas tombe et faillit se tordre la cheville. Il sème en route une partie de notre nourriture que je ne retrouverai pas lorsque je reviens sur nos pas en balayant le sol de la torche. Enfin, après une heure de recherche, nous atteignons le refuge. Nous prenons possession d'une petite chambre de trois lits, située au premier étage. L'atmosphère qui règne est conviviale. Il fait difficilement 12°C.

Chimborazo

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Jour 18 :
  Nous avons eu du mal à nous endormir. Le manque d'oxygène causé par l'altitude nous a empêché de sombrer dans un sommeil profond. Une impression d'asphyxie nous a contraint à chercher des inspirations profondes. La nuit a été assez froide, d'autant que les couvertures épaisses de nos lits glissent sans cesse, tels des draps de soie.
  Ce matin les nuages recouvrent les sommets. Plus exactement, ils recouvrent le sommet. Le Chimborazo, fier, érigé tel un champignon géant, surveille notre petite habitation déposée à son pied. Si proche, si loin à la fois, il apparaît parfois derrière la brume vagabonde. Après une visite aux alpagas qui broutent l'herbe près du refuge, nous amorçons notre randonnée, longeant la voix ferrée. Au bout d'un long moment de marche, nous bifurquons sur la droite par un sentier que nous indiquent des paysans. Nous traversons quelques fermes précaires et croisons quelques hommes à cheval, près des champs. Ils portent une tenue de laine montagnarde. Peut être que ce sont ces mêmes hommes que l'on appelle les briseurs de glace, et qui régulièrement montent sur les versants glacés du Chimborazo, découper de gros cubes de glace qu'ils taillent. Ils portent ces blocs à dos d'animal, pour les vendre ensuite au village. Leur réputation est très étendue, et leur travail de force redoutable. 

  Le temps se dégage. Le massif imposant apparaît sur un fond bleu. Le large sommet du Chimborazo, glacé, laisse apercevoir le détail des séracs qui deviennent de plus en plus précis au fur et à mesure que nous grimpons. Vers le nord, le Carihuairazo, pourtant moins élevé, apparaît encore plus impressionnant dans ses dentelures acérées. Le ciel est on ne peut plus clair. La température est idéale pour marcher, bien que le vent nous refroidisse dès que nous sommes exposés. Nous passons des terres cultivées à une végétation plus touffue de plantes, en suivant un chemin de terre. Un probable futur hôtel, à l'altitude de 4200 mètres nous donne un objectif à atteindre. Au soleil, nous grignotons quelques maigres provisions, face aux montagnes enneigées. La vue embrasse la large vallée andine, au fond de laquelle on aperçoit, minuscule, le refuge, dans le lointain.
  Nous redescendons en contournant de petites crêtes qui nous éloignent de la piste. Le panorama est d'une grande clarté. Afin de retrouver la piste, et de suivre la direction du refuge que nous devinons, nous coupons à travers les herbes sèches qui se brisent et remplissent désagréablement nos chaussures. Tout à coup, alors que nous quittons une zone herbeuse, Vincent disparaît intégralement, alors qu'il me précède d'un mètre. Il est avalé par une crevasse rendue invisible par les herbes. S'accrochant, il en ressort sans gravité. C'est à cet instant précis que Nicolas est à son tour enseveli. Sa tête est à peine visible, ses pieds balancent dans un trou béant de quelques mètres de profondeur. Bientôt nous retrouvons le chemin de terre.  Le refuge, qui apparaît petit, est encore loin. Nous suivons le chemin jusqu'à atteindre la voix ferrée, qui reliait dans le passé Quito à Quayaquill, et le remontons jusqu'au refuge. Les couleurs qui illuminent le paysage sont vives, magnifiques. Les alpagas mangent toujours paisiblement. Nous terminons cette balade. Nous avons dénivelé seulement 600 mètres positifs, et autant de négatifs. Mais à une altitude moyenne de 4000 mètres, et sur un itinéraire assez long, cela rend les choses plus difficiles pour nos organismes. Le souffle se fait plus court. Les muscles sont davantage sollicités. Nous rentrons fatigués.
  Après nous être restaurés, il est temps de rejoindre la Panaméricaine. Un bus ne tarde pas à stopper. Il nous redescend à Riobamba. En fin de journée, la ville animée donne des airs de jovialité. Nous nous baladons dans le quadrillage des rues, et tant bien que mal, cherchons un petit morceau à nous mettre sous la dent. Il faut dire que dès la nuit tombée, il n'est pas simple de trouver un restaurant d'ouvert. Nous rentrons à l'hôtel. La nuit s'annonce bonne et récupératrice.

Jour 19 :
  Vers huit heures nous arrêtons un taxi pour qu'il nous conduise jusqu'au premier refuge, versant ouest, du Chimborazo. C'est le chauffeur qui nous apprend qu'aujourd'hui est un jour de festivité pour le pays. Les bus se succèdent pour faire monter les personnes qui constituent la longue file d'attente que nous rejoignons. Le cortège statique s'étend sur une centaine de mètres. Tous ces bus montent au refuge, et gratuitement. Même l'accès au parc, d'habitude payant, est ouvert (en entrée libre). C'est notre jour de chance. Nous prenons la direction de Guaranda. Le bus s'élève à travers un paysage verdoyant, où coulent de nombreux cours d'eau. Nous atteignons une piste qui continue de monter jusqu'au refuge. Le décor change. C'est un paysage lunaire, désertique et aride que nous traversons. Le panorama est spectaculaire. Par rapport au versant que nous arpentions hier, la vision a totalement changé. Le bus grimpe on ne sait trop comment sur la piste qui s'élève graduellement pour enfin atteindre le refuge Carel, à 4800 mètres d'altitude. De nombreux bus sont déjà stationnés. Des véhicules tout terrain ainsi que de simples berlines remplissent le parking. De longs discours rassemblent une petite foule. On parle d'indépendance, de libération. Le 24 juillet est un jour commémoratif. Il s'agit de l'anniversaire de la naissance de Simon Bolivar. L'ancien président a en effet libéré le pays du joug espagnol. Depuis lors, cette date est devenue un symbole pour tout un pays. Un groupe de musiciens anime les festivités. Des cavaliers en uniforme sont également sur place, mais je ne comprends pas la signification du protocole. Musiciens, animaux, mais aussi des stands de nourriture se sont hissés jusqu'au pied du point culminant. Nous montons jusqu'au second refuge, à 5000 mètres. Le souffle est court. Les muscles des jambes s'épuisent rapidement. De là, Vincent et moi continuons à gravir les pentes sèches sur un sentier de terre et d'éboulis qui ajoute une difficulté supplémentaire à l'altitude. Nous stoppons à 5230 mètres, face aux séracs du maître des lieux. Tandis que quelques andinistes redescendent de l'ascension du sommet, nous retrouvons Nicolas, frigorifié, au refuge. Au parking, les bus sont déjà repartis. Il nous faut trouver une voiture qui nous descende à Riobamba. Un pick-up rouge s'arrête au signe que nous faisons. Nous chargeons les sacs et nous installons à l'arrière du véhicule, bien couverts et callés. Sur le bord de la piste, le conducteur s'arrête cueillir une plante épineuse, utilisée pour soigner les maux d'estomac. Le temps est toujours magnifique, et nous sommes au cœur du paysage qu'aucune vitre ne déforme. Quelques vigognes se promènent dans le parc. En rejoignant le col, nous reprenons la route asphaltée jusqu'à plonger de nouveau dans la vallée verdoyante…

Photos Chimborazo

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Lagune de Quilotoa

Jour 20 :
  C'est aujourd'hui un jour de transit. Nous voulons nous rendre à Guaranda et nous empruntons malgré nous la route de la veille pour nous y rendre. Une fois arrivés, nous prenons un second bus, pour Ambato, mais sommes contraints de revenir en partie sur nos pas. L'itinéraire que dessert le bus n'est pas celui que nous pensions. Nous continuons jusqu'à Lathacunga. C'est une petite ville animée. L'activité diminue rapidement avec la tombée de la nuit.

Jour 21 :
  Nous devions initialement prendre un bus pour Zumbahua, puis marcher les quatorze kilomètres qui séparent Zumbahua de Quilotoa. Le secteur étant donné comme zone à risque, nous décidons de poursuivre en bus. La première partie du trajet nous élève sur le flanc de l'avenue des volcans. C'est ainsi que le naturaliste Alexander Von  Humbolt a surnommé le couloir inter andin,  le long duquel se dressent les hauts volcans. Nous apercevons la vallée s'étendre sur des kilomètres. Le col franchi, nous redescendons sur l'autre versant de la sierra. Le paysage devient totalement différent. Des piques ocre se dressent et façonnent des gorges et des falaises, que nous longeons vertigineusement. Zumbahua est un village de montagne, 
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perdu dans les altitudes. C'est un village sans âme, aux maisons vieilles et délabrées. De là, la route continue sur une quinzaine de kilomètres. Sur les abords, on dirait que le sol sablonneux s'effondre pour donner des sillons instables. Un patchwork de cultures découpe les collines. En arrivant à Quilotoa nous sommes surpris par la puissance du vent qui souffle par rafale, et soulève le sable qui se faufile partout. Le village est connu pour sa lagune. Dans le cratère d'un ancien volcan, un lac d'un à deux kilomètres de diamètres s'est formé, 300 mètres en profondeur. Il y a deux siècles, le volcan rugissait encore sa lave brûlante. Il s'est depuis lors éteint pour donner naissance à une immense étendue d'eau, qui atteint 250 mètres au plus profond. Par un chemin tracé dans le flanc du cratère, sur un sol sableux, nous descendons jusqu'à la lagune, à 3300 mètres. Quelques enfants et adultes usent de la renommée touristique du site pour gagner quelques dollars en proposant la remontée à dos de cheval. La lagune est splendide et offre un coin de tranquillité, où nous passons un long moment de contemplation. La remontée est lente et difficile dans le sable qui freine nos pas.
  Nous quittons Quilotoa. Par chance le retour s'organise bien. Il y a peu de bus qui passent par cette route. Mais tout s'enchaîne bien puisqu'à peine déposés à Zumbahua, un second bus s'arrête devant nous. A cette heure avancée de la journée, la lumière rend la nature bucolique et le paysage étincelant. Dans le bus, les indiens des villages colorent notre voyage de leur tenue nuancée. La musique salsa en fond donne au tableau la saveur et le pittoresque du pays. Pour la première fois depuis que je suis en Equateur, je me sens profondément immergé, impliqué dans la vie sud américaine. Sur le nord, se dresse, tel un champignon géant sorti de la terre, le cône du Cotopaxi, que nous allons rejoindre dans quarante huit heures.

Jour 22 :
  Aujourd'hui est une journée de repos que nous employons à des occupations personnelles. Depuis une semaine, nous préparons nos organismes à une acclimatation à l'altitude afin de mettre toutes les chances de notre côté pour l'ascension qui se profile. Le calme est recommandé. Aussi nous arpentons les rues en large et en travers, jusqu'à rencontrer Alexandre, un de nos guides. Il prépare lui aussi la course de demain, achetant boissons et aliments nécessaires pour les quelques repas que nous aurons à partager. Cette journée est aussi une journée de récupération. A la veille de l'ascension Vincent se sent faible. Il couve depuis quelques jours une sorte d'angine. Son corps est également empli de boutons, certainement attrapé dans les draps de la chambre d'hôtel, succédant à un client à l'hygiène douteuse.

Photo lagune de Quilotoa

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Equateur

Le Cotopaxi

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Jour 23 et 24 :
  A dix heures nous sommes devant l'agence pour retrouver nos guides avec lesquels nous avons rendez-vous. Pendant une heure, nous préparons le matériel. Chacun remplit son sac. Il ne faut rien oublier sans quoi l'ascension s'avérerait impossible. Piolet, crampons, moufles, harnais, pantalon et veste Gore tex, font parti de l'attirail. Nous répartissons dans nos sacs respectifs notre matériel répertorié. Nous répartissons également la nourriture nécessaire aux repas à prendre aux refuges, ainsi qu'aux encas de l'ascension. Il faut environ quarante minutes en 4*4 pour atteindre l'entrée du parc national. C'est tout d'abord une forêt de conifères que nous suivons avant que la végétation disparaisse. L'espace devient vierge, brun. Le relief présente au loin quelques sommets tel les Iliniza et l'Antisada enneigés. Des sentiers partent entre les roches. Ce matin le ciel était couvert de nuages, mais maintenant la météo semble être avec nous. Le sommet du Cotopaxi domine sans voile nuageux, dans un ciel bleu. Le paysage est splendide, lunaire. Nous atteignions le parking après une heure de piste dans le parc. Il faut encore environ quarante minutes pour atteindre le refuge, 300 mètres plus haut, à 4800 mètres. Nous prenons nos places dans la grande salle dortoir. Il n'y a quasiment personne. Après nous être réchauffés de boissons chaudes et avoir avalé un repas léger, nous 
prenons le matériel pour rejoindre le glacier, à vingt minutes de marche du refuge. Il prend toute sa splendeur. Impressionnant. Nous pratiquons quelques exercices de cramponnage avec piolet, et répétons les techniques de montée latérale et de montée en canard. Les gestes et les positions de descente ou ceux à adopter en cas de chutes peuvent être déterminant. Je me sens physiquement bien. Le souffle n'est pas forcé. Nous rejoignons le refuge pour quelques heures libres. Nous préparons également les sacs pour cette nuit. Aucun signe précurseur du mal des montagnes ne donne à ce moment précis de crainte à l'un d'entre nous. Pour autant alors que je suis assis à la table en bois lourd, écrivant quelques notes sur mon carnet de route, la vision me semble un peu étrange. L'écriture et la concentration sur un espace réduit provoquent quelques troubles. Il y a un léger décalage entre le mouvement et sa perception.  Je ne ressens aucun maux de tête seulement cette sensation étrange, qui pourrait à la longue me donner des vertiges. Cela ne sera que passager. Lorsque la nuit tombe, dans le lointain, les lumières de Quito illuminent. Le reflet du soleil sur les versants opposés donne un éclairage particulièrement propice au bien être. Des couleurs chaudes et tamisées inondent les hauteurs. Le froid tombe rapidement. Après une agréable soupe chaude et un repas léger mais suffisant, nous montons nous coucher. Il est environ 19 heures. Pendant les heures qui s'écoulent, nous tournons sur nous-mêmes dans nos duvets. Les yeux se ferment mais le sommeil ne nous gagne pas. Nous somnolons par moment mais ne parvenons pas à nous endormir. Aucun symptôme n'est apparu durant ces quelques heures qui séparent minuit, mais probablement que l'altitude est responsable de notre insomnie. C'est donc après un repos durant lequel nous regardons les minutes s'égrener sur le cadran de nos montres, que le guide vient nous sommer de nous lever. Depuis un long moment déjà, Nicolas était très hésitant quand à la volonté et la possibilité d'aller au sommet. Ce matin, la fatigue, le froid, la nuit ont raison de son courage. Alors que nous avalons un petit déjeuner, il tente de s'enfoncer dans le sommeil que nous ne sommes pas parvenu à atteindre. Nous nous équipons de toutes les couches que nous possédons. Les sacs sont prêts. Peu avant 1 heure nous sortons. Le temps est toujours au beau. Le ciel dégagé laisse des millions d'étoiles étinceler au dessus de nos têtes. Il annonce un bon présage. Durant trois quarts d'heure environ, nous marchons sur un chemin de terre. La langue du glacier nous invite bientôt à chausser les crampons. Au dessus de nous, nous apercevons des lumières de frontales, que nous dépassons au fur et à mesure de la progression. Nicolas est resté au refuge. Nous disposons donc, Vincent et moi, d'un guide chacun. Assez rapidement nous nous séparons. Je suis Alexandre dans les pentes glaciaires. Les pentes douces deviennent progressivement des versants abruptes dont nous réalisons que modérément l'inclinaison à la lueur de nos lampes. Mes pas s'enchaînent dans ceux d'Alexandre dans un rythme bien cadencé. Pied gauche, pied droit. Nous sommes maintenant réglés tel un balancier de métronome. Nous nous hissons ainsi jusqu'à la barre rocheuse que j'avais repérée sur la carte. A ce moment de l'ascension, après de longs efforts continus, je suis en hypoglycémie. L'enthousiasme que j'avais jusqu'à présent dans cette nuit froide a absorbé une bonne part de l'énergie que j'avais engrangée. Nous stoppons quelques minutes. Le temps de manger une barre chocolatée et de boire quelques gorgées de boissons énergétiques, et il nous faut déjà repartir. L'endroit est exposé au vent et au froid, et nous nous refroidissons rapidement. L'aurore commence à pointer. Il est cinq heures du matin. La lumière montante du soleil dessine une enveloppe orangée sur les montagnes. Les Illinizas apparaissent sur l'ouest avec comme compagnon matinal l'ombre pyramidale du Cotopaxi. Le fantôme du sommet me guète. Pourrais-je l'atteindre ?  A cet instant je n'en ai jamais douté. Nous longeons des cathédrales de glace, puis rejoignons un flanc où le vent souffle d'une violence extraordinaire. A ce moment, sous les rafales que nous peinons à contrer, l'heure qui avance et le regard d'Alexandre qui semble chercher un passage dans cet univers inconnu de ma personne, la pensée me traverse que peut être je n'attendrai pas le sommet. Il faut lutter pour ne pas se faire déporter par les assauts continus du vent. Sans relâche, il faut planter les crampons, tantôt dans une couche tendre de neige, tantôt dans la glace. Il nous faut longer des à pics, enjamber les crevasses. Nous remontons une échelle, au dessus d'une grande crevasse, qu'il faut poursuivre par un étroit couloir très pentu. La moindre erreur, un crampons mal encré, et se pourrait être la chute. L'arrivée semble ne pas en finir. Je pensais apercevoir le sommet depuis déjà un bon moment, mais il ne se laisse toujours pas dompter. Enfin il reste 200 mètres de versant très abruptes, avant de se hisser au sommet. De nouveau, mes forces sont là et nous avons repris un pas bien cadencé que l'approche accentue encore. Sur cette dernière ligne droite, je suis envahi par une forte émotion à la sensation de toucher ce que nous projetions depuis des mois. Les larmes coulent sur mes joues. Des jours de préparation, une nuit blanche et des heures d'effort pour atteindre un but sans consécration. Mais ce que je ressens est bien plus que de la consécration. C'est l'aboutissement d'une vision, pour un moment de communion et d'extase avec le plus haut volcan du monde. Il faut encore quelques efforts avant de nous affaler dans la neige, fatigués par une ascension longue et difficile. Je prends Alexandre dans les bras. Nous nous roulons sur le manteau neigeux, hurlant notre joie. C'est un moment intense de congratulation. Je le remercie de m'avoir amener jusqu'en haut. Nous sommes les premiers au pied du cratère. L'espace est vierge. Lorsque j'ai repris mes esprits je m'enivre encore de la vue grandiose et étendue que j'embrasse. Le vent balaye les nuages qui alernativement occultent puis laissent libre le cratère vivant du Cotopaxi. La carte postale est sous mes yeux. C'est alors qu'arrive une seconde cordée en duo. Alors que nous nous apprêtons à redescendre et que je pense que Vincent n'arrivera plus, le voilà qui termine lui aussi son ascension dans les pas de son guide. Il est fatigué, et n'a pas mangé. Il a eu peur par endroit au point de vouloir à plusieurs reprises abandonner. Il ne s'est plus ce qui l'a poussé à atteindre l'inatteignable. Mais il est là, au sommet du Cotopaxi, à 5697 mètres d'altitude, poussé par la passion et les images qui se bousculent. Déjà son guide souhaite redescendre car l'heure est bien avancée, et les conditions sur le glacier risquent de se dégrader dangereusement.. La descente est longue et difficile pour les muscles et l'organisme qui demande du repos. A 10h15, vacillants sur nos jambes, nous retrouvons Nicolas au refuge. A peine le temps de souffler et de refaire les sacs, que nous devons redescendre au parking, 300 mètres plus bas, avec un vent fou qui soulève les poussières de terre.     

Photos Cotopaxi

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Quatrième partie: Les iles Galapagos

De San Cristobal à Santa Cruz...

Jour 25 :
  Vincent et Nicolas sont partis depuis hier soir par un bus de nuit, pour Coca, afin de rejoindre Bataburo et le cœur de l'Amazonie que j'ai côtoyé il y a deux semaines. Je m'apprête à rejoindre l'aéroport, direction les Galapagos. J'ai appris hier soir que le bateau sur lequel je devais embarquer pour quatre jours est à quai pour maintenance. Il a subit de gros dommage lors de sa dernière sortie. Le tour programmé est donc annulé. Je décide tout de même de m'envoler pour l'archipel, malgré les difficultés de trouver une embarcation au dernier moment, à cette époque-ci.
  L'avion atterrit à San Cristobal en fin de matinée. Avant de quitter l'aéroport, il faut s'affranchir d'une taxe de cent dollars pour l'accès au parc. Arrivé au centre, je suis accueilli par une colonie de lions de mer, sur la plage du centre. Quelques pélicans profitent du soleil. De gros crabes rouges se promènent sur les rochers. Je vais me promener sur les sentiers qui partent du centre d'interprétation. C'est un site qui apportent de nombreuses informations sur les origines, la faune et la flore des îles. Après avoir rejoint une première plage, je file vers Cerro Tijereta. C'est historiquement ici qu'a débarqué, deux cents ans plus tôt, Charles Darwin lors de son arrivée aux Galapagos, durant son tour du monde. C'est donc également ici le point de départ d'une aventure formidable qui aboutira à la théorie de l'évolution des espèces.
  Depuis San Cristobal, il n'y a pas possibilités de se rendre sur d'autres îles, exceptées les îles proches. Je suis donc contraint de partir le plus tôt possible pour Santa Cruz, capitale touristique de l'archipel. Pour ce soir, j'ai trouvé une petite chambre chez l'habitant. Demain matin je me rendrai au port. Je ne sais pas encore comment, mais je vais devoir compter avec la ruse et la chance pour planifier mon séjour dans ce paradis animalier.
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Dim 26 :
  Vers 8h30 la lumière est encore douce dans le port. Sur la place du centre, la colonie de lions de mer est encore endormie. Je les observe longuement s'étirer, ouvrant péniblement un œil lorsqu'un bruit un peu plus haut que les autres brise le calme matinal. Un gros mâle pousse des cris rauques et poussifs. Il déambule parmi les femelles allongées, montrant à son harem sa présence forte. Un petit roule sur les adultes. Deux autres tètent leurs mères, en laissant s'échapper les bruits de leurs suçotements.
  Je rejoints l'embarcadère, et de bouche à oreille, tente de trouver une place sur un bateau. Malheureusement je ne parviens pas à trouver de disponibilité, malgré le dévouement de plusieurs personnes. Je dois me rendre à Santa Cruz où j'aurai plus de chance. Je prends donc un billet pour l'île, à bord d'un petit bateau à moteur, une " lancha ". Avant de partir, je prends soin de réserver une sortie pour quelques jours plus tard, dans l'éventualité où mon séjour sur Santa Cruz ne se verrait pas fructueux. La traversée est agitée par les remous de l'océan. Je suis par moment projeté en arrière lorsque la houle forcit, mais mon estomac tient bon. Peu avant d'entrer dans le port, un problème technique sur un moteur oblige le capitaine à couper les gaz. C'en est assez pour que les oscillations provoquées par notre position statique viennent à bout de ce que j'ai ingurgité ce matin.
  Dans le port, de nombreux pélicans surveillent l'arrivée des visiteurs. Tantôt ils volent au ras de l'eau, tantôt ils planent dans les airs, relançant leur élan par quelques battements d'ailes. C'est amusant de les voir piquer quasiment à la verticale lorsqu'ils ont repéré leur proie. Ils disparaissent alors totalement sous l'eau et en ressortent quelques instants plus tard, leur nourriture dans leur long bec.
  A la station Darwin, je visite plusieurs bâtiments qui expliquent les causes géologiques des îles. Autour du site, différentes espèces de tortues vivent en captivité, dans de grands enclos naturels. On peut notamment croiser Georges, la dernière tortue de son espèce, trouvée en 1971 sur l'île de Pinta. Sur une plage de basalte, des iguanes marins se dorent au soleil.
  A la tombée de la nuit, je me promène sur le port. Je tiens compagnie à un pélican posté sur une rambarde en bois, au dessus des eaux. Assis à deux mètres de lui, je le regarde. Son bec gratte son plumage. Son œil tente de communiquer. Il semble intéressé, mais cela doit sûrement être un nouveau tour de mon imagination. Soudain il plonge à pic…
  Dans les rues sombres qui mènent à mon hôtel, je croise un guide rencontré plus tôt dans l'après-midi. Il me donne des informations qui me seront peut être importantes pour la suite. Il doit demain matin me conduire à une agence. Il semblerait qu'une place soit disponible à bord d'un bateau. Les choses ont l'air de tourner à mon avantage. Pour l'heure je conclus une sortie dans la baie de l'île. Demain est un autre jour…
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Oh Gaby!

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Jour 27 :
  Avec un peu de retard, je rencontre le guide de la veille. Il est mon intermédiaire, qui me conduit à une agence locale. On me propose un bateau, le " Gaby ". L'itinéraire qu'il suit me convient parfaitement, seulement il accoste le 5 à San Cristobal. Or mon avion part le 4 !! Le bateau arrive donc un jour après mon départ…L'agence vérifie la possibilité de reporter mon vol. Cela semble possible.
  Pour le moment, je pars avec le guide pour un tour dans la baie de Puerto Ayora. Nous marchons au milieu de quelques cactus, dont certains ont deux cents ans. De là, nous accédons à une plage de lave refroidie, où des iguanes marins font une sieste, gardés par des pélicans, que j'observe à moins de deux mètres. Le moment est venu d'aller à l'encontre d'une colonie de lions de mer, sur un îlot à quelques minutes de bateau. La première rencontre aquatique avec ces animaux était tant attendue qu'elle parait presque naturelle. Tandis que je nage dans les eaux fraîches de la côte, agité par les courants qui brassentdes bouffées d'océan contre les rochers, les lions de mer s'enroulent autour de moi, dans un agile balai. Leurs grands yeux ronds m'observent, et leurs moustaches me caressent. Curieux, et joueurs, ils s'approchent à quelques centimètres. Nos quatre yeux se fixent, leur gueule contre mon visage. Ils semblent intrigués, mais pas apeurés, et se déplacent dans l'eau avec une élégante fluidité.   
  Plus loin, dans une lagune turquoise, des dizaines de requins ne semblent pas prêter à attention à ma présence étrangère. Légèrement angoissé par la présence inquiétante de ces carnivores marins, je devine leurs corps allongés, de deux mètres environ, stagnant au fond de l'eau. Plaquée contre le sable du fond, une raie se déplace lentement.
  Je n'ai toujours aucune certitude quand à mon embarquement sur le bateau, qui mouille cette nuit dans le port, avant de quitter l'île demain matin. Je fais confiance aux rapports humains. C'est ainsi que je repars, sous les propositions du même personnage, à la rencontre des tortues géantes, qui vivent en liberté à une 
vingtaine de kilomètres au nord de l'île. Je rejoints pour cela un groupe. Ce sont les passagers du Gaby, ainsi que le guide du bateau. Sans le vouloir, je commence mon insertion dans la croisière. Pourtant, je n'ai rencontré personne, et je n'ai rien payé ni signé.
  Dans la réserve, le 4*4 est obligé d'éviter quelques carapaces immobilisées au milieu de la piste. J'observe ces mastodontes se déplacer avec lenteur. Incroyable contraste de force tranquille. Je les regarde manger, arracher l'herbe de leur bouche puissante. Lorsqu'on s'approche de trop prêt, ils disparaissent sous leur protection en dur, poussant des grognements de mécontentement. Comme tout les animaux de l'archipel, les tortues ne fuient pas devant l'homme. Elles en seraient de toute façon bien incapables. Leur vue aspire au respect de la nature qui a su conserver des animaux si prodigieux. Sur le sentier qui sillonnent leur propriété, je guète la présence des herbivores, comme un enfant cherche les œufs de paques dans le jardin.
  De retour au port, une nouvelle m'attend. Il est 17h30. Je devais passer à l'agence de la Tame (compagnie des vols intérieurs entre les Galápagos et le continent), afin de modifier la date de mon billet retour vers Quito. Seulement, à cette heure-ci les bureaux sont fermés. Mon intermédiaire promet de s'occuper des modifications le lendemain matin. Plus bluffant encore, la place disponible qui m'était virtuellement destinée a été convoitée par une autre personne. C'est encore lui qui a réglé les 280 dollars négociés. Je ne sais toujours pas si tout cela est réel où une manipulation. Je décide de lui faire confiance jusqu'au bout, et lui verse la moitié de la somme, après avoir fait une première visite à bord du bateau, alors que je ne possède aucun reçu. Après mangé, je remonte avec lui sur le Gaby, et j'emménage dans ma cabine, rejoignant ainsi mes compagnons de l'après midi. C'est une cabine double, avec une salle de bain. La pièce est très humide, moite et il se dégage une forte odeur de renfermé. Mais je suis à bord. Le hasard du chemin m'a délivré mon laissé passer. Je remercie mon guide, sans qui cela n'aurait pas été possible. Il rejoint le port à bord d'un canot à moteur. L'ambiance à bord est cloisonnée, intimiste et détendue. Je m'installe sur le pont, contempler les lumières du port, heureux d'être à bord du Gaby…
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Rabida, North Seymour et les autres...

Jour 28 :
  Malgré les secousses, la nuit a été bonne. Parfois j'ai eu peur de tomber du haut de mon lit superposé, oscillant régulièrement avec le roulis du bateau. Ce balancement ainsi que le ronronnement du bateau bercent mon sommeil. Je suis souvent éveillé, mais j'ai l'impression de profiter davantage de la nuit, paisible bien qu'agitée. Au réveil, nous sommes encrés auprès de l'île Rabida. C'est une plage de sable rouge qui s'étend le long de falaises abruptes. Des lions de mer s'y prélassent. Les bébés lionceaux cherchent le lait maternel, en poussant de petits gémissements attendrissants. Les caresses de la mère qui choit son petit est d'une beauté touchante. Sur ces îles, la nature offre ce qu'elle a de plus beau, sans que l'homme ne vienne perturber, par sa seule présence. Ici l'être humain n'est pas un prédateur, et la vie s'écoule paisiblement pour les animaux. Plus loin, des pélicans nichent dans un lit de branchages méticuleusement tressé. Les petits prennent la becquée dans le bec démesurément grand, à leur échelle, de leur mère. De l'autre côté de la falaise, deux flamants roses se nourrissent d'organismes microscopiques, dans la lagune, du haut de leurs longues pattes articulées. Il est amusant de voir ces échassiers se déplacer, du haut de leurs fines pattes. On se demande presque comment leurs membres  inférieurs peuvent supporter la masse de l'animal,  tant ils  
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semblent fragiles comme des baquettes de verre.
Avec masque, tube et palmes, je m'éloigne de la plage. Le long des rochers, l'eau peu profonde dévoile des poissons multicolores. Un lion de mer danse longuement avec moi. Sous l'eau, son museau s'approche à quelques centimètres de mon visage. Il a l'air de me parler tant ses gros yeux sont expressifs. Plus loin encore, un iguane de mer est posé sur les récifs, à deux mètres de profondeur. Il mange les algues qui recouvrent le rocher. Je l'approche si près que je peux voir les traits de son rictus lorsque sa bouche déchiquette les morceaux d'algues. Plus tard, lorsqu'il aura terminé son repas, le corps refroidi par la température de l'eau, il en ressortira, et s'étendra sur les rochers, à la recherche de la chaleur des rayons du soleil. A la limite de l'inactivité, il attendra que la température de son corps remonte afin que son métabolisme retrouve une activité normale.
    Sur une langue de rochers, un manchot des Galapagos se tient droit. Son ventre est blanc tandis que le reste de la surface de son corps est noire. Bientôt, deux autres manchots nagent à sa rencontre pour venir l'embrasser. Notre canot à moteur ne les effraie pas. Nous observons le déplacement de ces animaux, peu agiles sur terre.
  Nous reprenons la route de l'océan, et naviguons jusqu'à Chinease Hat. L'île est totalement différente. C'est une plage de sable blanc, fin, où se dore une nouvelle colonie de lions de mer. La présence de ces mammifères est maintenant coutumière. Quelques mâles se pavanent dans l'eau, ou plutot s'ébattent dans les faibles profondeurs du bord de plage. Leur attitude est  souvent merveilleuse. On dirait qu'ils sentent la présence de l'objectif, et prennent leur plus belle pose. Ajoutons une eau turquoise, sous le soleil qui réchauffe, et l'ensemble revêt un paysage de carte postale. La plage est entourée de lave refroidie où des iguanes sont regroupés. Les gros crabes orange courent dans les escarpements de la roche. C'est amusant de voir la rapidité avec laquelle ils se déplacent et se réfugient entre les rochers lorsque nos pas vibrent sous leurs pinces. Nous sommes à quelques pas de la plage, mais depuis là, la côte ressemble à la Bretagne, découpée et fractale. Lorsque nous remontons à bord du bateau, c'est pour plonger, loin des courants forts qui agitent les bords des récifs. Une raie d'un mètre cinquante couvre le fond sableux. Un requin passe au dessous de moi. Je suis une tortue de mer sur quelques dizaines de mètres. Je m'approche si près que je pourrais la toucher. Elle mange et découpe de sa gueule les plantes accrochées aux rochers. C'est fascinant d'être au cœur de l'activité sous marine, et de ne pas avoir d'incidence sur son comportement.
  Bientôt les moteurs de Gaby se remettent en fonctionnement. C'est le moment pour moi de rejoindre ma cabine et de m'allonger sur mon lit, durant la courte traversée. C'est le moyen efficace que j'ai trouvé pour parer au mal de mer, que l'océan agité rend d'autant plus réel. Je craignais et appréhendais ce mal avant le départ, mais j'ai trouvé un remède meilleur que les comprimés homéopathiques. Lorsque l'encre est lâchée, et que le vrombissement cesse bientôt, nous sommes accostés devant l'île Bartholomé. La nuit progressivement s'éprend de l'océan…

Jour 29 :
  Nous nous levons à heure matinale pour rejoindre un sentier  qui se hisse jusqu'à un belvédère. C'est sur de la lave fragile que nous montons par un escalier en bois emménagé. Comme toujours l'itinéraire est strictement fléché et balisé afin de ne pas s'en éloigner, et de ne pas altérer en quoi que ce soit l'original naturel. Du sommet, une vue magnifique permet d'admirer des dômes volcaniques, aux pieds desquels déroulent deux plages de sable fin accolées. Une végétation grasse, verte, sépare les deux langues de sable. De retour au bateau, nous y prenons notre petit déjeuner, avant d'aller poser les pieds sur une des plages. A deux mètres du bord de l'eau, trois pingouins prennent un bain dans un fond d'eau tiède, à quelques brasses du bord. C'est le moment des rencontres aquatiques. J'apprécie toujours autant ces poissons au corps rond, grisâtre, et à la queue jaune, au milieu desquels je nage, sans que la masse ne fuit, presque comme si j'étais un des leurs. Je croise bien distinctement, en dessous, un requin, qui ne porte manifestement pas le même intérêt à ma présence que j'en porte à la sienne.
  Le moteur remet bientôt les gaz pour trois heures de navigation qui nous emmènent jusqu'à North Seymour. C'est l'île rêvée pour l'observation des oiseaux. En débarquant, je me retrouve nez à nez avec deux individus d'une espèce dont j'ai oublié le nom. Je suis plus surpris qu'eux qui ne s'écartent même pas tandis que je faillis mettre mon pied sur leur plumage. Pour la première fois depuis mon arrivée, j'observe les boobies, ces fous à pattes bleus, colorées par leur alimentation microscopique. C'est fascinant de les voir si près, d'observer leurs mimiques, leur démarche. Au lieu de fuir, en voici un qui s'avance vers moi, me passe à quelques centimètres, sans aucune crainte, m'obligeant quasiment à reculer. Leur déplacement saccadé porte à sourire. Deux petits yeux verts, ronds, symétriquement disposés de part et d'autre d'un long bec pyramidal, ainsi qu'un pelage soigné au dessus de la tête, donnent un air sympathique et jovial à cet oiseau emblématique. On peut voir les nichées et observer les oisillons battrent des ailes. Un autre oiseau si particulier est la frégate. J'ai pu jusque là l'observer, sur d'autres îles, ou bien nous suivre au dessus du bateau, mais pour la première fois je peux observer la parade amoureuse. Les males gonflent leur grande poche rouge qu'ils ont sous le cou. Cette parade, accompagné de leur cri caractéristique, est destinée à attirer la convoitise des femelles.
  Sur le sol, l'iguane terrestre n'est pas plus menacé. Des spécimens de cinquante centimètres, à la coloration variant entre le gris et le jaune, selon les mues, se promènent sur le sol.
  En voguant vers Punto Carillo, nous sommes pris d'exaltation devant un orque dont l'aileron fend l'océan. Le capitaine a coupé les moteurs afin de l'approcher sans faire de bruit. Nous sommes tous sur le pont pour partager ce spectacle magnifique. C'est une émotion étrange et commune qui nous saisit chaque fois que le cétacé cambre son corps hors de l'eau, dans une fluidité et une photogénie parfaite. C'est une étrange expérience aussi que de sentir, à l'unisson, l'admiration devant ce mammifère, longtemps chassé par l'homme. Peut être est-ce justement parce qu'il a été longtemps et beaucoup chassé, et que malgré ce combat à sens unique, la baleine ne semble pas en vouloir à l'homme. S'il l'est encore par certains peuples, la vue d'un tel spectacle devrait à lui seul leur faire passer l'envie de s'acharner contre ce messager des eaux.

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Jour 30 :
  De très bonne heure, le bateau démarre pour l'île de Plaza Sur. A 6h15 nous sommes prêts à aborder. C'est une île sèche, semée de cactus et de plantes rouges. Sur une falaise d'une dizaine de mètres, nous observons ce que l'océan nous propose, dans l'agitation tumultueuse des vagues qui frappent la paroi. Un requin passe, un banc de poissons fait une apparition. Les lions de mer dorent au soleil. Des iguanes terrestres se pavanent sur les rochers. C'est une espèce différente de celles que nous avons déjà vu jusqu'alors. L'endémisme que nous rencontrons sur ces îles distantes de quelques kilomètres est époustouflant. La nature a su conserver ses particularités, et s'adapter aux besoins pour préserver sa survie.
  Le breakfast est le bienvenu, avant de repartir en direction de Santa Fée, dernière étape de ma croisière à bord du Gaby. Pour l'ultime fois, nous observons les gestes de la vie des lions de mer sur une plage de sable blanc fin, sur laquelle nous accostons. Ils aiment se dorer, le dos dans l'eau, les nageoires en l'air, et le ventre au soleil. Il s'agit de leur manière à eux de bronzer en manifestant leur contentement. Un iguane terrestre m'offre une pause, sur son profil, en gros plan. Nous suivons un sentier qui nous fait ressortir sur une seconde plage de sable blanc. Puis nous revenons sur le bateau, afin de nous équiper de notre  matériel de snorkelling, 
et d'immerger près des rochers, en direction opposée des plages. Je ne me lasse pas de m'immiscer parmi ces poissons ronds, jaune et gris. Je les suis, en apnée, comme si j'étais moi même un poisson géant, un des leurs. Rapides et agiles, ils fendent l'eau de leur corps profilés. Une grosse raie repose au fond. Quelques lions dansent pour moi, encore une fois. Je remonte m'asseoir sur les rochers émergés, la moitié du corps dans l'eau. Le spectacle est merveilleux. Je tiens à profiter de ces instants magiques. Un pélican ingurgite quelque plante juste derrière moi. Les gros  crabes rouges courent sur les rochers. Un lion va et vient dans les pourtours. L'océan est bleue turquoise, et sur ses flots flotte le bateau de ma traversée.
  Après le lunch, c'est le moment de poursuivre la route vers la fin du voyage. Quatre heures sont nécessaires pour terminer le voyage et jeter l'encre dans le port. Avant d'y entrer, je surprends, depuis le pont, les sauts répétés d'un dauphin qui surgit hors de l'eau. J'y vois le message de la nature qui me remercie au nom de la vaste communauté de la faune de l'archipel, pour le territoire préservé. Elle me salue, et par la générosité de l'émotion qu'elle sait si bien faire passer, me souhaite bon vent.
  Après le dîner, nous partons en ville, boire une bière ou deux, dans un bar branché. Avant même les premières gorgées, les têtes dansent, symptômes de réaccoutumance aux pieds sur terre. Nos cerveaux doivent se réadapter aux repères d'un sol stable. C'est la soirée d'au revoir, et nous souhaitons en profiter. A l'heure dite, la navette censée nous récupérer n'est pas au port. Nous prenons finalement un bateau taxi pour retrouver notre bateau, pour la dernière nuit à bord. Nous buvons un verre, écoutons de la musique, puis jouons à un jeu de cartes que j'ai découvert la veille. A deux heures, je descend dans ma cabine me coucher, tandis que les anglophones prolongent la soirée…

Jour 31 :
    Cette fois, nous quittons définitivement notre hôtel flottant, ou plutôt notre espace de vie. Le groupe part visiter le centre d'interprétation. Quand à moi, qui l'ai déjà visité, je flâne en ville à quelques achats.
    Nous nous retrouvons au débarcadère, à l'heure de récupérer nos bagages. C'est le moment des congratulations entre ceux qui partent pour l'aéroport et ceux qui restent sur les quais. C'est un  moment solennel, comme ci ces instants marquaient la prise de conscience que nous venons de partager des moments intenses. Pour ma part, une heure avant le départ du vol, je ne possède toujours pas de billet pour embarquer. Mon départ ayant été reporté d'un jour, le seul billet que je possède est celui pour un vol de la veille ! Malgré les tentatives du capitaine du bateau d'obtenir des informations, le seul moyen qui me soit donné est de faire le change du vol, directement au guichet, dans la mesure de la disponibilité des places. C'est ainsi qu'après quelques discussions et plusieurs guichets, je me vois attribué un billet pour le prochain vol.
    Je rejoins donc Quito en milieu d'après-midi, puis Vincent et Nicolas, à l'auberge Inn, notre carrefour de rencontre. Tous deux reviennent de la Mitad del mundo, qui est la ligne de partage des hémisphères nord et sud, où certains phénomènes physiques prennent une signification…

Photos des îles

http://picasaweb.google.com/Destinationphotos/Galapagos?authkey=_xyGoW_NHD4#
 
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Conclusion

  Lorsque je me retourne sur les routes et les cols équatoriens, sur les heures passées à parcourir quelques infimes pas sur le sol du pays, il me revient certaines images fortes. Le retour à la vie quotidienne et le recul sur les moments achevés font surgir, telle la partie émergée de l'iceberg, les sensations et émotions qui marquent un voyage.
  En Amazonie, c'est une atmosphère particulière que j'ai ressentie, en étant mêlé durant quelques jours à l'ambiance de la forêt primaire. En découvrant la jungle, et les fantasmes les plus redoutables qu'elle fabrique dans les esprits européens, je me suis aperçu non seulement que des hommes vivent en son sein, mais qu'elle représente un monde de vie à part entière. On ne peut pas la combattre pour la vaincre, mais on peut la respecter pour qu'elle nous accepte. En quelque sorte, mon passage aura contribuer à démystifier l'enfer vert de l'Amazonie. C'est un lieu de vie extraordinaire pour une faune qu'il est bien difficile d'apercevoir dans la densité de la végétation.
  En remontant la sierra, c'est-à-dire la cordillère des Andes équatorienne, je me suis rendu compte que dans ce pays, les Andes ne sont pas l'image d'une chaîne continue, vaste, élevée. Ici se succèdent des sommets épars. Alexander Von Humboldt a surnommé cette zone l'avenue des volcans pour cette raison. Mais d'étape en étape, il s'est avéré relativement aisé de franchir les marches de l'altitude pour me hisser jusqu'à 5897m, au sommet du Cotopaxi. Ce fût une ascension qui marquera le voyage. Quelle émotion ressentie en approchant le sommet, tandis que des mois avant, je visualisais déjà son nom sur une carte ! La réussite dans la montée au sommet fût multiple. Il fût en premier lieu le la possibilité de m'élever au-delà des 5000 mètres d'altitude. Mais cela sous entendait une question fondamentale qui est celui de l'adaptation à l'altitude. Pourrais-je atteindre ces hauteurs ou serais-je rattrapé par le mal aigu des montagnes ? Enfin, et surtout ce fût l'aboutissement d'un projet ainsi que d'un investissement. En soit, qu'est ce que gravir un sommet peut bien représenter, dans un pays où la plupart des habitants n'auraient même pas de quoi louer le matériel ? La réponse en est : rien, mais ne pas le gravir n'aurait pas contribué à les rendre moins misérables…
  Enfin en voguant d'île en île sur l'archipel des Galapagos, j'ai découvert un monde bien différent de celui que nous avons l'habitude d'appréhender. Dans la course folle de la vie, nous n'avons même plus le temps de nous arrêter pour discuter avec notre voisin. Tout s'accélère. Tout contact devient fuyant. Sur ces îles, tout est intact. La vie d'hier est la vie d'aujourd'hui. Les animaux ne fuient pas l'homme, et nous invite même au spectacle de leur vie. Nager avec un lion de mer aura été une expérience fabuleuse. Si le langage l'avait permis, il aurait été possible de chuchoter avec des fous à pattes bleues, tant la proximité fût grande et l'observation si minutieuse qu'un être cher ne la tolèrerait même pas. Le bleu turquoise des eaux, le blanc ou le rouge du sable, la rugosité de la lave froide, sont le décor changeant qui aura donné lieu à un contact et un respect mutuel d'espèces qui en d'autres lieux se seraient opposé…l'homme et l'animal.
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Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeuxMarcel Proust