 | |  Carnet de route |  | |
|  Plus de photos... |  | |
|  Voyage en musique |  |
|
|  Vidéos |  | |
|
|  | |  | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | | |  | Qu'est-ce qui intrigue et fascine les infatigables voyageurs : De grandes étendues sauvages où le regard n'a qu'à cueillir les images pour se sentir absorbé dans un milieu qui ne lui appartient pas ? Lever les yeux et rêver d'appartenir à un monde qui n'est pas le sien ? Côtoyer la différence, et l'inconnu pour mieux se trouver et se découvrir ? Découvrir encore ce que l'autre possède ou convoite, pour comprendre qui nous sommes ? Voyager, c'est avancer au rythme lent qui est le notre, échanger un regard perdu, et chaque fois sentir la raison d'exister. Parcourir le monde, c'est feuilleter un livre d'évasion, se gonfler d'émotions et de sensations nouvelles, et enrichir sa propre connaissance. C'est aussi les partager et donner l'envie, transmettre la passion. Pourquoi partir si loin, pour idéaliser cet accomplissement ? Certains se suffisent à eux-mêmes, ou le pensent en voyageant à travers les livres, les reportages. Pour d'autres, la vérité se trouve dans l'acte et le besoin de réaliser ses fantasmes d'aventuriers. Toucher, sentir, entendre…faire participer tous ses sens au spectacle de la vie. Parce que notre cerveau peut puiser dans sa mémoire l'odeur de la muscade, mais notre odorat sait bien mieux apprécier les parfums qui émanent des étals d'épices. Partir à la conquête de l'au-delà, c'est faire parler les mots, c'est faire vivre l'inanimé. Quand l'interrogation jaillit, il y a toujours quelqu'un, quelque chose qui possède une réponse. Allons voir par nous- mêmes, toucher du doigt les éléments de notre enrichissement. Lorsqu'on côtoie le palpable, une anecdotique pensée, un insignifiant geste prend une signification décuplée. Pour ces sincères raisons nous cherchons à devenir acteurs de nos propres idéaux, de nos semblables illusions pour porter en nous la richesse du vécu… Quelle contrée est plus porteuse de fascination dans les mémoires occidentales que l'Inde ? Ce pays, à travers Bouddha, et nombreuses religions, évoque chez nous le mysticisme oriental. Les images reçues de l'indouisme, de la sagesse du sadhus, de la bienveillance du sikhs, ou encore du sacré de l'animal, nous éveillent, nous intriguent. Les prières portées par des croyances fondamentalement différentes de celles que nous côtoyons, nous transcendent. Les palais et princesses rivalisent de beauté dans une magie inspirée des milles et une nuit. Les tenues et les danses chavirent dans les nuits indiennes. Oui, il est vrai que l'Inde fascine les occidentaux parce qu'elle représente un idéal, une vague d'inspiration dans la quête d'un sens à donner à la vie. Comme beaucoup d'entre nous, je désire moi aussi me lancer dans cette recherche universelle. Si la vie en elle-même n'a pas de sens, il est bon non pas d'en chercher un, mais d'en trouver un à la sienne. Je pense avoir trouvé le mien. Aussi ce n'est pas en accomplissant une démarche mystique que je désire accomplir ce voyage, mais pour comprendre cette quête insatiable qui attise grand nombre de voyageurs. C'est un pays immense, près de six fois la France, vingt fois sa population. L'Inde n'est pas le pays d'un voyage, mais peut être celui d'une vie. Il y a des années qu'une région himalayenne figure dans nos esprits comme le graal du trek : le Ladakh. Partie indienne de la vaste chaîne de montagnes où culminent les quatorze huit milles de la planète. Ici comme ailleurs, le tourisme est en train de prendre du terrain, de s'intensifier. Là où il y a quelques années, on ne dénombrait que quelques hôtels et agences de voyages, les sites se trouvent aujourd'hui en profusion. Profitant notamment des difficultés qui règnent au Népal, la région voit arriver les trekkeurs un peu plus nombreux chaque année. Avant que le Ladakh ne devienne aussi victime de la route "coca cola", forte symbolique de l'omniprésence de l'étranger sur un terrain conquis, ce petit espace de liberté voit la raison de s'y rendre immanquablement grandir. Là bas aussi les ethnies voient leur salut devenir tributaire du tourisme. Certes ce sont les devises qui permettent la marche en avant pour leur évolution, et l'amélioration des conditions de vie. Mais le danger est omni présent de pervertir leur mode de vie traditionnel, et à terme d'être responsable de la disparition une culture. Le dilemme est chaque fois le même. On ne peut refuser cette avancée qui est salutaire pour les peuples, mais on ne doit pas imposer une extinction des traditions ancestrales. Même si cela parait inévitable dans un futur plus ou moins proche, chacun à pour mission d'accomplir un tourisme viable, équitable. Et pour cela, il faut prendre en compte les autochtones, et ne pas perdre de vue que ce sont leurs terres que nous foulons, et que nous ne sommes que des invités témoins. Vincent projette également l'Inde comme destination estivale, et Stéphane sera du voyage. Pour lui, le Ladakh représente le danger de l'avenir. Alors, ensemble, c'est vers ce petit bout de montagne que nous nous envolerons. Sans lui cette aventure n'aurait pas pris naissance. Je voulais voir l'Inde profonde, la vie le long de la vallée du Gange, côtoyer le fourmillement du fleuve. Je partirai marcher sur les traces du bouddhisme du nord, dans les fortes traditions tibétaines. Notre périple se déroulera en trois parties. Tout d'abord nous toucherons le pays en périphérie de la capitale Délhi, où nous resterons quelques jours à prendre connaissance d'un mode de vie palpitant, dans un environnement étonnant. Durant ces quelques jours, nous descendrons vers le sud, à la découverte d'un des palais les plus célèbres au monde. Le Taj Mahal évoque l'amour à travers la légende qui le fait vivre. Serons nous touchés par cette vague de romantisme qui s'est emparé de tant de voyageurs? Après ce laps de temps, d'imprégnation à la culture hindouiste, et la découverte de citées impériales, nous reprendrons l'avion pour nous élever jusqu'à Leh. Capitale du Ladakh, cette petite ville aux dimensions touristiques, sera notre point central pour rayonner dans un vaste périmètre, où nous partirons à la découverte des monastères de la région. Dans les temples, nous rencontrerons un rituel de vie encré par la présence des moines bouddhistes. Nous rejoindrons ensuite en véhicule motorisé, le lac Tso Kar. Ce sera le point de départ d'une traversée à pied de dix jours, en haute altitude, à travers la région du Spiti, où vivent de nombreuses familles de nomades. Paysage sauvage, esseulé, ce trek sera l'occasion de se confronter à des questionnements personnels. Quelle sera notre réaction face à l'isolement prolongé ? Comment notre organisme se comportera-t-il dans de telles conditions d'altitudes? Au-delà des interrogations intérieures, quel spectacle naturel sera notre quotidien ? Après cette expérience, nous entamerons la longue redescente vers la capitale. Manali, escale de choix, sera pour moi un lieu de rencontre avec les enfants d'une école de nomades. Comment va la vie pour ces gosses de la rue ? Enfin, la route, vers le sud nous conduira jusqu'à Shimla où les singes seront nos hôtes dans les rues désertes de la nuit bleutée. Cette ultime étape nous permettra d'achever une grande boucle, en retrouvant la capitale des premiers jours. Ne perdons plus de temps, et immergeons nous dès à présent dans un univers de sensationnel….
|
| |  Première partie: Arrivée à Delhi |
|  Chapitre 1: Delhi la trépidante |
| Jour 1 : 7 heures du matin. 7 heures de vol depuis Munich. La température décroît lentement au fur et à mesure que l'indicateur de l'altimètre de l'avion nous rapproche du sol. Au passage de la douane, nous jaugeons l'efficacité de l'administration indienne, à la vue d'une file d'attente peu conséquente, et qui pourtant traîne à avancer. Les odeurs d'humidité dans les couloirs de l'aéroport annoncent la moiteur du climat qui nous attend. En franchissant le seuil nous sommes happés par la chaleur. Le taxi qui nous conduit au centre de Delhi, donne une bonne estimation de la cohue qui règne dans la ville. Taxis, rickshaw, piétons et autres animaux emplissent les routes et les rues, et s'entremêlent dans une conduite chaotique. Chacun fraye sa place, impose son véhicule, slalomant entre les files multiples qui s'étirent étroitement sur des distances interminables. La cadence menée par notre chauffeur est rythmée par un concert de klaxons qui me rappellent mes impressions lors de la découverte d' Hanoi. Nous avons pénétré dans la jungle de la capitale…A peine rejoins notre hôtel, que déjà nous entamons les négociations. Après le chauffeur du taxi, il s'agit de notre seconde prise de contact. Rouler dans les ramifications des rues demande patience, conviction, et assurance. Acheter un billet de transport, et en particulier un billet de train est une opération encore plus longue et fastidieuse. Nous demandons de nombreux renseignements et monopolisons à cet |
| |
| effet les réceptionnistes de l'hôtel. Se rendre dans un guichet ne s'avère pas la meilleure des idées, dans la mesure ou pour commander un billet, il faut déjà connaître le numéro du train en partance. Nous faisons donc usage d'internet, allié parfait en toute circonstance et en tout lieu. Mais l'utilisation de ce moyen de communication, sensé faire gagner énormément de temps, s'avère là encore une chose fastidieuse. Les générateurs qui alimentent les quartiers en électricité sautent fréquemment, et régulièrement nos vaines recherches sont anéanties. Il est à ce sujet assez incroyable d'observer le réseau de câbles électriques. Il s'agit d'un amas totalement indescriptible de dizaines de câbles qui se s'entremêlent les uns avec les autres, pendouillant à quelques mètres du sol. Peu étonnant à la vue de cela de constater que l'alimentation électrique reste un élément très aléatoire, et très instable. Suite à cette longue quête, en guise d'introduction au rythme effrayant qui règne dans ce pays, nous partons nous immerger dans le fouillis des rues et ruelles de la ville. De la folie. De la chaleur. De la moiteur. Du bruit. De la puanteur. Tels sont les mots qui me viennent pour décrire l'univers que nous parcourons. Nos tee-shirts sont trempés par un taux d'humidité record. Les rues grouillent de monde. Une fourmilière humaine s'agite dans une organisation qui laisse songeur. Le bruit agresse nos tympans. Les odeurs nauséabondes heurtent nos papilles. Les vaches traversent les rues et se mêlent au dense trafic. La réalité de la vie et de la condition humaine éclate à notre vue. Mendiants, infirmes, gamins. La misère est le quotidien de la vie. Chacun tente de s'en sortir. |
| |  Chapitre 2: Du palais à la citadelle |
| | Jour2 : Nous avons un peu subit cette première nuit, à cause de la chaleur qui règne dans la chambre. La ventilation n'est pas d'un grand secours face au 37°C qui nous rend moite. Le décalage horaire n'arrange rien, et les quatre heures trente d'avance par rapport à la France perturbe notre sommeil. A 6h30, un bus nous attend, proche de l'hôtel. Le confort est très correct, et la climatisation souffle un air trop froid. Il faudra environ 4 heures pour atteindre Agra, lieu où s'érige le Taj Mahal dont la réputation n'est plus à faire. Il s'agit d'un lieu incontournable du tourisme indien. Nous nous sommes longuement posés la question de savoir si nous-mêmes souhaitions nous laisser happer par cet icône de l'amour. Certes, ce monument est certainement le plus célèbre du pays, et le gouvernement l'a compris depuis bien longtemps car il est également le plus cher. 15 euros pour le découvrir, ce qui à l'échelle du pays représente une somme démentielle. Malgré tout, nous allons utiliser les quelques jours dont nous disposons avant de s'envoler pour le Ladakh, pour voir l'immanquable. Deux murs de forteresse entourent le palais. Ce n'est seulement qu'en s'enfonçant sous la grande porte du second rempart, qu'apparaît soudainement le palais. Les architectes de l'époque ont admirablement dissimulé ce joyau, ne le laissant surgir qu'à l'ultime moment. C'est au fond de longues allées bordées de pelouses, au milieu desquelles s'étend un grand bassin d'eau, que se |
|
| dresse le palais de marbre blanc. Il y a beaucoup de monde, et la chaleur ralentit notre activité physique. Nos regards sont plutôt portés vers les indiennes, magnifiquement vêtues de saris aux couleurs chaudes. Nous déambulons dans les allées, faisons de longues haltes sur les bancs ombragés. Nous observons, à distance, le palais sous toutes ses facettes. La légende raconte que l'empereur Shah Jahan a fait bâtir ce tombeau gigantesque comme preuve d'amour envers sa femme défunte. Nous prenons la mesure d'être devant une œuvre immensément célèbre, mais cette évocation ne suffit pas à nous faire ressentir l'émotion sensée s'émaner du Tal Mahal. De longues heures, nous flânons, attendant que la lumière tombe. La nuit commence à nous rattraper. Les couleurs rougeoyantes du soleil tombant transpercent par quelques échancrures la masse nuageuse qui nous recouvre. Le palais prend une teinte rougeâtre, les jardins plongent dans un quasi silence tandis que les visiteurs désertent le site. Enfin le Taj Mahal dévoile par son architecture unique le mystère de ses cinq siècles d'histoire. Il flotte massivement et s'en dégage désormais cette atmosphère romantique que nous attendions. Enfin nous mesurons la dimension spirituelle de l'œuvre, et nous enivrons de la magie qu'il communique. Depuis que nous sommes arrivés, notre fermeté nous permet d'être tranquille quand aux harcèlements des rabatteurs. Les contacts sont toujours joviaux et les échanges partagés. C'est ce que j'aime dans cette vie trépidante où les différences sociales peuvent fausser les rapports. Qu'il est agréable de se retrouver dans notre chambre d'hôtel, où l'air ambiant est à température normale !!
Jour3 : À 23°C dans la chambre durant la nuit, nous avons eu froid. Je me suis levé à plusieurs reprises pour baisser la température de réglage de l'air conditionné. Nous récupérons tellement bien de notre manque de sommeil des jours précédents, qu'il est dix heures lorsque nous nous levons. Depuis l'aube, la pluie tombe suville. C'est aujourd'hui l'arrivée de la mousson. La pluie s'abat avec our la première fois de la saison. L'eau court dans les rues. Les parapluies noirs sont dépliés un peu partout. Nos pieds ainsi que nos pantalons trempent dans l'eau qui enveloppe le sol. Après plusieurs heures, l'intensité de la pluie diminue enfin. C'est le moment que nous choisissons pour nous faire conduire au fort rouge. Il s'agit d'une forteresse immense de 2,6 kilomètres de circonférence. L'intérieur est gigantesque. D'immenses cours sont entourées d'arcades géantes. Depuis ces arcades, de nombreux recoins se dissimulent, et des salles foisonnent dans une structure labyrinthique. Un chemin de ronde permet de surveiller la vallée qui s'étend. Nous imaginons volontiers les lignes de défenses scrutant l'horizon et les invasions ennemies. Nous devinons également les cavaliers Moghols chevauchant leurs montures dans le lointain. En face, le Taj Mahal flotte à distance, dans une atmosphère cotonneuse, prenant encore ainsi une autre dimension. Au bas des remparts, la rivière s'écoule lentement. Des animaux y trouvent la fraîcheur.
|
| |  | En début d'après-midi, nous montons dans un bus local pour Fatipurh Sikri. Les gens montent et s'entassent jusqu'à saturer le véhicule. Lorsque le bus ainsi rempli ne peut contenir davantage de passagers, ces derniers se hissent sur le toit, ou bien s'agrippent à l'échelle , à l'arrière du bus. C'est ainsi nous faisons le voyage, debout, maintenus aux barres de soutien, collés les uns aux autres, visages contre aisselles. Heureusement la pluie a fait chuter la température, car l'air aurait été difficilement respirable sous la chaleur des jours précédents. Le bus traverse de grandes étendues d'eau peu profonde. Derrière la vitre salle du fond, j'aperçois vélos et rickshaw qui fendent l'eau. Le trajet ne dure qu'une heure. Une fois installés, nous montons à la grande mosquée qui constitue la première partie, en libre accès, de la citadelle. Le domaine est immense. Nous y accédons par une grande porte. Beaucoup de locaux sont présents sur les lieux. La partie la plus impressionnante est le tombeau en marbre. A l'intérieur de la petite salle qui abrite la dépouille, des femmes déposent des pétales de fleurs sur le baldaquin en bois d'ébène. Des pèlerins chantent des versets coraniques à travers les ouvertures qui illuminent doucement le tombeau. L'atmosphère est étonnante, et tout ce cérémonial impose l'écoute et le respect. Dans la salle de prière, d'autres femmes viennent discuter de problèmes avec les imams. Beaucoup de jeunes travaillent sur les lieux et tentent |
| |
| de gagner quelques roupies en se faisant passer pour de faux guides. Nous échangeons quelques conversations avec des personnes sympathiques, attachantes et peu collantes malgré toutes les recommandations. Au retour de la citadelle, nous traversons la ville, véritable antithèse de ce que nous venons de voir. La vie est intransigeante, dérangeante. Seuls étrangers dans la rue principale boueuse qui transperce la petite ville, sous sommes dévisagés. Les enfants nous saluent, peu habitués à voir l'étranger déambuler devant leur porte. Toute la misère s'affiche. Nous ne sommes pas à notre place, au milieu de la crasse et à la vue du quotidien de ces gens. Les scènes de vie sont brutales, terribles. Elles font prendre conscience de la réalité de la condition humaine dans les profondeurs de l'Inde. Pour ces gens, il n'y a aucune issue. Nés misérables, ils mourront misérables. Il n'y a pas d'égalité de chance dans une société hiérarchisée sous formes de castes. La naissance fixe son appartenance à l'une des castes, et rien durant la vie ne pourra en faire changer. La fatalité est le seul moyen d'acceptation, et de renoncement à une vie meilleure. Ce que chacun doit faire est mener une vie la plus correcte possible, dans le but d'être réincarné dans une caste supérieure, et espérer ainsi une future vie meilleure. Nous y voyons dans cette organisation fataliste, un moyen de faire taire la population, assujettie à son passé, dans l'impossibilité d'évoluer, encore moins de se révolter. C'est ainsi que cette société, paradoxalement émergente d'un point de vue économique, à l'échelle mondiale, se nourrit d'elle-même, dans un pacifisme forcé.
Jour4 : Nous visitons ce matin la cité de l'empereur Akbar. Il fit construire cette cité dans les années 1570, dans le but de réunifier les religions chrétienne et musulmane. L'ancienne capitale de l'époque fût abandonnée après une quinzaine d'années, à cause du manque d'eau qui ne suffisait pas au besoin de la population. La cité de pierre est gigantesque. L'empereur Moghol fit ériger une ville aux dimensions de sa puissance. Plusieurs parties retiennent notre attention. Un de ces lieux étonnants est la salle d'audience publique. C'est notamment ici qu'Akbar procédait aux exécutions, faisant écraser la tête de la victime par son éléphant. Le public prenait place sur les grandes pelouses devant la salle. Toute cette barbarie illustre le pouvoir, au service du plaisir sanglant du spectateur. Il y a aussi la cour du Pachhisi où l'on peut voir sur le sol une sorte d'échiquier géant. Femmes et esclaves nus tenant le rôle des pions, se déplaçaient selon les volontés d'Akbar. De nombreuses salles, telle le palais de sa femme, nous retiennent encore dans cette cité, où nous passons une grosse partie de la matinée. Suite à cette longue visite, nous avons besoin de remplir nos estomacs. Aujourd'hui est une longue journée de transfert puisque nous devons prendre un train pour Delhi. Après quelques heures de pause à l'hôtel, nous devons ensuite rouler jusqu'à l'aéroport, pour effectuer un vol de nuit vers Leh. A Agra, nous découvrons l'activité des gares. Il y a foule de mendiants qui quémandent quelques pièces. Ici, c'est un groupe d'enfants qui défilent les uns après les autres. Là, c'est un homme, vraisemblablement la trentaine, qui se traîne sur le sol. Une dame âgée cherche notre pitié pour obtenir une bouchée de pain. Ces regards insistants sont parfois insoutenables. Mais nous ne dévions pas de nos principes qui consistent à ne pas donner. C'est une question profonde et délicate, et notre avis est orienté. Nous ne voulons pas contribuer à faire de ces mômes des mendiants…Rickshaw, bus, train taxi. C'est la succession des moyens de transport que nous empruntons afin de parvenir jusqu'à notre hôtel de Delhi. Le retour nous permet de découvrir le New Delhi chic, celui des quartiers résidentiels. Le trajet de nuit, rythmé par la radio et les musiques du pays que crachent les hauts parleurs, me plonge dans des instants de contemplation et d'écoute que j'apprécie et qui m'apaisent. A 3h30, nous attendons le taxi qui doit nous conduire à l'aéroport. Dans les rues, sur les trottoirs, ou encore à l'intérieur des rickshaw, les indiens sont allongés ou seulement étendus, trouvons quelques moments de repos dans leur sommeil. |
| |  | | Jour5 : Nous survolons la chaîne himalayenne aux sommets enneigés. Le relief devient minéral, couleur terre, tandis que avançons vers le nord. Dans le fond, sur l'ouest, de gigantesques massifs fendent l'horizon. L'avion contourne une barrière de montagnes, pour venir se poser sur le sol Ladakhi ; terre que nous évoquons depuis de nombreuses années dans la projection de nos lectures lointaines. A sept heures du matin, à 3500 m d'altitude, la température est de 20 degrés celsius. Leh, capitale de la région, est une ville étape, un point de départ, plutôt qu'un aboutissement en soi. Hôtels, agences, restaurants se bousculent dans le quartier touristique. Le Ladakh est le paradis des trekkeurs, et la plupart des voyageurs se rendent en premier lieu à Leh, avant de partir rayonner sur une palette immense de sentiers. En quelques années, cette partie de l'Inde du nord a fait un bond en avant spectaculaire dans le secteur du tourisme, profitant notamment des problèmes qui règnent au Népal. Malgré la présence abondante du touriste, l'ambiance est agréable. Le rythme est lent, forcée par une altitude importante qui impose nos corps à la douceur. Passer d'une altitude proche de celle de la mer, à celle-ci nécessite une acclimatation. Il est recommandé de ne pas faire d'effort le premier jour, et de se reposer. De toute façon notre état physiologique nous contraint au repos. La situation privilégiée de la ville, entourée de sommets arides, rend l'atmosphère paisible. La
|
|
| ghest house nous offre, à l'étage, une chambre reposante. Depuis la terrasse, nous pouvons contempler le Stok Kangri. Il s'agit d'un 6000m très convoité dont l'ascension avait attiré notre convoitise dans un passé proche. De la chambre, une fenêtre donne sur le jardin. La mère de la famille chez laquelle nous logeons y ramasse les légumes. Elle les lave dans le ruisseau qui coule en contre bas, avant de partir vendre sa récolte sur les marchés. La nuit tombante, alors que le vent courbe les peupliers, nous imaginons la solitude des soirées en haute montagne, dans le désert minéral. L'air est doux, et il est agréable de sentir le souffle du vent caresser notre peau. Dans la salle à manger, nous mangeons un bol de légumes fraîchement préparé, et buvons abondamment le thé que nous sert notre hôte. Nous faisons la connaissance d'un guide de l'agence Atalante, et bavardons avec sa femme et sa fille, avec lesquelles il est en voyage familial. Nous parlons de l'Inde, de destinations de rêve, abordant la responsabilisation qu'apporte un tel voyage. Stef ressent le rythme des jours précédents, la fatigue ainsi que le mauvaise alimentation. Les premiers symptômes du mal aigu des montagnes s'en prennent à lui. Son état physique et moral joue au yoyo.
Jour6 : Nous profitons pleinement de la journée pour nous reposer. Les quelques jours qui viennent ont pour objectif premier de parfaire notre acclimatation. Ce matin, Stephane se sent mieux. C'est Vincent qui ressent une grande fatigue. Nous profitons qu'il se repose pour nous balader, Stephane et moi, sur les chemins de terre qui se multiplient autour des maisons. Des murets de pierres se dressent le long des sentiers. L'architecture est typique. Les façades rectangulaires traditionnelles abritent un, deux voir trois étages selon les moyens de la famille. De nombreuses maisons ne possèdent cependant qu'un seul niveau. De l'herbe de Yack ainsi que de la terre recouvrent les habitations, ornant autant qu'isolant les bâtisses. Au rythme lent, nous arpentons les ruelles, le long desquelles de nombreuses constructions sont en cours. Des tentes provisoires sont montées à proximité. Il s'agit du logement des artisans des villages voisins durant la période des travaux. |
| |  Les monastères à l'est de Leh |
| En milieu d'après midi, nous filons à la gare routière, à la recherche d'un bus pour Alchi. Nous trouvons une place assise, et constatons avec étonnement que le bus démarre exactement à l'heure prévue. La route quitte l'agglomération et s'insère dans un paysage acéré de sommets bruns. Une atmosphère sombre nous guide le long de la vallée de l'Indus. Des camps militaires occupent de nombreux emplacements sur les bords de route. Nous sillonnons dans ce décor de roche, prenant un peu d'altitude. L'ambiance austère qui se dégage laisse à Vincent et Stéphane un ressenti peu enjoué. Pour autant, je trouve dans ce relief qui défile, une image fidèle à ce que m'a véhiculé les photos et reportages de la région. Dans le bus local, les hauts parleurs crachent des musiques indiennes. Je me laisse porter par les sens, dans le présent qui s'écoule sans réflexion. Je pourrais rouler ainsi des heures…Nous longeons l'Indus, en bord de précipice, sur une route étroite et chaotique. L'aplomb est vertigineux, et une conduite dans de telles conditions, sur de longues distances, deviendrait inquiétante. On n'ose pas imaginer ce qu'il se passerait si un incident mécanique se produisait. La moindre erreur serait fatale. Nous traversons le fleuve dont nous prenons alors conscience de la puissance immense. Puis c'est le village de Gasphol que nous laissons derrière nous. Quelques virages après la sortie, nous croisons un camion chargé d'un échafaudage métallique dont la structure dépasse d'au moins |
| |
| deux mètres, à l'arrière de la benne. Dans le tournant, les deux véhicules ne peuvent pas s'éviter. Les barres d'acier heurtent la vitre de la portière du chauffeur, la faisant voler en éclats. Le chauffeur n'est pas blessé. Immédiatement, tous les hommes présents dans le bus descendent se mêler aux explications que tentent de se donner les deux chauffeurs des véhicules. Le ton monte, chacun défendant sa cause. L'incident dégénère et des coups sont échangés entre les acteurs. Un homme est frappé à plusieurs reprises, heureusement sans gravité, à l'aide d'un pied de biche. Un bus de militaire se trouve bloqué juste au dessus. Les occupants viennent pacifiquement voir ce qui se passe, ayant pour effet de calmer l'ardeur des participants au règlement de compte. Finalement, nous reprenons la route. Celle-ci grimpe jusqu'à atteindre un gigantesque plateau d'altitude. Le paysage s'ouvre, s'aère, devient moins dramatique. Nous arrivons à Alchi, petit village situé à quatre kilomètres en dehors de la route principale qui mène à Kargil puis Srinagar.
|
| | Jour 7: Nous visitons le monastère constitué de plusieurs temples Il s'agit selon toutes nos références du plus beau monastère du Ladakh. Pour nous autres, profanes bouddhistes, ce site ne requiert pas l'attention espérée. Il s'agit d'un ensemble de temples répartis, en fond de vallée, telles les maisons d'un hameau. Il ne règne pas de vie monastique et l'atmosphère nous apparaît relativement neutre tandis que nous circulons parmi les murs de pierres. Pour autant, sans comprendre toute la subtilité de l'iconographie et la symbolique de la religion, nous sommes en admiration devant la précision des représentations. Le travail est magnifique et le détail superbe. Différentes représentations de Bouddha sont illustrées sur les murs. Des lampes à huile illuminent le coin de prière où sont déposées les offrandes des religieux. L'ambiance, les odeurs d'encens, incitent à la méditation. Nous ne savons pas encore comment nous allons quitter Alchi. Un taxi vient d'arriver avec à son bord trois touristes étrangers. Nous leur proposons de rentrer sur Leh, moyennant notre participation à la location du taxi. Ils acceptent notre offre. La journée prend un nouveau départ, avec en point de mire la visite de trois autres monastères. Le premier que nous découvrons, perché sur un monticule, dans un cadre magnifique, à cinq kilomètres de la route principale, est celui de Likir. Nous trouvons ici nos espérances déchues par celui d'Alchi. Ce |
|
| temple est merveilleusement exposé face aux montagnes du Ladakh. On imagine volontiers la vie monacale, et les conditions difficiles et rigoureuses de l'hiver dans ce monastère actif. Le lieu est méditatif. Les moulins à prières, les drapeaux de prières, les statues de bouddhas ainsi que les salles de prières sont superbement photogéniques. Il y a à côté une école de moinillons qu'un instituteur me fait visiter. Je pénètre tour à tour dans la cuisine, petit espace vétuste au sol de terre, les chambres, la salle d'enseignement sur la philosophie bouddhiste, enfin la salle de classe. Pendant que l'instituteur m'explique le fonctionnement et l'organisation de l'école, ses élèves, vêtus de leur habit de moinillon, travaillent leur anglais, assis sur le sol vide de la pièce. Même sans la présence continue d'un adulte, les enfants s'appliquent à leur travail. Dans quelques jours, ils repartiront dans leur famille respective pour les vacances d'été. Ces enfants sont issus des villages Ladakhis qui s'étendent de Leh jusqu'à Lamayaru. Pendant ce temps, les élèves plus âgés sont en prière dans le temple. Plus loin, en remontant toujours sur la vallée de l'Indus, le monastère de Basgo présente un magnifique site fragilisé par l'érosion. Ici encore, le panorama sur la vallée verdoyante, coincée dans le décor minéral, est superbe. Un peu plus loin, c'est le Zanskar qui se jette dans l'Indus. C'est ici que se termine la " chadar ", traversée de la rivière gelée, que les zanskaris empruntent en hiver. Durant cette période rigoureuse de l'année, la région se referme sur elle-même, prisonnière de la neige et de la glace. Le seul moyen d'en échapper est alors d'emprunter la rivière, partiellement prise par la glace. Enfin nous terminons par la visite du monastère de Spituk. Il domine la vallée de Leh, une fois de plus magnifiquement ornementé. Nous sommes de retour dans notre guest house. L'acclimatation suit son cours, dans des conditions idéales. Ce soir, tout trois nous sentons en parfaite santé.
Jour8: Lecture de guides ou de livres de littérature, allongés sur nos matelas posés sur le sol de la chambre, nous laissons lentement les heures s'écouler, dans le repos et le calme de la maison. Nous sortons un peu plus tard arpenter les ruelles du bazar. Les femmes, revêtues de leur habit traditionnel, marquées par l'âpreté de la vie, sont alignées sur les bords de trottoir. Assises à même le sol, elles vendent leurs légumes fraîchement ramassés. Depuis le bazar, nous empruntons un chemin étroit qui serpente et s'élève jusqu'au palais datant du dix septième siècle. Ce dernier domine Leh et donne vue sur les quartiers autochtones, qui tranchent de manière flagrante avec le quartier touristique. Ce sont des maisons de terre , aiguillées par des chemins rendus immédiatement boueux dès que la pluie ruisselle. Justement depuis deux jours, le temps se dégrade. Aujourd'hui les sommets sont recouverts par les nuages, et la pluie fait son apparition par alternance. Depuis le palais, nous continuons à grimper jusqu'au gompa qui le surplombe. Il est étonnant d'observer le contraste entre le relief brun du centre et des montagnes uniformes en couleur, et le vert étincelant de la vallée de la Nubra, qui s'étend vers le nord,. Après cette petite balade, et une fois les estomacs rassasiés, nous rentrons prendre encore quelques instants de repos, écrivant cartes postales et carnets de voyage, puis préparons l'itinéraire de demain qui doit nous conduire vers d'autres monastères. C'est la rencontre de ceux situés vers l'est que nous irons cette fois, et faisons à cet effet quelques achats de barres chocolatées. Nous devons également réserver un taxi pour rendre la visite possible. |
| |  | A 18 heures, nous avons rendez vous avec le staff du futur trek, au nouveau temple bouddhiste de la ville. Une cérémonie s'y tient en ce moment, et beaucoup de monde s'amasse dans la cours. Les gens se font bénir tandis qu'une musique assourdissante résonne inaudiblement par les hauts parleurs. A 18 heures précises, je me rends à la porte du temple, où une personne brandit une pancarte sur laquelle je peux lire " Mr Thierry ". Je fais signe à Vincent et Stéphane de me rejoindre. Le jeune homme nous conduit auprès de Dola, à quelques pas de là. Nous faisons connaissance de la personne qui a chapeauté l'organisation de notre traversée du Spiti. Dola est arrivé hier de Manali en jeep et y repartira dans deux jours. C'est pour lui trois à quatre jours de trajet aller-retour, sur une route éprouvette et dangereuse, pour nous rencontrer et s'assurer que tout se passe bien. Nous entrons dans un bar, discutons autour d'un thé aux épices qu'il nous offre. Dola nous mène ensuite au local d'une petite agence, ou nous retrouvons notre futur guide, le cuisiner ainsi que son assistant. Nous abordons des questions de logistique ainsi que des problèmes de matériel. Dola me passe Dominique qu'il a au téléphone depuis Manali. C'est par son intermédiaire, en France, que nous avons pu monter ce projet. Elle devait effectuer la grande traversée du Zanskar, dans son intégralité. Soumise à d'inquiétants symptômes du mal des montagnes, elle a été obligée d'abandonner et faire demi |
| |
| tour. Pendant plus d'un mois, j'ai été en contact quasi quotidien avec Dominique, afin de définir l'itinéraire, prévoir la logistique, et répondre à toute sorte d'interrogations concernant la traversée. J'ai une entière confiance en elle et au guide qu'elle a contacté pour nous. La prise de contact avec une partie de l'équipe est positive. Le guide est rassurant. Cinq personnes sont autour de nous pour entrer pleinement dans cette aventure. Après demain, deux muletiers et huit chevaux s'ajouteront à notre encadrement. Une véritable caravane s'organise. Nous mesurons l'ampleur et l'exigence des deux semaines que nous allons partager tous ensemble. L'aventure peut commencer. |
| |  Les monastères de l'ouest |
| | Jour9 : Le soleil est de retour sur le Ladakh. Quelques nuages épars s'entremêlent dans un ciel bleu étincelant. La chaleur se ressent tandis que l'ombre est encore bien présente dans la fraîcheur matinale. Lire sur la terrasse de l'hôtel, réchauffé par les rayons brûlants du soleil qui perce l'atmosphère, est grandement apaisant. A neuf heures, nous retrouvons le chauffeur du taxi, à quelques pas de l'hôtel. Sur la route qui nous éloigne de Leh, le paysage change. Moins austère, plus verdoyant, les sommets sont également moins saillants. La route est relativement bonne. Sur la chaussée, les femmes nettoient les bordures avec des balayettes. Les hommes, pour la plupart très jeunes, font fondre du goudron dans un chaudron, avant de l'étendre manuellement. Puanteur et toxicité ne sont pas les priorités. Quelques sommets sont saupoudrés de neige fraîche. Dans le fond, nous apercevons le Stok Kangri. Chimre est la première étape de la journée. Son monastère est magnifiquement planté dans la vallée. C'est un mélange harmonieux de couleurs chaudes et étincelantes qui se dessine, entre le vert des bois et des pâtures, le jaune des champs fleuris, le brun de la terre et l'azur du ciel. Le monastère surplombe des ruines de terre, et de nombreux shortens sont intégrés au décor. Dans un des temples, un moine est en train de méditer, assis sur des coussins. Les moulins à prières tournent dans la cour. Les moines sont discrets mais en cette matinée estivale, celui qui
|
|
| nous ouvre la porte du temple, exprime sa sérénité par des chants joviaux. Tout est paisible, calme, empli de cette même sérénité, et entrain à la méditation. Adossé à une fenêtre, dominant la vallée, je m'inspire de cette atmosphère pour rédiger quelques notes. Sept kilomètres de route en lacets plus loin, en quittant l'axe principal, nous approchons Hémis. Le monastère apparaît au dernier moment, coincé au fond d'une petite vallée, quasiment prisonnier d'un cirque. Le plus grand monastère du Ladakh abrite cinq cent moines. Le lieu est immense mais l'ambiance moins apaisante car le site est très visité. Nous poursuivons notre " route des monastères ". Celui de Thiksé tout d'abord, puis pour terminer celui de She. Nous commençons à saturer de temples et de salles de prières, d'autant que le soleil chauffe désormais fort, et nous anesthésie, sur la digestion. Les arrêts sont de plus en plus courts. Ce qui est remarquable est la présence de tant de monastères sur une distance aussi restreinte, avec une population aussi peu dense. En rentrant, nous emmenons bientôt nos sacs à l'agence, afin de charger le matériel pour le grand départ de demain. Nous passons une soirée conviviale à la guest house. Nous discutons avec les deux motards, un couple de français et leur fille arrivés de Manali après deux jours de quatorze heures de bus, qui ont éprouvé particulièrement le mari. La conduite à ras du précipice et la vision des camions dans le ravin l'ont, semble-t-il, assez choqué. Une polonaise, qui vit aujourd'hui en France, est également ici, avec deux garçons. La fille de l'hôtel nous amuse avec ses sonneries de téléphone portable ! |
| |  Deuxième partie: La traversée du Spiti |
|  Chapitre 4: Du Tso Kar au Tsomoriri |
| Jour10 : À huit heures tapantes, nous sommes au local, où nous retrouvons tous les membres de notre équipe. Nous nous tassons à sept dans la jeep, dont le coffre et le toit sont chargés de nos sacs et du matériel nécessaire à presque deux semaines d'autonomie. Le véhicule emprunte la route de la veille, puis dépasse les monastères visités pour bientôt commencer à s'élever sur une route chaotique. Le paysage s'ouvre et la vallée s'étire. La route grimpe continuellement, en lacets, jusqu'à atteindre le col du Taglangla; deuxième col praticable en voiture du monde, à l'altitude de 5260 mètres. La plus haute route du monde se situe dans la vallée de la Nubra, au nord de Leh, et se partage, selon les estimations, la première place du palmarès avec une route bolivienne. Le col franchit, il faut redescendre sur l'autre versant, sur une vallée qui continue encore de s'aérer. Le paysage devient beaucoup moins austère. Nous sommes sur la route de Manali, et nous croisons de nombreux bus et camions de marchandises. Sur ce secteur, nous observons ici aussi la présence de nombreux camps militaires, et croisons plusieurs convois. Cette présence abondante est hallucinante, et nous parait déplacée en comparaison des moyens dont dispose l'armée et du niveau de vie moyen des habitants de la région. Il est vrai que la contribution à la mise en circulation des routes par exemple est un atout essentiel pour la libre circulation des biens commerciaux, quand on connaît |
| |
| les difficultés liées à l'altitude et au climat dur qui règne. Cependant l'omniprésence des équipements le long des routes semble disproportionnée, et par là même aberrante. Nous laissons la route pour couper par un semblant de piste dans l'immense vallée de terre et de sable. Les sommets sont plus érodés, plus accueillants que dans le nord. Nous atteignons les berges du Tso Kar, et le longeons un long moment avant d'atteindre notre camp, point de départ de la traversée. Les affaires étant déchargées, le taxi repart aussitôt pour Leh, environ cinq heures derrière nous .Les chevaux et les deux personnes qui en sont responsables sont déjà sur les lieux. Ils ont mis environ une semaine pour parvenir ici, depuis Manali, parcourant l'itinéraire à pied. Le bivouac est installé face au lac turquoise. La terre brune aux reflets rougeâtre est gardien des rives opposées. Un grand espace de pâture est notre terrain de liberté, dans lequel les bêtes font un véritable festin. Nous sommes bien seuls, entourés de notre équipe, dans cette immense plaine d'altitude, à 4500 mètres. Le décor est somptueux. Nous sirotons un thé aux épices puis donnons à nos estomacs quelque nourriture. Nous avons l'après-midi pour profiter de cet environnement, et l'appréhender. Le soleil chauffe fort lorsque le vent faiblit. Aucun symptôme du mal des montagnes ne vient pour le moment perturber notre contemplation. A quelques pas de nous, des marmottes s'amusent. Elles se laissent approcher à une distance raisonnable de quelques mètres, puis disparaissent au fond du trou, avant de pointer à nouveau leur tête. Pendant de longs instants, je joue à surprendre leur tranquillité, prenant soin de ne pas trop les déranger. Sous la tente cuisine, nous discutons avec notre guide, assis sur des tapis, tandis que la viande mijote dans les gamelles. Il fait bon, réchauffés par la flamme réchaud à essence qui débite grandement. Nous mangeons autour de la table éclairée par deux bougies. La pâte fraîchement préparée pour confectionner les chappattis que nous mangeons avec délice, crépitent dans la poêle. |
| |  | | Jour11 : Aucun mal de tête, ni essoufflement anormal ne sont à observer durant la nuit. Pour autant nous dormons mal, attribuant le sommeil tourmenté à la chaleur ainsi qu'à l'altitude. Serrés l'un contre l'autre, à trois dans la tente igloo, il se dégage une chaleur que la compression et le manque d'air rendent suffocante. A six heures trente, on nous réveille aux effluves de thé déposé devant l'entrée de la tente. Un long moment plus tard, un petit déjeuner royal nous est servi : porridge avec riz et banane, toast avec beurre et confiture, omelette, accompagnés de l'immanquable thé, dont la nature varie selon l'heure de la journée. Tout cela semble normal, et nous comprendrons bientôt le pourquoi de cette alimentation à grosse dose. Il fallu du temps pour plier le camp, installer les bâts et hisser l'ensemble du matériel réparti sur les huit chevaux. Peu avant dix heures, nous quittons le bivouac, impatients de commencer à marcher. Parkash donne un rythme plus proche de celui d'un coureur de marche rapide que d'un randonneur. Nous suivons la cadence, laissant loin derrière la caravane qui avance au pas des chevaux. Nous soupçonnons notre guide de nous tester pour cette première journée, courte en temps de marche. La cadence ralentit un peu sous la demande de Stef, et les râles répétés de Vincent. Dos au Tso Kar qui disparaît bientôt dans l'horizon, nous faisons une halte face aux crêtes arrondies et aux sommets enneigés de l'espace grandiose et magnifique qui
|
|
| nous entoure. Parkash choisit ce moment pour nous compter ses mésaventures vécues lors de treks passés. Il y a deux ans, inconscient ou insouciant, un couple l'a suivi dans la vallée du Pin, au mois d'octobre. Le temps est devenu menaçant. Lorsqu'ils se sont levés le lendemain à l'aube, la neige avait recouvert le sol d'une épaisse couche infranchissable. Impossible pour eux de faire demi tour, tout autant que d'avancer. A Manali, les gens avaient admise l'idée de leur disparition. Les deux randonneurs ont laissé sur place tout le matériel, et Parkash les a guidés à travers la montagne, descendant tout un versant jusqu'à rejoindre la rivière, qu'ils suivirent trois jours durant, blottis en position de survie contre les arbres, lorsque la nuit les rattrapait. Il nous raconte aussi la mort d'un sherpa, victime du mal des montagnes. A ses risques sont également exposés les animaux, et il n'est pas exceptionnel qu'une des bêtes de portage succombe au passage d'un col. Certainement que ces histoires, loin d'être rassurantes veulent nous faire prendre conscience de la réalité à laquelle nous sommes exposés. En altitude, chaque mal peut être un signal d'alarme qu'il faut absolument rapporter, de façon à prendre les mesures de sécurité qui s'imposent. Ces mêmes histoires nous montrent également que Parkash est notre guide, et que nous devons lui faire confiance. L'avenir nous montrera que peut-être son récit fut mêlé de fabulation. Peu importe, l'effet escompté s'est produit, et nous nous sentons pleinement concernés par les recommandations que ces aventures nous inspirent.. La caravane nous devance à présent. Nous la rejoignons après avoir franchi un col à 4900 mètres. Nous marchons ensemble dans une vallée large et verdoyante, parsemée de rivières. C'est au fond de cette vallée que nous montons le camp. Le soleil chauffe avec une intensité étonnante et inhabituelle. A cette altitude le rayonnement est très important, et nous protégeons chaque parcelle de notre corps. Nous venons de marcher seulement quatre heures, mais la fatigue ressentie est terrible. En montant la tente, chaque flexion appliquée est synonyme de vertige lorsque je me redresse sur les jambes. Pendant une demi heure, nous nous allongeons afin de reprendre nos esprits, dans le silence le plus total. Immobiles et immobilisés, nous gardons notre position horizontale, figée, et ce malgré la chaleur sous la tente, qui en d'autres circonstances aurait été étouffante. L'ombre que nous y trouvons est salvatrice. La tête martèle une musique métronomique. Le thé aux épices que l'on nous sert, supposé bon contre les maux de tête, et bon pour l'hydratation ainsi que la récupération, nous fait du bien. Nous retrouvons tranquillement toute la lucidité. Des dzos, animaux d'altitude et parfait mélange de vache et de yack, approchent le camp. Deux changpas nomades arrivent au galop jusqu'aux tentes. Ils s'arrêtent un moment, discuter avec nos guides, puis repartent conduire leurs bêtes vers leur campement où l'herbe abonde. Cette première étape, courte en heures effectives de marche, a demandé de gros efforts auxquels nos organismes ne sont pas encore habitués. Nous constatons l'exigence que demande de telles conditions. L'engagement que cela requiert, dans l'isolement recherché, est une vraie donnée de la traversée qu'il va falloir gérer. Des interrogations surgissent, et nous discutons longuement sur la finalité du voyage. La réflexion qu'implique cette première journée laisse présager que les quinze jours à venir ne laisseront pas indifférent chacun d'entre nous. Lorsque le soleil se fait moins agressif, et que nous avons retrouvé les forces nécessaires, nous sortons profiter de l'espace sauvage qui est notre domaine du soir. Allongé sur un tapis de sol, je joue quelques airs improvisés d'harmonica, reprenant fréquemment mon souffle. Notre équipe nous rejoint, et devient spectateur d'une partie de cartes. Le plus naturellement qu'il soit, chacun prend ses marques, et le contact commence à s'établir.
|
| Jour12 : Nous avons réaménagé l'intérieur de la tente, de façon à ce que les têtes soient orientées vers l'ouverture de la tente, la porte extérieure ouverte. Nous dormons bien mieux, sans l'oppression de la nuit précédente. Heureusement qu'il en est ainsi car nous avons besoin de récupérer des efforts et du manque de sommeil. A 6h15, le thé matinal est servi. Le soleil brille déjà fort, ce qui à l'heure qu'il est nous impressionne. Ce matin, les têtes tambourinent plus fort. A 9 heures, nous partons, avant que les chevaux ne soient même battés. Nous longeons la vallée dans laquelle nous avons dormi jusqu'à proximité d'un camp nomade. Une femme et sa fille, debout au milieu d'un désert de cailloux, nous regardent passer. L'enfant est apeuré lorsque Parkash lui présente un bonbon. C'est le moment que choisit leur chien pour nous bondir dessus. La frayeur, brutale, est rapidement dissipée lorsque la corde à laquelle le molosse est attaché se tend. Quelques chevaux sauvages attirent notre attention. Nous observons leur allure élancée, dans ce milieu adapté pour leur errance. Le terrain devient plus sablonneux, avant d'atteindre le pied d'un col. La montée fait rapidement ressentir les effets de l'altitude. Nous faisons halte, laissant retomber le rythme cardiaque qui bat rapidement la mesure. Les corps sont lourds. A 5250 mètres d'altitude, nous atteignons le haut du col, avec comme récompense une vue aérienne du lac Tso Kar. Sur l'autre versant, lorsque nous avons redescendu de plusieurs centaines de mètres, une vallée gigantesque s'offre à nous. Nous sommes sous l'emprise d'une étendue que nous n'arrivons pas à estimer; un kilomètre de large, peut être deux, peut être même davantage. Aucun point de repère ne permet d'évaluer la distance qui nous sépare du côté opposé. C'est incroyable ! Nous continuons de descendre jusqu'à atteindre un guet, bien plus loin. C'est l'endroit que nous choisissons pour faire la pause déjeuner ainsi qu'une petite sieste de circonstance. Il est midi, et le soleil montre toute sa détermination. Pantalon et manches longues sont de rigueur malgré la chaleur. Parkash cherche une solution pour tenter l'ascension d'un 6000 mètres, initialement prévu. |
| |
| La logistique est lourde dans les conditions où nous sommes, et la réalisation, délicate et rude, semble relever de l'infaisable, malgré l'assurance préalable donnée par l'agence. Après discussion, je donne l'abandon comme issue à ce projet. Je fais part à mes compagnons de voyage des difficultés relatées, ce qui donne à Vincent un grand sentiment de frustration. La caravane nous rejoint. Parkash prend alors, avec l'équipe, la décision de pousser plus loin. Il nous faut pour cela franchir un nouveau col à 5200 mètres. Cette fois, nos têtes semblent prises entre deux étaux. Il faut en faire abstraction pour avancer, et éviter les mouvements brusques. Nous n'avons pas de symptôme plus inquiétant. Nous attaquons donc la montée, malgré les douleurs stridentes. Il faut encore redescendre dans un versant de terre et de pierre, basculant sur une nouvelle vallée le long de laquelle nous longeons une rivière. Nous passons plusieurs guets, chaussures autour du cou. Enfin, nous établissons notre campement, face à un sommet pyramidal enneigé. Le décor est à une échelle toujours aussi surprenante. Pour la première fois, nous décidons de monter, péniblement, deux tentes. Exténués par la longue journée de marche et par l'altitude, nous optons pour un meilleur confort en élargissant notre espace d'intimité. Nous passerons ainsi la nuit à 5050 mètres. Comme la veille, trente minutes sont nécessaires pour reprendre nos esprits pleinement. Le thé est toujours d'un grand réconfort. Des nomades passent avec quelques chevaux. Malgré les maux de tête et mon abdication face à ma résolution de ne pas croquer ma première aspirine, le moral est très bon. Le physique ne peut alors que suivre, même dans la difficulté. Certains moments sereins de la journée m'ont apporté des instants de naïveté infantile, admiratif devant la beauté sauvage à portée de ma vue. Tandis que la nuit s'empare du camp, qu'aux chauds rayons de soleil se substitue la fraîcheur nocturne, nous échangeons de longs moments de discussion, à la tiédeur du réchaud, et la lueur des bougies. Bien à l'abri de toute source de pollution lumineuse, le ciel scintille de milliards d'étoiles, dévoilant des contrées infinies. Dans cette source intarissable d'inspiration, je me sens en accord, en harmonie avec les éléments qui m'entourent ; heureux d'être en ces lieux, malgré les questionnements des heures précédentes, que la fatigue contribue à accentuer.
|
| | Jour13 : La nuit a été très mauvaise. Je suis bien dans mon sac de couchage, mais l'air qui s'infiltre par la porte de la tente laissée ouverte me refroidit. L'intérieur de notre maison de toile est humide. A 6h30, lorsqu'on nous sert le thé quotidien, je suis donc réveillé depuis longtemps. Le soleil ne tarde pas à enjamber le barrage que constituent les montagnes exposées à l'est. A 9h15 nous amorçons la longue remontée progressive de la vallée, et de la rivière que nous longeons à contre courant. Tout d'abord verte et rayonnante, la seconde partie de la vallée devient plus caillouteuse. Un pierrier nous permet finalement de déboucher sur un col. Vers le sud on peut apercevoir le lac Tsomoriri, vers lequel nous nous dirigerons bientôt. Sur l'ouest, de magnifiques sommets arrondis, coiffés d'un chapeau de neige, se succèdent comme les dunes d'un désert. Le panorama est surprenant, et des photos clichées de la région, aux connotations des vastes espaces tibétains, me viennent à l'esprit. Le paysage est doux dans ses formes, vaste. Nous sommes à 5250 mètres environ. Il faut dire qu'il n'existe pas ou peu de cartes précises de la région, et chaque source d'information référencie une altitude légèrement différente. Nous recoupons ces données à celle que nous fournit l'altimètre de Vincent. Il faut régulièrement étalonner ce dernier, ce qui là encore rend les mesures approximatives. Comme souvent au passage d'un col, des drapeaux à prières marquent le lieu. |
|
| C'est un endroit qui présente la particularité d'être exposé aux vents, emportant au loin les prières. Nous poursuivons notre marche qui doit nous emmener 800 à 1000 mètres plus bas. La longue descente s'amorce, plus raide que sur le versant duquel nous venons. C'est durant le parcours de ce dénivelé négatif que nous croisons la première caravane depuis le départ. Il s'agit d'une équipe Népalaise. |
| |  | C'est un grand désert de pierres que nous atteignons par la suite, dont la traversée parait ne jamais finir. Les abords sont rayonnants, mais le plateau d'altitude est infini à l'échelle de nos pas minuscules. Tout au fond, nous apercevons des points figés sur une peinture teintée de vert. Lentement les points grossissent et prennent des formes vivantes, jusqu'à prendre l'apparence de dzos et de chevaux qui paissent dans une verte prairie. C'est l'endroit que nous choisissons pour faire la pause de midi. La dernière partie du tracé nous fait longer une étroite et verte vallée au cœur de laquelle serpente une magnifique rivière. Le paysage semble sorti de nos albums photos des Pyrénées. Enfin nous apercevons un immense drapeau à prières qui surplombe la vallée, à plusieurs dizaines de mètres de haut. Il annonce le village de Korzog, premier et dernier village que nous rencontrerons au cours de la traversée. Korzog, situé sur les berges du Tsomoriri, est le point de départ de nombreuses promenades autour du lac. Un seul bus par semaine fait la liaison entre ce petit village isolé, et Leh. Ce soir la solitude est rompue. L'emplacement sur lequel nous nous installons est cerné par le torrent et des dérives qui font de notre campement un petit îlot. Subitement, le niveau de l'eau monte d'une cinquantaine de centimètres, à priori à cause de la fonte des glaciers. Nous sommes en milieu d'après-midi, mais le réchauffement de la glace, sa fonte et les conséquences en terme
|
| |
| d'élévation du débit des lits ne sont pas synchrones. C'est ainsi, seulement un long moment plus tard, que le constat devient apparent. Les minutes s'écoulent, et l'eau commence à s'infiltrer. Il faut démonter une des deux tentes dont le fond commence à baigner dans l'herbe détrempée. L'eau nous cerne de toute part. Le niveau arrive à la limite du muret de pierres de protection avec une grande violence. Que devons nous faire ? Nous patientons encore, attendant le niveau maximal que la rivière ne franchira pas. L'eau lèche depuis un long moment le pourtour de la tente, mais ne passera pas cette limite. Vers 20 heures, tandis que la langue de glace a redurcit sur les sommets, le niveau de la rivière redescend et se stabilise, avec un débit qui redevient normal. Sur la route en terre qui longe le cours d'eau, des troupeaux de dzos descendent des pâtures où ils ont passés la journée, menés par leurs propriétaires. Ces animaux au poil long sont impressionnants, et évoquent un semblant de préhistoire. Il y a deux jours que Parkash prévoyait une partie à Korzog. Surement que c'est un moyen de célébrer la première partie du trek bien négociée. En cas de problème lié à l'altitude, il eut été possible de renoncer à poursuivre, et d'attendre le prochain bus pour se faire rapatrier. Au-delà, il n'y aura plus possibilité de s'échapper. Nos organismes se sont bien comportés jusqu'ici, ce qui traduit une bonne acclimatation. Il n'y a à priori aucune raison pour que de sérieux problèmes apparaissent dans le futur. Sous la tente cuisine, Parkash sort une bouteille de rhum kashmiri. Bientôt l'ambiance devient festive, et nous alternons chants indiens et français. Nous mangeons, puis leur laissons la place car l'heure avance, et nos guides ont toujours l'estomac vide, leur religion ne leur permettant pas de manger en présence d'étrangers. Nous sortons, à moitié ivres, chanter sous les étoiles quelques chants de nos racines françaises. Nous nous endormons, bercés par le clapotis de l'eau, serrés dans nos duvets. |
| |  | | Jour14 : Nous quittons ce matin le camp en même temps que les chevaux, sous un ciel très couvert. C'est une longue marche monotone qui s'annonce le long du lac Tsomoriri. Nous suivons la berge, tantôt au pied de l'eau, tantôt en prenant de la hauteur. Au cours des deux premières heures, nous croisons de nombreuses caravanes de dzos chargés. Des familles entières de nomades reviennent des pâturages. C'est la période chaude, où ces familles établissent leur camp de pâture en pâture, cherchant la nourriture abondante pour leurs troupeaux. Pendant la saison, ils utiliseront la laine des bêtes pour confectionner leurs tissages, et réaliseront l'ensemble de leur artisanat. Hommes et femmes sont revêtues des tenues traditionnelles. En particulier, on peut observer les péraks, coiffure originale en forme de cobra qui tendent aujourd'hui à disparaître, et dont le nombre de rangées de turquoise permet d'apprécier la richesse d'une femme. Souvent les enfants sont portés à dos d'animaux. Des troupeaux de chèvres abondent également. La lumière est faible et les montagnes peinent à se refléter dans les eaux légèrement ridées du lac. Le Tsomoriri révèle son bleu turquoise, et la limpidité de ses eaux, lorsque le soleil parvient à percer le plafond nuageux. La traversée est longue, et alterne entre sable et terre. Il faut cinq heures pour parvenir à l'autre bout du lac, et longer ainsi ses vingt ou vingt cinq kilomètres de berge. Quelques gouttes de pluie nous |
|
| obligent par moment à nous couvrir. C'est à quelques centaines de mètres du lac, dans une immense plaine, que nous établissons le campement du jour. Je ressens un sentiment mitigé dans l'horizon qui s'éloigne, au cœur de ces vastes étendues sauvages. Vers le sud pointent plusieurs arêtes acérés et enneigées qui laissent entrevoir les jours futurs. Le chaos et l'austérité qu'ils représentent pour Vincent et Stéphane m'appellent bien davantage que la monotonie et la platitude de ces grands espaces. Après l'eau d'hier, c'est le vent qui se mêle à notre quotidien. La violence des rafales fait plier les arceaux de la tente d'une courbure inquiétante. Nos sacs serviront de renfort pour consolider notre abri de fortune. |
| |  | Jour15 : Le vent a continué de souffler au cours de la nuit. J'entends nos guides discuter sous la tente cuisine. J'ai l'impression, à tort, que la force du vent s'est engouffrée sous la grande toile, et a provoqué des dégâts. Je dors donc relativement mal. La journée d'aujourd'hui doit être courte. Aussi le réveil est plus tardif, ce qui me permet de grappiller quelques dizaines de minutes de repos supplémentaire, et de récupérer de la nuit agitée. Je suis le premier levé, et en profite pour rendre visite aux chevaux. Certains sont encore endormis. Depuis le début du trek, nous observons l'attitude étonnante d'un des deux gardiens de chevaux. Ce dernier se met toujours en retrait, ne parle pas ou peu, si bien que nous nous demandons s'il n'est pas muet. Lorsque pour une raison ou une autre, nous sortons plus tôt des tentes, lui est déjà dehors, seul à l'écart, souvent dans une position accroupie. Serait-il autiste ? La question nous vient naturellement. En réalité, nous apprenons son appartenance à la caste des intouchables, les parias. Son statut ne l'autorise par exemple pas à entrer dans la tente cuisine. Est-il autorisé à adresser la parole en premier ? Nous n'avons pas la réponse, mais cela apparaît envisageable. Cette hiérarchie des castes, au-delà d'être surprenante, nous est étrange et mystérieuse dans son fonctionnement. Surprenante, car l'ombre d'un représentant |
| |
| d'une caste peux suffire à rendre impure la nourriture d'un individu d'une caste supérieure. Etrange car elle classe les hommes en différents groupes, et ceci dès leur naissance. Le nom permet de connaître immédiatement la caste d'appartenance. Etrange enfin, car l'appartenance à une basse caste peut être compatible avec un haut rang social, et inversement. Toujours est-il que cette séparation des hommes en catégories et la complexité des relations qui en découlent permettent d'expliquer et de comprendre des attitudes parfois surprenantes. Depuis que nous sommes redescendus à l'altitude de 4200 mètres, Vincent et moi avons étrangement besoin de prendre de grandes inspirations pour chercher notre souffle. Pourtant nous ne ressentions pas ou moins cette nécessité à une altitude plus élevée. C'est ainsi que nous quittons la vallée qui prolonge le lac Tsomoriri. Un désert de pierres et de sable coincé entre des montagnes brunes s'annonce. Chaque pas que nous faisons semble identique au précédent, dans un relief qui n'évolue pas ou progresse peu. La marche est monotone. Nous n'en éprouvons aucun plaisir particulier. Mécaniquement, nous avançons, interrogeant la machine humaine sur l'intérêt de traverser une partie du globe pour se retrouver enfermés dans une situation telle. Pourtant, nous sommes certains que tout cela prendra dans quelques temps un sens réel. Ce sont des instants où le temps n'a pas de fuite. Le passé, le présent et le futur se confondent. La solution consiste à se déconnecter de la réalité, et de laisser défiler les kilomètres avec abstraction sur ce qui nous entoure. La marche n'est pas trop longue, pourtant c'est avec satisfaction que nous atteignons le camp du jour. C'est une manifestation classique du pouvoir de l'esprit sur la santé du corps. La baisse relative de régime du moral entraîne une fatigue physique, accompagné d'un certain dérangement de l'estomac. A moins que ce ne soit le contraire. Toujours est-il qu'étroitement liés, le physique et le moral se partagent la part belle, mais tout autant les instants plus délicats. Je sens peser depuis plusieurs jours la répétition du quotidien, la lassitude du décor et de la nourriture. Je ressens quelque peu la sensation d'isolement dans cette nature aux dimensions disproportionnées, dans laquelle je ne me sens pas totalement à ma place. J'envie les dentelures de pics et de crêtes à l'aspect rugueux. Ici, dans les plateaux infinis, je ne perçois pas l'horizon d'un objectif. Une longue partie de carte nous redonne le goût de la futilité. J'ai confiance, et déjà, au moment d'écrire ces notes, le moral se regonfle. De grands moments sont encore à écrire. Le premier vient avec le coucher de soleil superbe, aux reflets orangés et inquiétants, sur les montagnes de demain.
|
| |  Chapitre 5: Du Tsomoriri au pied du Parang La |
| | Jour16 : Cette nuit fût difficile. J'ai mal dormi et même en position horizontale, au repos, j'ai parfois du mal à respirer correctement. Je puise dans les inspirations profondes, à la recherche d'oxygène. Je ressens un gène respiratoire, bien que nous soyons maintenant en altitude depuis jours. L'acclimatation est en cour, et un problème particulier aurait déjà dû se manifester. Pourtant, tandis que je m'isole du campement, j'observe quelques traces de sang dans une glaire. Cela ne va pas pour me rassurer et une légère inquiétude m'envahit. Redescendre est le seul moyen de parer à des symptômes du mal aigu des montagnes, et quitter la position où nous sommes nécessiterait de repartir au galop vers Korzog. Je fais pars à Parkash de mon état, du moins de mes observations. Il ne parait pas plus inquiet que cela, et me dit que nous ferons le point le soir même. Malgré les interrogations naissantes, le soleil, ce matin, rayonne, et le paysage prend des couleurs éclatantes. Le petit lac face au bivouac reflète un bleu pur. Pendant plus d'une heure, nous suivons une large vallée. A la jonction d'une seconde vallée tout aussi impressionnante, nous remarquons une tour de pierre. Repère d'observation sur un horizon sans limite, ou piège pour animal ? Parkash opte pour la seconde hypothèse, et fournit des explications qui laissent Stephane perplexe. C'est ainsi que Parkash nous décrit le rôle de cette bâtisse : Il s'agit d'un
|
|
| piège, en particulier pour le léopard des neiges, utilisé par les nomades. Se servant de blocs de pierres disposés autour du piège, l'animal peut monter au sommet de la tour, puis pénétrer à l'intérieur, où les nomades ont disposé le cadavre d'un yack ou d'un autre gibier dans le but d'attirer leur proie. Une fois à l'intérieur, le léopard est prisonnier. Les hommes n'ont plus alors qu'à l'abattre à l'aide de pierres et de lances. L'histoire est séduisante, mais la situation de la tour, impose plutôt à un repère stratégique. Le scepticisme sur la réalité décrite de l'ouvrage est permis ! |
| |  | Nous arrivons alors sur les rives d'une rivière qu'il est impératif de traverser. De nombreux bras serpentent entre les cailloux de la vallée. Tenter de traverser pareil obstacle l'après-midi serait impossible, à cause du niveau montant des eaux au cours de la journée. Chaussures autour du cou, pantalons retroussés, nous franchissons les guets pendant plus de trente minutes. La sensation des cailloux sur la plante des pieds est plus douloureuse encore que le froid de l'eau qui transit. Il faut alors suivre la rivière en amont, vers la source et les montagnes qui s'élèvent toujours plus vers le sud. La marche est devenue très plaisante. Bien que le paysage soit toujours aussi vaste, l'ensemble se fait moins lisse, plus acéré, rendant la traversée fort paisible. Cela implique un moral revenu au plus haut. Le physique répond en conséquence. Mes inquiétudes du matin se dissipent. Nous doublons un groupe de trekkers- un couple de français et leur fille- alors qu'ils terminent leur journée de marche. Ils sont ici avec Terre Oubliée, une des seules grandes agences de voyages françaises à proposer ce trek. A notre tour, nous arrivons au campement, bien avant les chevaux. Comme depuis deux jours, le temps menace en début d'après-midi. La mousson est en marche vers le nord du pays, protégé par la barrière himalayenne. A cet instant, nous avons quitté le Jammu et Cachemire, pour pénétrer dans l'Himachal Pradesh, région de Parkash.
|
| |
| |  | Jour17 : Nous nous réveillons avec les premières goûtes de pluie de la journée, à 4800 mètres d'altitude. Le ciel est couvert, les nuages envahissent les sommets. Nous patientons un long moment avec de quitter le camp. Ce matin, nous continuons à remonter la vallée de la veille, avançant toujours plus vers la source de la rivière dont le débit fluctue en fonction de l'heure. Nous laissons le sentier qui s'élève sur un sol de terre et d'éboulis, pour longer le flanc de la paroi qui flirte avec l'eau. Pendant quelques dizaines de mètres, la berge s'effrite sous nos pas, obligeant une allure continue afin de ne pas chuter ou glisser. Il faut enjamber un petit bras de rivière, trempant le bas de nos pantalons, car nos sauts sont trop courts pour parvenir secs sur la terre ferme. Nous arrivons sur des cathédrales de sable. Un long moment nous continuons à progresser ainsi sur un chemin qui nous approche à chaque pas des glaciers, berceau du fil conducteur que constitue la rivière. De larges vallées et de profonds canyons étroits constituent le paysage changeant. D'énormes rochers brisent la monotonie de la marche qui sans cela, aussi majestueux que soit notre environnement, prendrait un aspect neutre dans la longueur. Nous croisons deux groupes et leur caravane, en marche vers le Tsomoriri. Quand à nous, nous poursuivons jusqu'à atteindre le présumé camp. Notre caravane tarde à arriver, tandis que le temps commence à menacer fortement. A priori en désaccord avec Parkash, la caravane doublée la veille s'installe sur les lieux. Nous allons donc continuer plus loin, trouver un endroit qui ne sera pas perturbé par la présence d'autres marcheurs. Lorsque les chevaux arrivent enfin, nous nous remettons en route. Il nous faut encore franchir des bras de rivière. Il n'y a pas d'autre alternative ; ou bien se déchausser et franchir chaque obstacle d'eau, pieds nus sur les galets, ou traverser les chaussures aux pieds. Nous choisissons la seconde solution, contraint de nous mettre à l'eau jusqu'à mi-mollets. Le vent commence à sécher nos pantalons mais pour une courte durée puisque la pluie qui menaçait nous rattrape. L'orage guète et le tonnerre commence à gronder. A l'arrivée au camp, nous sommes mouillés, bien que protégés sous nos équipements de pluie. De gros nuages noirs, inquiétants, voilent le ciel. L'équipe monte la tente cuisine, sous laquelle nous nous réfugions, attendant que la pluie se calme pour monter les notres. En réalité, les armatures qui maintiennent la grande tente, ainsi que tous les ustensiles de cuisine, intégralement constitués de métal, nous inquiètent plutôt qu'autre chose. Les pointes d'acier qui fixent la toile dépassent comme deux minis paratonnerres. Si la foudre décider de s'abattre dans les parages, voilà bien tous les paramètres réunis pour qu'elle le fasse ici. Vincent et moi préférons l'humidité extérieure, que l'abri exposé au danger. Pour ajouter davantage de saveur à la situation, les guides faillirent mettre le feu avec l'essence, en allumant le réchaud. De grosses flammes jaillissent par les aérations latérales de la tente. Cela a le mérite de faire rire toute l'équipe. L'orage s'éloigne un peu. Nous nous séchons et nous réchauffons devant les réchauds, buvant un café brûlant. Le gardien de chevaux, habituellement en retrait, est autorisé, compte tenu de la météo, à entrer sous la tente. Lui aussi a besoin de se réchauffer, et de faire sécher ses vêtements. Pour la première fois, je le vois sourire. L'ambiance est chaleureuse. Nous sommes tous les huit réunis, confinés dans cet espace réduit, autour d'une flamme salvatrice. Nous chantons, couvrant le bruit du tonnerre qui s'éloigne en grondant son mécontentement. Ce sont des instants qui apportent des réponses, lorsque parfois l'on s'interroge sur les raisons d'être là. Lorsque la pluie cesse enfin, nous montons les tentes, avant de retourner sous la grande toile pour le dîner, ou Vishram nous a préparé un petit festin. Quelques flocons minuscules volètent. Ainsi la journée s'achève, donnant repos aux dernières heures dont le rythme s'est accéléré. |
| |  | Jour18: Quelques goûtes de pluie tapent sur la toile à mon réveil. Stéphane est levé depuis longtemps. La pluie tombée la veille a formé des filets d'eau grandissant. Sa tente est placée sur le trajet qu'emprunte un de ces filets, qui s'écoule et grandit. A six heures du matin, il a été réveillé par une sensation de froid. Son sac de couchage baigne dans l'eau. Le soleil finit par percer, et dissiper les nuages sombres. Voilà ce qu'il nous fallait pour faire sécher nos vêtements trempés de la veille. Ce matin le petit déjeuner est plus frugal qu'à l'accoutumer. Céréales, œufs brouillés à l'ail et aux oignons, puis ragoût de pommes de terre emplissent avec délice nos estomacs, et nous apportent l'énergie nécessaire pour bien aborder la journée. Le tout est accompagné d'un pain rond que nous découvrons ainsi que de thé et café. Nous levons le camp lorsque tout est rangé et que nous sommes prêts à entrer pleinement dans cette nouvelle journée. Nous longeons toujours la longue et immense vallée glaciaire, mais par un plateau égaillé de ronds d'herbes grasses comme autant de taches vertes sur un fond bruni par le minéral. Nous rejoignons la rivière, et il faut traverser quelques petits bras avant d'atteindre le lit. Le guet doit être franchi suffisamment tôt et l'heure est déjà bien avancée lorsque nous l'atteignons. L'eau monte à mi-cuisses et le débit nous contraint de lutter fermement, debout sur nos jambes, prenant garde de ne pas perdre l'équilibre. Sans ces efforts nous finirions emportés par les flots, incertains de s'extraire du courant avec une grande facilité. Les jambes meurtries par le froid, Stéphane sort du torrent bouillonnant en poussant un cri de rage. Désormais nous apercevons ce qui représente depuis quelques jours notre but. Le col du Parang La pointe depuis un petit moment, et dans son prolongement le glacier dont la langue semble si proche. Avec l'échelle du paysage, avoir un point de mire n'est pas synonyme d'aboutissement. Nous nous élevons lentement au dessus de la rivière qui grossit au fur et à mesure de notre progression. Enfin nous atteignons le camp, qui pour la première fois depuis le début de la traversée ne présente pas le moindre carré d'herbe. C'est autant de nourriture en moins pour les animaux. A la même heure qu'hier, le ciel s'obscurcit et se couvre de nuages noirs. L'orage rode dans les parages. Heureusement pour ce soir, nous sommes déjà sous les tentes lorsque la pluie commence à tomber. Avant d'être bloqués sous les toiles, Vincent et moi réalisons un petit film présentant une expérience physique. En effet, la température d'ébullition de l'eau varie en fonction de l'altitude. Profitant de la préparation du thé, nous mettons en avant le phénomène en mesurant une température d'ébullition de seulement 83°C, pour une altitude de 5100 mètres environ. Cette preuve irréfutable servira de témoin pour nos prochains cours de lycée. Une heure plus tôt que d'ordinaire, on nous convie à dîner. Demain le réveil est prévu très tôt dans la nuit pour passer le col dans de bonnes conditions.
|
| |  | Jour19: A cinq heures du matin, on nous sort du sommeil. La neige a blanchi les sommets, et recouvert d'une fine épaisseur les toiles de tentes. La température est de l'ordre de 3°C ce qui représente certainement la plus basse depuis le début du voyage. Prêts et habillés en conséquence pour le froid, nous partons sur le sentier de pierres, grimpant à un rythme soutenu dans les pas des chevaux. Nos empreintes sont marquées dans le saupoudrage blanc de la nuit. Pour l'équipe, le col était affiché depuis le début comme l'objectif principal ; le sommet ultime avant de descendre vers Kibber. En ce début de matinée, l'humeur est joyeuse. Nous continuons à progresser sur le glacier du Parang La. Nos pas s'enfoncent dans la neige tendre, dessinant des itinéraires multiples dans un décor vierge d'autres traces. Plus nous nous enfonçons, et plus nous forçons l'allure, comme pour ne pas être retenus prisonniers, attirés vers le point culminant du voyage. La caravane avance à notre rythme, et les chevaux ne semblent pas peiner plus que nous dans leur ascension. Quelques cours d'eau dévalent la pente, déchirant le glacier par d'authentiques courbes qui sillonnent l'étendue blanche. Après trois heures d'ascension rapide, nous gagnons un couloir étroit qui nous permet d'atteindre le col et ses 5600 mètres d'altitude. Vincent Stéphane et moi franchissons la ligne d'arrivée ensemble. Il y a déjà des caravanes au sommet. Mais pour nous, ces instants sont aux congratulations. Parkash nous remet à chacun une écharpe de tissu provenant des drapeaux à prière, en signe de porte bonheur. Nous mesurons davantage la dimension humaine que celle des hautes montagnes. Tout d'abord, il faut reprendre notre souffle un peu court. Rapidement, les poignées de mains fusent, les accolades se multiplient, les chants se lient aux drapeaux à prières dans une union fraternelle. Enfin, le moment est venu de redescendre sur l'autre vallée. Sur ce versant sud, il n'y a plus de neige. L'atmosphère change radicalement, passant des hautes altitudes à l'impression d'être en moyenne montagne. La descente s'amorce dans une ambiance très festive. Nous chantons en cœur chants locaux et français, dansons parfois dangereusement sur les éboulis du sentier, le souffle court. Le pierrier nous mène jusqu'à un replat herbeux où les chevaux sont tout heureux de pouvoir paître un peu d'herbe tendre après une journée de diète. De là, nous dominons vertigineusement des gorges étroites que nous longerons bientôt. Le camp initialement prévu est dépassé, mais nous continuons vers un autre emplacement situé à deux heures de marche environ. A cet endroit nos animaux porteurs trouveront un bien meilleur garde-manger. A cet instant, probablement à cause de la verticalité du canyon, malgré que la neige ait disparue, je ressens la présence puissante de l'Himalaya. |
| |  | Happés par le fond de la vallée, le grondement de la rivière croit tandis que nous approchons de son lit. Nous la suivons désormais, prisonniers des gorges superbes. Nous devons bientôt changer de rive pour suivre le sentier. Nous empruntons une passerelle tandis que les chevaux, trop lourds et trop gros, doivent passer le guet. Il est déjà une heure avancée de la journée- aux alentours de 13h- et le débit est important. Il n'y a pourtant pas d'alternative, et les chevaux doivent traverser. Ils refusent dans un premier temps d'avancer, apeurés par l'obstacle. Contraints et poussés par les guides, ils finissent malgré l'appréhension par s'élancer dans l'eau et franchir la dangereuse barrière. Mais l'un des chevaux, plus faible, peine à avancer. Un des guides a grimpé sur son dos pour le faire avancer, lui donner des coups sur les flancs. Le cheval avance difficilement. Il est déporté par la force des eaux, et l'animal est à la limite d'être renversé et entraîné. Quelques mètres surélevés, nous observons la scène avec angoisse. Dans un dernier effort, il réussit à s'extraire du piège pour atteindre l'autre berge. De notre côté, nous devons franchir un pas d'escalade à flanc de falaise, où la chute est interdite. Vincent est un peu réticent, mais passe sans grosse peine. Seulement un petit frisson pour se glisser le long de la paroi, et accéder au sentier ferme. Les gorges s'ouvrent sur la droite, et nous empruntons le passage qui s'élève et doit nous sortir de ce long couloir étroit pour retrouver la vue aérée des derniers jours. C'est une longue remontée qui s'annonce, abrupte et escarpée, qui doit nous élever de 450 mètres. La montée est terrible, après une journée déjà longue en difficultés. Le sentier serpente en lacets serrés. Les guides sont derrières et semblent peiner, avançant moins aisément qu'à l'accoutumer. Un cheval apparaît clairement plus fragiles que les autres. Celui là qui faillit être entraîné par les eaux. Nous doutons sur sa capacité à arriver au sommet. Il peine horriblement. Je l'entends souffler anormalement. Sa respiration est poussive. Je fais la montée à ses côtés, l'encourageant, lui donnant des tapes pour le forcer à avancer. Parfois je le pousse pour lui donner un peu d'élan ou d'entrain. S'il devait s'affaisser, je suis prêt à prendre une partie de son chargement sur le dos. Je me sens bien physiquement. Si Stéphane et Vincent semblent un peu moins à leur aise, je suis certain qu'ils feraient malgré tout de même. Une petite descente annonce l'arrivée proche. Le cheval part en courant, trop faible pour retenir sa course, et freiner sa masse qu'il ne contrôle plus. Enfin le camp est là, et le repos attendu pour tout le monde. La journée a été longue, et magnifiquement variée. Peut être même qu'il s'est passé trop de choses pour les apprécier à leur juste valeur. Toujours est-il que le franchissement du col dans la neige, la communion au sommet avec l'équipe, la traversée des gorges et enfin la dernière remonté à pic resteront à coup sur comme une succession de paroxysmes de beauté et d'émerveillement. Dans la difficulté et l'effort, je retrouve une certaine exaltation qui m'apporte une récompense bien plus grande et intense. |
| |  Chapitre 6: En marche vers Kiber |
| Jour20 : Après la grosse journée d'hier, la matinée est très tranquille, et se déroule à un rythme lent. L'équipe n'est pas pressée de quitter l'emplacement. Tout le monde a besoin de récupérer des forces laissées dans les difficultés de la veille. Depuis longtemps pourtant, le meneur de chevaux a conduit les bêtes un peu plus loin pour trouver de la bonne herbe. C'est donc sans nous brusquer que nous prenons le petit déjeuner et rangeons pour la dernière fois nos affaires dans nos sacs puis plions les tentes. Il ne faut pas plus de vingt minutes pour atteindre le sommet des gorges. A partir de là, c'est la lente plongée vers Kibber qui s'amorce. Le sentier de pierres descend en premier lieu jusqu'à apercevoir une vallée verdoyante et riante. Dans les champs, les femmes sont au travail, pour la récolte des cultures. Il s'agit du retour progressif à la civilisation. Nous visualisons la route pour Kazaa. Depuis la vallée, le village pointe en ligne de mire. Il faut encore descendre vers de nouvelles gorges. Nous pensions en avoir terminé avec les dénivelés. Il restera cette ultime étape pour parachever la traversée. La rivière est un endroit idéal pour se poser quelques instants et manger quelques bouchées. Nous avons devancé l'équipe de plusieurs minutes. C'est ensemble que nous abordons la remontée finale. Au sortir des gorges, le sentier rejoint une petite route, bordée de parapets parallélépipédiques que les habitants sont en train de coffrer. Voilà un signe que dans cet endroit reculé, le touriste est en train également d'être de plus en plus présent. Force est de constater que où que nous allons, l'étranger trouvera toujours une raison honorable d'imposer sa présente. Le trek est dans la région les causes du développement qui, s'il présente des risques pour les populations autochtones, apporte en contre partie les devises nécessaires à son évolution. Il est étonnant, pour nous, occidentaux, de voir uniquement des femmes au labeur. Il en est ainsi culturellement. Certaines tâches comme le travail aux champs est réservé à la femme. Kiber est un petit village, planté sur un versant de colline. Nous y pénétrons dans une atmosphère de sérénité. Village paisible, où la vie s'écoule calmement, isolé du monde, Kiber représente pour nous la fin du trek convoité depuis maintenant dix jours. Parkash retrouve la tenancière de l'hôtel, une amie chère. Dès qu'ils ont rempli leurs estomacs, les deux meneurs de chevaux reprennent déjà la route en direction de Manali. Quant à nous, nous prenons possession d'une petite chambre sans confort. Il n'y a pas de salle de bain, encore moins d'eau chaude. Juste une petite douche est installée dans les toilettes communes. Aujourd'hui encore nous resterons dans notre crasse, mais nous pouvons à présent nous reposer. En fin d'après-midi, Parkash nous rejoint dans la chambre, une bouteille de whisky à la main. Nous discutons longuement de choses et d'autres, nous esclaffons, trinquons abondamment dans la joie et la bonne humeur. La bouteille terminée, nous ajoutons la notre, comme pour mieux fêter l'aventure qui s'achève. Nous poursuivons la soirée sur la terrasse. Vishram est à présent avec nous, ainsi qu'un chauffeur de jeep. Je commence à tituber. L'alcool est en train de faire ses effets. Les gestes deviennent moins précis, la vision se trouble. Vient l'heure de manger. Sous la tente cuisine, mon assiette de poulet à la main, je ressens le besoin de sortir rapidement. Si le mal des montagnes n'a pas eu raison de moi, le whisky ce soir m'aura vaincu. Plus tard, je m'endormirai tout habillé…
Jour21 : C'est une journée de repos le plus total qui s'annonce. Nous changeons de chambre pour une autre située à l'étage, avec salle de bain. Il y a une terrasse dont la vue embrasse le village. C'est un agréable lieu de détente. Farniente, repos, écriture et même essai de croquis sont au programme du jour. Dans le village règne une atmosphère paisible. En fin d'après midi le bus local stoppe près de l'hôtel. De nombreux villageois en descendent. Certainement qu'il reviennent de Kazaa d'où ils ont fait quelques achats, ou vendu le produit de leur labeur. Kiber est un village authentique qui s'anime en cette heure tardive de l'après-midi. Il est intéressant d'apprendre que l'ouverture des routes ne date que de la guerre indo pakistanaise. L'armée a alors développé les accès afin de mieux contrôler la région. La route qu'empruntent quotidiennement ces gens est le cordon ombilical qui les relie à la vie extérieure. Il l'est tout au moins durant la belle saison. Dès le mois d'octobre, le froid, la neige et a glace les coupent totalement du reste du pays. Les habitants vivent alors cette période rigoureuse de l'année, fermés dans leur village, totalement hermétiques à l'extérieur. Les plus jeunes fuient vers les villes comme Daramsalha pour devenir moines, et échapper à cette vie aux conditions extrêmes. Seules les personnes âgées restent fidèles à leur vie et leur domicile. L'armée fait porter de l'eau. Le village est aidé par le gouvernement, sans lequel les habitants ne pourraient subsister. Dans les rues de terre, les enfants courent et s'amusent. J'échange quelques mots ou quelques gestes. Les plus grands jouent au criquet sur le terrain de l'école. Quatre mois durant, c'est ainsi que s'écoule paisiblement la vie, loin de la pollution, du bruit, et du danger apparent d'une société bouleversée par les changements économiques. Parkash nous parle de la condition des habitants du Spiti. Devant les murs, les bouses de yaks sèchent, préparant le futur combustible de l'hiver. Sur les toits, les peaux des mêmes animaux sont étendues. Ils serviront de matières premières pour confectionner des tapis par exemple. Durand le repas, c'est l'occasion qui nous est donnée de découvrir le tchang, la fameuse boisson locale. Pour nous cette bière régionale s'apparente à un mauvais vin coupé à l'eau. Cette boisson est pourtant un breuvage très répandu. L'hiver, lorsque la nourriture est essentiellement constituée de tsampa, les villageois mêlent le tchang à cette farine d'orge pour en faire des galettes.
Jour22 : Aujourd'hui encore est une nouvelle journée que nous passerons au village. Nous attendons toujours la jeep qui doit nous désenclaver de la région. Peut-être arrivera-t-elle ce soir, mais des grosses pluies tombées sur Manali pourraient entraîner du retard. En réalité nous sommes septiques quant à cette version. Le retour était initialement prévu pour dans deux jours, mais l'annulation de l'ascension prévu à écourté la traversée de quelques jours. Nous pensons plus à une temporisation de la part de l'agence ou de nos guides afin de gagner du temps, et nous acheminer en temps réel vers Manali. Toujours est-il que ce matin, nous profitons de notre présence forcée pour nous balader au dessus du village. D'un point élevé, en sommet de falaise, nous dominons le gompa de Kye. La vue surla vallée est formidable. Derrière nous, à quelques centaines de mètres, se trouve un minuscule village à peine constitué de quatre ou cinq maisons. L'orage menace à présent. Nous faisons demi-tour vers l'hôtel. Nous passerons l'après-midi à laisser passer les heures, contraints dans l'inactivité, jusqu'au soir où le breuvage maintenant rituel et les chants nous ramènent à l'exceptionnel.
Jour23 : Le temps se dégrade de plus en plus. La pluie persiste la journée durant. Stéphane et Vincent commencent à bouillir de l'intérieur, trouvant cette attente interminable. Quand à moi, j'use les heures à m'imprégner de ce qui rythme notre entourage. Le chauffeur de la jeep arrive dans la soirée…
|
| |  | Jour24 : Ce matin est enfin synonyme de nouveau départ. Nous chargeons le véhicule, et nous apprêtons à quitter notre domicile établi depuis maintenant quatre jours. Le voyage reprend et lorsque le 4*4 enlace les premiers kilomètres de piste, nous retrouvons un nouvel élan, un renouveau dans le mouvement qui nous ravit. Nous avons besoin d'avancer, de voir plus loin se qui se cache derrière un espace inconnu. Après quelques kilomètres, nous arrivons au gompa de Kye, que nous surplombions il y a deux jours. Le monastère comprend des temples à la décoration plus moderne que ceux que nous avons découvert au Ladakh. Le temps qui sépare la visite en série des derniers monastères de la rencontre avec celui-ci est grand. Il a fait disparaître la saturation ressentie alors. Un moine nous fait la visite des temples. Dans le premier où nous pénétrons, plusieurs moines sont en pleine office, psalmodiant des mantras. Les écouter est toujours étonnant mais aussi apaisant. On découvre des tankhas, sortes de teintures, vieilles pour certaines d'entre elles de sept ou huit siècles. Chaque pièce est vouée à des prières particulières. Le lit dans lequel le Dalai Lama a dormi lors de son passage est succin et sans artifice. Au plus haut dignitaire représentant du bouddhisme est réservé un accueil et une hospitalité sobre. Nous mesurons ici l'approche fondamentalement différente entre nos morales de peuples occidentaux et la philosophie qu'a enseignée Bouddha. Nous pénétrons dans la cuisine, noircie par les fumées, où le moine nous prépare du thé. Après cette halte d'un intérêt solennel, nous reprenons la route jusqu'à Kazaa. Nous y faisons une courte pause, à peine le temps de sentir l'atmosphère d'une ville en pleine expansion face au tourisme grandissant. Si la ville ne présente pas de réel intérêt, nous y trouvons les boutiques nécessaires pour y faire l'achat de viande et de légumes pour le soir. Pendant que les guides s'occupent du ravitaillement, je joins Dola puis Dominique par téléphone, pour les informer que nous rentrerons à Manali avec un jour d'avance sur le programme. Notre séjour prolongé à Kiber nous a fait prendre cette décision. Nous tenons à écourter la visite du Spiti pour rouler directement vers Manali. La route est déformée, chaotique, minée de pièges. Il faut slalomer entre les éboulis, les tranchées creusées par le ruissellement, les étendues d'eau formées par l'écoulement de cascades sur la piste. Ce sont au total 200 kilomètres de pistes défoncées que nous parcourons en dix heures. La première partie de cette route nous dévoile des paysages grandioses. Nous sillonnons jusqu'à atteindre le col de Kimzon, à 4470 mètres. C'est la ligne de séparation entre le Spiti que nous quittons et le Lahaul que nous allons appréhender. Sur le nouveau versant qui s'annonce, les montagnes se resserrent, deviennent plus menaçantes. De gros glaciers se déversent sur les pentes caillouteuses. C'est une montagne que j'apprécie ! Nous descendons, zigzaguant sur les pentes qui saluent la vallée en contre bas. La rivière féroce charrie un courant fantastique. Nous stoppons, déjeuner en bord de route, dans un restaurant de toile. Assis sur des coussins autour de tables basses, on nous sert une assiette de riz, puis différentes sauces ajoutées par des serveurs qui effectuent le service avec une vitesse record. Si le plat en lui-même est un peu fade, une minuscule entaille dans un des petits piments verts qui sont proposés, suffit à enflammer le palais, et brûler les lèvres, pour le repas. Pour les locaux qui l'avalent en entier, cela ne suscite aucune réaction. Il y a également l'assiette d'ail cru à croquer, dont le goût, en comparaison, semble presque neutre. En milieu d'après-midi, nous montons le camp. Nous échangeons avec Parkash la satisfaction du trek, et des jours passés ensemble. Ce soir sera la dernière soirée que nous passerons sous la tente, au milieu des gamelles et des odeurs de cuisine. Pour l'occasion, nous apportons une bouteille de rhum. Nous sirotons l'alcool brun après le repas, dans une ambiance plus retenue que certaines soirées passées. Certainement que dans les effluves d'alcool, nous ressassons les moments partagés qui appartiennent déjà au passé. |
| |  | Jour25 : Cette fois, c'est définitivement que nous plions les tentes. Seulement quatre vingt trois kilomètres nous séparent de Manali. C'est du moins ce que mentionne un panneau indicateur. Trois heures sont nécessaires pour rallier la ville, avec toute la dextérité du chauffeur. Nous poursuivons la vallée de la veille, tantôt remontant des gorges vertigineuses aux parois verticales inspirant des rappels gigantesques, tantôt flirtant avec le cours d'eau des profondeurs. Nous débutons alors une série de lacets innombrables, très longs, jusqu'à atteindre le col de Rothang, où se dressent de multiples stands. En hiver, grand nombre d'indiens qui n'ont jamais vu la neige se rendent ici, emmitouflés pour affronter le froid. C'est un lieu de rassemblement, de pèlerinage en quelque sorte, une station hivernale pour les indigènes de la région. Nous basculons sur la vallée de la Beas, plongeant sur cinquante et un kilomètres, et deux milles mètres plus bas, par une route interminable, vers Manali. En descendant, le paysage devient plus vert. Des forêts peuplent les versants. Nous nous arrêtons aux sources chaudes de Vashi. Ce sont des sortes de piscines dans lesquelles les gens viennent se baigner après s'être lavés aux douches situées autour du bassin. Parkash, Russian et Vishram s'y lavent. Nous les attendons devant le site, assistant à l'animation que proposent deux musiciens de rue. Ils possèdent de nombreuses boites rondes en rotins, placées devant eux. Au fur et à mesure qu'ils jouent, ils ouvrent les boites, libérant pyton, crotal, ou encore scorpions. Des vaches nous bousculent pratiquement, conduites par leur maître. Un accident puis une altercation houleuse monopolise l'attention de la rue. Le retour à la civilisation est brutal. Nous filons à l'agence. Nous passons un long moment à discuter, entamons en particulier des négociations concernant l'ascension du 6000 mètres annulés, et le retour décidé anticipé. Manali s'avère être une ville certes très touristique, mais dans un environnement très vert et vallonnée, qui rend sa fréquentation agréable. Bien plus que le touriste encore, le cannabis est partout présent. Dans les jardins, sur les bords de trottoir, à chaque coin de rue, la plante est absolument partout. Pour cette raison, Manali est en quelque sorte la plaque tournante de l'Inde en ce qui concerne les drogues douces. Dans les rues animées, nous rencontrons Magdalena et ses deux amis avec lesquels nous avions passé la dernière soirée à Leh. Tous les six, nous prenons un verre. Eux reviennent d'un trek dans la vallée de la Marka. Nous échangeons nos impressions. Puis ils repartent déjà, par un bus qui doit les conduire vers la suite de leur périple. Autour d'un bon repas, nous faisons le point sur les semaines achevées, mettant avant nos espérances et nos doutes, nos certitudes et nos frustrations… |
| |  Troisième partie: La descente sur Delhi |
|  Chapitre 7: L'école des nomades |
| Jour26 :Stéphane et Vincent partent ce matin pour Shimla. Pour ma part, je reste la journée à Manali. Je dois aller visiter une école de nomades que gère une association dont s'occupe Dominique. J'ai du mal à trouver le petit local dans les ruelles qui divergent et ce, malgré un plan approximatif que je possède. Devant l'école, les familles vivent sous les tentes. Certaines d'entres elles, sensibilisées à la scolarisation, y envoient leurs enfants. D'autres ne sont pas à ce jour encore prêts à faire la démarche, considérant comme secondaire le savoir et l'apprentissage. L'école est active depuis trois ans. Il y a environ 35 enfants au total. Tous ne suivent pas les cours avec une assiduité intégrale mais la plupart sont présents régulièrement. Je rencontre les trois institutrices qui travaillent dans le centre. Il y a à l'accoutumé deux classes qui travaillent en parallèle. Aujourd'hui les enfants sont une dizaine, et rassemblés dans une seule pièce. Assis sur le sol, ils vaquent à des activités diverses. Ecriture de l'alphabet, reconnaissance des lettres, identification de phonèmes sont à l'ordre du moment. Ils viennent rapidement me montrer leurs productions. Je les accompagne autant que je peux dans leur ouvrage. Pour la pause déjeuner, les enfants vont acheter, sur les fonds de l'association, un plat chaud dans une échoppe voisine. Ils s'installent sur le sol d'une des deux salles adjacentes pour manger. Vient alors la séance photos à laquelle ils se livrent volontiers, gaiement, et prenant beaucoup d'intérêt à se voir sur le petit écran de l'appareil. Les activités reprennent ensuite. Il s'agit de coloriage pour l'essentiel, puis vient le moment des chants. Il n'y a pas de formalisme avec les méthodes. Les institutrices s'amusent, prennent des photos, ou encore répondent au téléphone. Je soupçonne ma présence d'être responsable de l'ambiance, à mon avis, plus décontractée que d'ordinaire. C'est à mon tour d'entonner un air -à la claire fontaine- que les enfants écoutent attentivement, et saluent par des applaudissements. J'ai même droit à un bouquet de fleurs dessiné aux crayons de couleur par une des institutrices, probablement en signe de bienvenue ! A l'heure de quitter, un des enfants frappe plusieurs coups de marteaux sur une cymbale. Les " bongs " retentis signalent la fin de la journée, et le moment de rentrer dans les familles. Ils s'alignent devant la porte de sortie, puis quittent l'école en agitant leurs mains en guise d'au revoir. Il en est ainsi six jours par semaine, et environ cinq mois par an. Ensuite les nomades quittent la ville pour aller dans le Pendjab ou le Rajasthan d'où ils sont originaires. Durant le printemps certaines familles reviendront, d'autres non. Ainsi va le roulement des enfants nomades dont la scolarisation, certes essentielle pour appréhender le plus objectivement possible l'évolution de leur société, est loin d'être aujourd'hui encrée dans les comportements. A mon tour je salue les institutrices et les remercie de m'avoir accueilli et permis de cerner leurs conditions de travail. |
| |  | Je me promène en ville, puis prend un rickshaw qui m'amène à la station de bus. Je dois rouler toute la nuit pour rejoindre demain matin à la première heure Stéphane et Vincent qui m'attendent à Shimla. Tandis que la nuit commence à pointer, le moteur du bus démarre. Me voici parti pour dix heures de trajet, à coup sùr peu reposant. Cela fait trente minutes à peine que nous avons quitté Manali, et voilà que le bus stoppe. Je mettrai un long moment à comprendre que nous avons crevé un pneu. Ne voyant aucune activité à coté du véhicule, je descends voir ce qu'il se passe. C'est alors que je constate que nous sommes stationnés à côté d'un atelier, empli de roues et de chambres à air. Les chauffeurs sont en train de réparer la crevaison, tandis que les hommes du bus sont attroupés autour d'eux. Il n'y a donc pas de roue de secours dans les bus indiens ! Summum de l'organisation, il fait nuit, et la seule lumière que les chauffeurs possèdent pour remonter la roue est l'éclairage d'un téléphone portable. Je leur prête ma frontale rangée au fond du sac. Enfin, après trois quarts d'heure d'arrêt environ, nous repartons. Bientôt ce sont des camions arrêtés qui bloquent une route trop étroite. Quelques engueulades fusent envers des conducteurs ou de simples piétons. C'est bientôt un nouvel arrêt pour un contrôle des passeports. Vient ensuite rapidement l'heure de la pause dîner. La route est cabossée, et les secousses font grandement vibrer le bus. Nous sommes partis depuis quatre heures, mais le parcours a été sans cesse interrompu, et les tentatives de sommeil avec. Mon sac est couché en travers sur le sol. Mes jambes ont peu de liberté. L'itinéraire se poursuit ainsi, dans un confort incertain, et au cœur d'un paysage vallonné que je devine par les ombres.
Jour27 : Deux cent kilomètres et dix heures de trajet permettent d'atteindre au levé du jour la ville de Shimla. Je recherche l'hôtel où Stéphane et Vincent m'ont donné rendez-vous. A l'accueil austère où un mot me signale leur présence, je réveille le gardien qui dort allongé sur le sol. Après discussion, on me laisse finalement monter jusqu'à la chambre où dorment mes deux compagnons de voyage. Il est alors aux alentours de sept du matin. Ma nuit a été écourtée et mouvementée. Aussi je m'octroie un petit repos. Nous prenons notre petit déjeuner, accueillis par une responsable de personnels au caractère détestable. Après quoi nous allons jusqu'à Vice Royal Lodge. C'est la demeure de l'ambassadeur, où à l'époque du mahatma Gandhi, furent prises d'importantes décisions concernant le pays. Au cours d'une visite trop courte du château, nous parcourons le vaste hall d'entrée ainsi que la salle de réunions. C'est une bâtisse de style anglais, datant de 1888. Shimla est une station coloniale, d'altitude, où l'empreinte anglaise est largement dominante. En 1864, la ville devint capitale d'été des Indes britanniques. Il est amusant et étonnant de voir tous ces singes en liberté, errer dans les rues et sur les toits de la ville. Mieux vaut être barricadé à l'intérieur, afin d'éviter une visite de courtoisie impromptue. Ce soir nous avons rendez-vous avec le cinéma boolywoodien. A coté de notre hôtel, sous une pluie battante, nous courons nous abriter dans la salle presque vide, où est projetée une comédie indienne. Si nous ne comprenons absolument rien aux dialogues, nous nous esclaffons néanmoins devant l'absurdité des scènes comiques de cette comédie musicale. Depuis la chambre, la vision nocturne et illuminée sur la ville en contrefort des hautes collines est douce. Nous focalisons notre attention sur les reflets teintés de bleu. Au moment de nous coucher, malgré les demandes multiples, le personnel n'a toujours pas apporté de matelas supplémentaire. J'installe mon autogonflant et entame déjà ma nuit lorsqu'on frappe à la porte. Agacé par les répétitions infructueuses de ma requête au cours de la journée, je fais savoir que je n'ai plus besoin à présent du matelas. Ainsi débute une longue et bonne nuit de récupération…
Jour28 : Vincent et Stéphane sont déjà prêts à rejoindre la salle de déjeuner. Je termine de prendre ma douche lorsqu'ils descendent. Au moment d'entrer dans la chambre pour m'habiller et terminer de me préparer, je constate qu'ils n'ont pas laissé la clé. Me voilà contraint de descendre les deux étages du bâtiment, couper le hall d'entrée et pénétrer dans la salle des repas, une simple serviette de bain nouée à la taille. Mon entrée est remarquée, et quelques réactions se font entendre de part et d'autre de la salle, où sont déjà attablés plusieurs personnes. Au moins me voilà en possession de la clé ! Ce matin, le temps est de plus en plus gris. Nous occupons la journée par des promenades en ville. Dans l'après-midi, Vincent part au temple des singes, d'où il reviendra avec plus de stress quant à la réaction des primates, que d'enthousiasme. Pendant ce temps, et tandis que la mousson fait valoir ses droits, abrités sous les auvents des boutiques, Stéphane et moi observons le défilé des écoliers en uniformes dans les rues emplies d'eau. En fin d'après-midi nous quittons notre ultime étape pour rejoindre Delhi. On ne peut pas dire que l'activité fut débordante durant notre court séjour à Shimla. Nous prenons un petit train pittoresque qui, sur 93 kilomètres, 103 tunnels et 4h30 de voyage nous achemine jusqu'à Kalka. Ce train a la particularité de rouler sur des rails beaucoup plus étroits que la normale. Le confort est appréciable, installés que nous sommes dans de gros fauteuils de velours brodé. Le thé, puis plus tard le repas est servi à bord. Un steward s'occupe de chaque wagonnet.
|
| |  | Jour29 : Une fois le tronçon effectué, nous montons à bord d'un train de nuit, aux dimensions cette fois-ci traditionnelles, qui doit nous mener à Delhi. Nous avons réservé des couchettes, et le sommeil est excellent. Il est cependant écourté lorsque vers 5h30, notre voisin indien réalise qu'on lui a volé une valise. Il veut savoir si les notres sont toujours sous nos banquettes, et si nous n'avons rien vu ou entendu. Des agents de police sont dans le wagon. Nous avons été plus prévoyants, attachant nos sacs aux montants prévus à cet effet. Papiers, argent et carte de crédit n'ont pas quitté mon oreiller de la nuit… Nous revoici donc dans la capitale, un mois plus tard approximativement. Entre rickshaws et boutiques, nous parcourons le centre ville et les alentours, fouillant les marchés périphériques, à la recherche de souvenirs que nous ne trouvons pas. Se réfugier ne serait-ce que dans un bar agréable pour se réhydrater des litres de sueur perdus dans la fournaise de Delhi, est un véritable challenge.
Jour30 : La dernière journée est une quête d'objets souvenirs. Nous allons à Old Delhi. L'ambiance y est démente, le trafic et la population infernaux. Rickshaws, vélos, voitures, piétons, animaux forment un enchevêtrement continu de véhicules, collés les uns dernière et à coté des autres. Tout semble figé dans une densité extrême. Chacun prend patience pour avancer de quelques centimètres. Traverser ce flux épais s'avère une délicate opération. L'animation est incroyable. Le bruit est partout présent dans les rues du quartier. Nous passons rapidement à la mosquée puis au temple jain, avant de nous arrêter plus longuement au temple sikh. La visite est faite par un adepte du temple. Pour pénétrer dans le site, on nous couvre la tête d'un foulard, puis nous nous déchaussons. Le sikhisme est une religion monothéiste qui refuse le système des castes. Elle se veut pacifique, sans pour autant être résignée. Chaque midi 10 000 couverts sont servis gracieusement à tout individu qui se présente. En quelque sorte, un restaurant du cœur, sans distinction de caste ni de classe sociale. On y voit beaucoup de mendiants faire la longue file d'attente. Nous parcourons les cuisines, puis entrons dans la salle de prières où les pratiquants viennent s'asseoir, écouter des musiques et des prières. Plusieurs musiciens animent l'office d'une musique et de chants très mélodieux. Nous arpentons encore plusieurs marchés et bazars. Dans le New Delhi il est beaucoup plus calme et reposant de musarder entre les allées. L'agitation est moindre en comparaison de la ferveur de la vieille ville. Avant que la nuit ne s'empare de la ville, je pars errer, l'appareil photos à la main, à la recherche de quelques clichés. La température est à cette heure avancée de la journée bien plus supportable que la fournaise des heures les plus chaudes. Des enfants puis des marchands ambulants sont intrigués par mon jouet à 300 euros. Ils s'approchent de moi, jouent derrière l'objectif, pausent et s'amusent de se voir sur le petit écran de l'appareil. Ces derniers instants d'immersion que je savoure représentent un symbole de ma quête avouée de rencontres et d'échanges. Ce sont quelques instants partagés, entremêlés de rires et de sourires universels que la différence de condition qui nous oppose ne saurait calomnier. Si c'est au gré de ces sourires que je désire parcourir mes itinéraires, avides d'expressions humaines, notre dernière soirée ne me laissera pas de trace mémorable. Nous dînons dans un des restaurants d'un hôtel de prestige des quartiers résidentiels excentrés. Le service est très correct, la nourriture succulente, et le cadre malgré tout plutôt sobre. Pourtant je ne me sens pas vraiment à ma place, en décalage probable avec ma ligne conductrice enduite d'authenticité. C'est le ventre repus que nous regagnons l'hôtel. Nous bouclons les sacs, puis nous endormons durant les quelques heures qui nous séparent de l'avion.
|
| |  | Durant un mois, nous avons effleuré un univers profondément opposé au notre, tant par sa philosophie de vie que par son mode de fonctionnement. Chaque jour cadencé par un rythme parfois difficile à suivre, nous a permis de nous approcher un peu plus d'une dimension inconnue. Au cœur de la vie indienne, nous avons reçu de plein fouet le choc d'une culture violente. Violente d'abord par la vie d'une densité démesurée au sein de laquelle nous nous sommes trouvés insérer à peine après avoir foulé le sol. Violente pour nos sens, accoutumés au raffinement des grandes villes occidentales. L'ouie, la vue, l'odorat sont en permanence happés par un univers sensationnel, où chaque empreinte déposée sur nos capteurs émotionnels active un mécanisme interne qui nous rappelle à chaque instant que ce monde n'est pas le nôtre. Les premières impressions assimilées, ce monde s'avère encore plus violent lorsqu'on commence à appréhender les mécanismes de la hiérarchie religieuse, gouvernée par le système des castes. Comment pouvons-nous continuer à parler de liberté lorsqu'un homme né assujetti à des droits et des non droits, sans aucun moyen de changer le cours des choses ? Comment parler d'égalité lorsque des hommes sont classés à leur naissance dans des catégories définies à l'avance, et que la fatalité est la seule condition pour accepter de vivre selon des critères bien particuliers ? On nous a contés le pacifisme indien, avec un leader emblématique en la gouvernance du mahatma Gandhi. C'est par la spiritualité que ce pays évolue en harmonie avec ses principes, et ces traditions ancestrales. Le sâdhu est par là même le représentant de cette faculté à s'extraire d'une pénible réalité pour accepter sa condition de vie. Mais ce que nous avons vu et commencé à décrypter, est que sous ses apparences non violentes, l'indien est le reflet de ce que la dictature des castes tente lui imposer. Un homme libre, bienveillant, heureux de ce qu'il est, ou plus exactement un homme qui a accepté d'être une copie, un clone de la société. Chaque individu ne construit pas son avenir, puisque son appartenance à un rang religieux, lui dicte tout ou partie de son itinéraire. Celui qui naît dans la rue, mourra dans la rue. Voici quelle pourrait être l'enseignement ordonné par les castes. Pourtant on sent que le peuple, s'il osait, pourrait se rebeller pour revendiquer son droit à l'existence. Mais les hommes, seuls, ne peuvent pas agir. Alors ils acceptent la pensée unique. Comment parler de pacifisme lorsque chacun se fait violence pour vivre sa vie, non choisie et souvent subie ? Parfois, un simple grain de sable vient enrayer la machine bien huilée. Alors ce modèle de maîtrise de soi devient un être impulsif, prêt à se battre pour un événement sans importance. Il supporte le poids de sa vie, mais ne tolère pas les écarts. Oui cette vie est violente, bien au-delà des mots et des images. Les extrêmes se touchent sans se côtoyer. Il suffit de se rappeler l'impression ressentie dans les rues de Fatipurh Sikri. Au pied d'un temple formidable, la misère inqualifiable d'un village où la machine à remonter le temps semble s'être trompé d'époque, et nous avoir déposée au cœur du moyen age. Remontons les grands axes sur les bords desquels fleurissent de somptueux hôtels, et nous rejoignons bien vite la fièvre du centre, et les corps allongés sur les trottoirs pour simplement trouver quelques heures de sommeil. Ce monde est violent bien qu'il nous donne l'illusion du contraire. Mais ce monde est aussi fascinant, plein de vie, plein d'entrain, étonnamment riche et merveilleux. Nous nous sommes confrontés nous-mêmes à nos propres résistances, à nos propres angoisses ou craintes. Partir dans cette région de l'Himalaya qu'est le Ladakh signifie sans aucun doute s'élever vers les cieux, rejoindre le grandissime à des altitudes moyennes remarquables. Les questions se bousculaient dans nos têtes, et nous avions envie d'y apporter des réponses. Nous recherchions l'isolement, un certain engagement pour mieux se retrouver, pour mieux ressentir notre environnement. Même si le Spiti ne voit pas aujourd'hui ses sentiers battus par un nombre incalculable de marcheurs invétérés, la région n'en devient pas moins de plus en plus fréquentée. Nous avons ressentis la force de la nature et le pouvoir des solitudes lorsque notre campement se distinguait dans les paysages minéraux. La gratitude et la reconnaissance des montagnes nous a touchés lorsqu'en tournant le regard, nous ne distinguions que les toiles de nos tentes dans un environnement désert de vie humaine. A certains moments précis, la pesanteur des sommets a réussi à peser sur mon enthousiasme. Plus exactement, c'est une nature riante, verdoyante, irriguée, qui paradoxalement a conduit à une sensation d'abandon, de désolation, même si les termes sont un peu exagérés. La monotonie d'un fond de vallée, d'un bord de lac, a par moment soulevé les questionnements attendus. Quels mécanismes profonds nous poussent à rechercher en permanence l'inconnu, à se confronter à notre méconnaissance de soi? En d'autres occasions, c'est lorsque le moral subit une baisse de régime pour des doutes liés à une situation bien précise, que le physique joue lui aussi des tours. Preuve irréfutable que les deux éléments essentiels sont inséparables. Le dépassement de soi pour atteindre un but nouveau semble le seul argument valable pour justifier cela. D'une façon générale, nous ne nous sommes jamais sentis profondément isolés, perdus, cherchant désespérément à nous raccrocher à quelconque support. Certainement parce que nous n'étions pas totalement seuls, mais encadrés par notre petite équipe composée de huit hommes, et d'autant de chevaux. Nous imaginions des dômes aux dimensions hors normes, des glaciers fantastiques, des crêtes acérées. Autour de nous, les sommets dépassaient souvent les 6000 mètres, mais notre altitude flirtait avec les 5000 mètres. De ce fait, nous n'avons pas vu émerger d'insubmersibles icebergs minéraux, aux allures titanesques. Nous n'avons pas été happés par des murailles infranchissables. Nous avons été impressionnés par les dimensions horizontales des vallées, leur largeur inestimable. La verticalité des lieux n'a pas été à la hauteur de notre imaginaire. Nous avons partagé le quotidien de huit indiens, huit indous, d'appartenance à des castes différentes. Nous avons partagé des moments intenses de chaleurs, échangé des rituels propres à chacun de nos deux pays. Au-delà de l'Himalaya, je retiendrai ces moments forts de convivialité dans les instants du quotidien. Se retrouver dans ces moments de simplicité, réunis sous la toile de la tente cuisine, mélangeant nos chants et nos rires, dans la chaleur d'un plat de riz, dans les effluves d'un fond d'alcool. Peut être qu'à trop imaginer, la fiction dépasse la réalité, les décors mentaux dépassent les paysages de cartes postales. Mais les instants de communion qui jalonnent les voyages, apportent une vérité unique qu'aucune image virtuelle ne saurait remplacer. J'ai acquis la certitude que les rencontres humaines seront toujours bien plus riches que n'importe quelle nature, hymne de beauté Lorsque les kilomètres s'enchaînaient comme autant de maillons identiques, nous ne touchions plus les raisons légitimes d'avancer, sinon celles de rallier notre point de chute. Dans ces moments, nous pouvions jurer de ne plus arpenter les espaces vierges comme nous étions en train de le faire. Mais la passion est intacte. Mieux, elle grandit chaque pas davantage, et l'adversité ne rend qu'illusoire l'impression de pouvoir nous résigner. Alors où serons-nous lorsque seront digérées les pointes d'amertume, les bribes d'incertitude ? Les prochains carnets de voyages seuls pourront y répondre…
|
| |
|
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux | Marcel Proust |
|
|
|